Monsieur Jean Charest,

Depuis plus de 25 ans maintenant, j'oeuvre dans le milieu de l'éducation. Bien sûr, vous ne me connaissez pas. J'ai enseigné pendant plus de 20 ans les mathématiques et je suis conseiller pédagogique depuis cinq ans. Je crois pouvoir dire sans me tromper que j'ai toujours dégagé une certaine énergie et un grand enthousiasme pour mon travail. Plusieurs me prêtent le qualificatif de passionné.

Monsieur le Premier Ministre, vous venez de passer un décret fixant mes conditions de travail. Quoique mon sentiment n'ait sans doute pas tellement d'importance dans cette vaste ré-ingénérie que vous avez entreprise, je tiens tout de même à vous dire que je ne vois pas comment je pourrai continuer à sentir un engouement, une excitation ou une joie pour mon travail. J'ai l'impression d'avoir été traité comme un vulgaire chiffon que l'on tasse dans un coin sans lui demander son reste.

Bien sûr, je comprends vos grands principes. Je comprends aussi que le Québec semble avoir bien peu de moyens de se payer un système d'éducation de qualité. Cependant, il m'est d'avis que lorsque vous disiez que vous et votre parti étiez "prêts", cela signifiait, entre autres, prêts à trouver des solutions innovatrices, des stratégies originales pour permettre à ce système d'offrir encore un meilleur service éducatif à nos enfants qui, vous en conviendrez probablement, en ont bien besoin. Bien sûr, je vais continuer de travailler dans ce système, mais, Monsieur le Premier Ministre, je n'y crois plus. Vous venez de m'enlever une grande partie de mon ardeur au travail. Vous venez de créer chez moi, l'irréparable : je ne pourrai plus, avec cette loi, croire que l'éducation a une quelconque importance aux yeux des politiciens. Même votre adversaire politique, Monsieur Boisclair, a indiqué qu'il ne reviendrait pas sur cette loi.

Entre autres, il est stipulé dans la loi que les enseignants seront contraints de participer aux activités étudiantes culturelles, sportives ou sociales. Monsieur le Premier Ministe, on ne peut commander l'enthousiasme, mais on peut le tuer. Or l'une des grandes forces de notre système d'éducation était justement ces enseignantes et enseignants qui, par dévouement et avec zèle, organisaient et animaient ces activités. Cette loi détruit ce zèle et ce dévouement. Bien sûr, ils seront contraints de participer. Mais croyez-vous vraiment que cet asservissement serve l'éducation? Oh, je sais que tous agiront avec professionnalisme. Mais un professionnel sans enthousiasme est comme un médecin qui ne distribuerait que des pilules.

Monsieur le Premier Ministre, en vous écoutant, vous semblez fier de cette loi. J'aurais préféré, bien évidemment, que vous soyez fier du système d'éducation de cette province et de l'immense énergie que vous auriez pu apporter à l'amélioration de ce système.

Je termine en vous disant que vous venez d'éteindre chez moi le feu sacré. Cela ne fait qu'une seule personne, me direz-vous. Et en effet, je ne parle que pour moi. Sachez cependant que même si je ne suis qu'un électeur parmi tant d'autres, j'en suis un qui l'avait, ce feu sacré. J'étais de ceux qui croyaient qu'en vivant mes convictions, je participais à l'amélioration de l'environnement éducatif provincial. Je continuerai à faire mon travail, mais vous venez de détruire chez moi toute espérance.

Gilles G. Jobin