Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mardi 9 octobre 2007

A new Pennac

Via S.O.S...S.E.S, j'apprends qu'un nouveau Pennac paraîtra très bientôt : Chagrin d'école, un récit autobiographique. Je relaie aussi son entrevue accordée Journal du Dimanche. Un extrait :
JDD : Et quelle était votre méthode [d'enseignement du français], pour que ça réussisse ?
DP : On commence par une petite dictée, tous les matins. On n'en fait pas un drame, on la corrige lentement, ensemble. Tu ne sais pas ce qu'est un adjectif démonstratif ? Je vais te l'expliquer. Tu l'auras oublié demain ? Je te l'expliquerai de nouveau. Et puis on va plonger dans la langue : apprendre des textes par coeur. Des longs et des courts, comme cette phrase de Woody Allen : « Le loup et l'agneau partageront la même couche mais l'agneau ne dormira pas beaucoup. » On va l'apprivoiser, la langue, cet animal revêche qui te fait si peur. On va la dompter. Et, de textes simples en « grands » textes, voilà qu'un jour, celui qui n'a jamais rien su réciter se met à jouir de ses facultés mnémoniques. Celui qui a toujours eu zéro en dictée obtient de vraies notes. Le cancre brise sa coquille. Il sort la tête ! Libéré de la fatalité du zéro ! Peu à peu il maîtrise la langue. Elle l'emplit, l'oxygène, le nettoie. Il est comme libéré d'un charme. Il s'installe dans l'estime de soi. La joie de cette éclosion ! La tête qu'il fait ! Un émerveillement absolu.

On y trouve aussi cette grande vérité :
À chaque fois que nous professeurs écrivons dans un carnet de notes « Manque de bases », nous voulons dire « Ce n'est pas de ma faute ».

Dans le lien donné plus haut, on trouve les premières pages du livre non pas sur l'école! Tout le monde s'occupe de l'école, éternelle querelle des Anciens et des Modernes: ses programmes, son rôle social, ses finalités, l'école d'hier, celle de demain... Non, un livre sur le cancre! Sur la douleur de ne pas comprendre, et ses dégâts collatéraux.

Je sens que je vais me régaler.

jeudi 20 septembre 2007

Popper

Lu le petit mais très dense livre de K.R. Popper : Des sources de la connaissance et de l'ignorance.

Quelques extraits :

[...] La controverse entre l'empirisme classique de Bacon, Locke, Berkeley, Hume et Stuart Mill et le rationalisme ou intellectualisme classique de Descartes, Spinoza et Leibniz. Dans cette controverse , en effet, l'école anglaise soutenait que le fondement ultime de toute connaissance, c'est l'observation, tandis que l'école continentale affirmait que c'est la vision intellectuelle des idées claires et distinctes. (p. 15)

Je chercherai à monter, tout particulièrement, que ni l'observation ni la raison ne peuvent être définies comme la source de la connaissance, ainsi qu'on a prétendu le faire jusqu'ici. (p. 17)

Mais quelles sont alors les sources de notre connaissance?
La réponse, me semble-t-il, est celle-ci : il existe toutes sortes de sources, mais aucune d'elles ne fait autorité. (p.127)

L'erreur fondamentale que commet la doctrine des sources épistémologiques ultimes, c'est ne ne pas distinguer assez clairement les problèmes d'origine des problèmes de validité. Il se peut que, dans le cas de l'historiographie, les deux types de questions se rejoignent quelquefois. Trouver l'origine de certaines sources est parfois le seul ou le principal moyen que l'on ait de tester la validité d'une assertion historique. Mais, généralement, les deux problèmes ne se recouvrent pas, et nous n'éprouvons pas la validité d'une assertion ou d'une information en en déterminant les sources ou l'origine ; nous testons celles-ci selon une méthode plus directe, l'examen critique du contenu de l'assertion - ou des faits qui en sont l'objet.
Par conséquent, les questions que pose l'empiriste, « Comment le savez-vous ? Quelle est la source de votre affirmation ? », sont mal posées. Ce n'est pas qu'elles soient formulées de manière incorrecte ou trop peu rigoureuse, c'est leur principe même qui est à récuser : elles appellent en effet une réponse de nature autoritariste. (p. 129)

[...] La question que pose traditionnellement la théorie politique, « Qui doit gouverner ? », celles-ci appelant des réponses autoritaristes comme « les meilleurs », « les plus sages », « le peuple » ou « la majorité » (la question incite d'ailleurs à formuler des alternatives stupides comme « Qui doit avoir le pouvoir: les capitalistes ou les travailleurs ? », alternative analogue à celle qui demande « Quelle est la source ultime de la connaissance : l'intellect ou les sens ? »). La question politique traditionnelle est mal posée [...] et il faudrait lui substituer une question tout à fait différente : « Comment organiser le fonctionnement des institutions politiques afin de limiter autant que faire se peut l'action nuisible de dirigeants mauvais ou incompétents - qu'il faudrait essayer d'éviter, bien que nous ayons toutes les chances d'avoir à les subir quand même ? » (p. 132)

La question des sources de la connaissance, comme bien des questions d'inspiration autoritariste, est en effet d'ordre généalogique. Elle demande l'origine de notre savoir, étayée par cette croyance que la connaissance peut tirer sa légitimité de son pedigree. (p. 134)

Les progrès du savoir sont essentiellement la transformation d'un savoir antérieur. (p. 146)

La clarté et la distinction ne constituent pas des critères de la vérité, mais des traits tels que l'obscurité ou la confusion sont susceptibles d'être des indices d'erreur. (p. 147)

La vocation essentielle de l'observation et du raisonnement, voire de l'intuition et de l'imagination, est de contribuer à la critique de ces conjectures aventurées à l'aide desquelles nous sondons l'inconnu. (p. 149)

Là réside en effet la source majeure de notre ignorance : le fait que notre connaissance ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est nécessairement infinie. (p. 151)

vendredi 7 septembre 2007

New Baricco

Wow, je viens d'apprendre que Baricco publie un nouveau livre en cette rentrée littéraire 2007.
Anticipation d'un pur plaisir...

dimanche 1 juillet 2007

La fin de l'alphabet

La fin de l'alphabet de C. S. Richardson est un bijou. Je suis tombé dessus au hasard de ma dernière visite chez le libraire, alors que je ne désirais, finalement, que flâner parmi les livres.

L'auteur est directeur du département graphique de la maison d'édition Random House à Toronto et ce petit livre de 150 pages est son premier roman.

Et quel roman ! À classer tout près de La petite fille de M. Linh (P. Claudel) ou Isabelle Bruges (Bobin) ou Ensemble c'est tout (Gavalda) ou encore Effroyables jardins (Quint).

Pour vous donner un peu le goût, la quatrième de couverture est ici. Je n'en dis pas plus car je parle très mal des livres, mais courez vite l'acheter à la librairie du coin.

dimanche 24 juin 2007

Egloff, Chapelan et Du Ryer

Plus de 80 citations ajoutées cette semaine Au fil de mes lectures.

De Joël Egloff, « Les Ensoleillés, c'est l'histoire de ceux qui ont tant de mal à être au rendez-vous » lit-on en quatrième de couvreture. Et le livre, c'est exactement cela. Aussi à lire de cet auteur son Edmond Ganglion & fils. C'est chez Folio, c'est pas cher.

J'avais déjà parlé ici de Lire et Écrire de Maurice Chapelan. Chapelan est né en 1906. Mais saurez-vous trouver sa date de décès (s'il est bien décédé!). Sur mon site, j'ai inscrit 1992. Cependant, j'avoue n'en être absolument pas certain. De tous mes livres, seul Jérôme Duhamel dans Dictionnaire des citations du XXe siècle et dans La passion des livres mentionne cette date. Or j'ai parfois trouvé des erreurs dans les bouquins de ce monsieur.

J'ai donc parcouru le web, mais encore là, peu de sources fiables.

J'ai effectué une recherche à la Bibliothèque Nationale de France, la Bibliothèque Nationale du Québec et la Library of Congress. Tous les catalogues donnent bien 1906 en naissance, mais ils sont tous silencieux sur la date de sa mort. Sur un site espagnol, on indique qu'il serait mort le 14 mars 1992, mais comment s'y fier ? Toujours est-il que si vous avez une bonne référence qui me confirmerait cette date, j'apprécierais bien que vous me la fassiez parvenir !

Finalement, j'ai aussi lu cette semaine une pièce de Pierre Du Ryer, auteur du XVIIe siècle. Les Vendanges de Suresnes est une comédie légère. On y trouve cependant, autour de l'amour, les mêmes préoccupations qu'aujourd'hui. Ce que j'aime bien dans ces vieilles pièces de théâtre, ce sont les tournures de phrase parfois exquises. Par exemple :

L'ingrate me condamne à mourir dans la flamme
Que l'éclat de ses yeux alluma dans mon âme.


Ou encore, pour bien indiquer à l'amour de votre vie combien son absence vous fait mal, il suffit de lui lancer un :

Mon enfer est partout où ta beauté n'est pas.

Il faut, évidemment, la dire en ayant l'air sincère, et alors vous ferez un hit, c'est certain. Dans le vers original, on trouve sa au lieu de ta, mais vous pouvez certainement vous permettre des écarts de ce genre. Après tout, il n'est nul besoin de lui dire que ce n'est pas de vous !

Pour ceux d'entre vous curieux de connaître le temps nécessaire à une telle mise à jour d'Au fil de mes lectures, disons que cela m'a demandé un gros quatre heures sans interruption. Il faut en effet :
  • transcrire tous les extraits dans un fichier ;
  • imprimer les citations pour les corriger manuellement ;
  • recorriger le fichier avec Antidote ;
  • numériser la jaquette des livres ;
  • monter tout ça dans ma base de données locale ;
  • refaire une vérification sur mon serveur local ;
  • transférer le tout sur Internet.
Voili-voilà !

vendredi 22 juin 2007

Que lire à 15 ans?

La lecture est une expérience sensible qui se situe dans le monde réel, où on s'expose à des blessures, où l'âme subit des lésions. Une phrase qu'on lit peut être une semence qui pousse. Soudain de manière imprévisible, elle s'ouvre à elle-même et déchire le sol où elle est tombée au hasard du vent et peut-être de la chance.
Pascal Quignard, Les Paradisiaques, 2005


Cette semaine, mon collègue conseiller pédagogique en français m'a demandé ce que je suggérerais à des jeunes de 13-15 ans qui n'aiment pas vraiment lire. « Ce doit être des auteurs francophones non québécois car nous avons déjà une bonne liste de ces derniers. » m'a-t-il lancé.

Suggérer des lectures m'est toujours difficile : la lecture étant un plaisir intime, comment ne pas se sentir violé lorsque ces choix sont critiqués ou désavoués?

L'autre problème est relié au plaisir de la lecture à l'école. Je vois tant de gens qui n'aiment pas lire. Pas seulement des élèves : j'inclus aussi les intervenants du monde scolaire. Donc, remettre une liste à un enseignant qui n'éprouve pas le plaisir de la lecture et qui ne connaît pas les auteurs suggérés, ou qui, envers certains, est rempli d'un triste préjugé (quels sont vos sentiments en voyant Hugo ou Zola?) m'apparaît comme un grand risque. Je sens que cela paraît très bien, promouvoir la lecture, mais, dirait-on, à la condition qu'on n'ait pas soi-même à lire.

Et puis, il a aussi tout ce monde de la catégorisation. Qu'est-ce qu'un lecteur à 15 ans? La lecture n'est pas une question d'âge, c'est une question de sensibilité. Le rôle de l'enseignant est de suggérer une panoplie de lectures possibles. Pour cela, il faut soi-même avoir beaucoup lu pour pouvoir parler des livres. Sinon, cela demeure un exercice bidon, comme on en vit tant dans nos écoles.

Malgré tout, j'ai pris une petite demi-heure, passant rapidement au travers de mes auteurs sur Au fil de mes lectures pour lui proposer quelques titres.

Barjavel. Soit Ravage ou La nuit des temps ou encore Le Voyageur imprudent. C'est de la bonne SF française.

De C. Bobin, Isabelle Bruges. Cela constituerait d'ailleurs une belle lecture à haute voix que l'enseignant pourrait faire en classe.

P. Cauvin : Pythagore je t'adore.

Et puis, il faut lire La petite fille de M. Linh de Philippe Claudel.

A. Dhôtel avec Le pays où l'on arrive jamais.

Folco. Dieu et nous seuls pouvons. Imaginons un enseignant qui en fait la lecture à ses élèves, une demi-heure par jour...

Fermine avec Neige ou l'Apiculteur.

Gougaud et son Bélibaste.

Les polars de Grangé.

On dira ce qu'on voudra, mais il faut lire V. Hugo. Suggérons L'homme qui rit.

Les Rouletabille de Gaston Leroux.

Mingarelli avec, par exemple, La dernière neige.

Orsenna avec La grammaire est une chanson douce.

Toutes la série des Kamo de Pennac. Ses Malaussène aussi, évidemment.

La joueuse de go de Shan Sa.

Van Cauwelarert avec La vie interdite ou encore L'éducation d'une fée.

Les polars de F. Vargas.

Il serait sans doute pertinent de cibler un ou deux Jules Verne et, pourquoi pas, des nouvelles de Zola.

Ces livres doivent être présentés aux élèves. Et pour cela, il faut les avoir lus soi-même pour pouvoir en parler. Cette liste est donc ma liste, celle que je n'hésiterais pas à vendre aux élèves.

samedi 9 juin 2007

Trois lectures

L'Art de philosopher : J'ai pris le temps de lire ce livre publié en 2005 aux Presses de l'Université Laval qui regroupe trois essais écrits par Bertrand Russell dans les années quarante. Dans le premier essai, on trouve :
Ce serait admirable de voir dans nos écoles un certain pourcentage de musulmans et de bouddhistes que l'on encouragerait à défendre leurs religions respectives contre la majorité des élèves d'obédience chrétienne. Voilà qui affaiblirait peut-être la force des convictions irrationnelles de chaque côté.
Le troisième essai du livre est consacré au calcul. Russell tente de démontrer toute l'importance pour un philosophe d'étudier les mathématiques. Un extrait :
Au début, tout enseignement des mathématiques devrait se faire à partir de problèmes pratiques qui seraient aussi des problèmes faciles et de nature à intéresser l'enfant. Quand j'étais jeune (il se peut que les choses n'aient pas changé à cet égard), les problèmes étaient tels que personne n'aurait pu même vouloir les résoudre. Par exemple, A, B et C se déplacent d'un point X vers un point Y. A est à pied, B est à cheval et C est à vélo. A fait un somme à divers intervalles, le cheval de B se met à boiter et C fait une crevaison. A prend deux fois plus de temps qu'il n'en aurait pris à B si le cheval de ce dernier ne s'était pas mis à boiter, et C arrive une demi-heure après que A serait arrivé s'il ne s'était pas endormi, et ainsi de suite. Il y a là de quoi dégoûter même le plus zélé des élèves.
J'ai aussi beaucoup apprécié ma lecture du petit essai de Christian Godin Nul n'est méchant volontairement, publié chez Pleins Feux en 2001. Par exemple :
Mais qui aurait le mauvais esprit de calculer tout le mal social que peut occasionner une décision de licenciement ? Tellement il est entendu de nos jours qu'une entreprise ne fait que du bien puisqu'elle existe et fait des profits... Les dirigeants ne veulent aucun mal à ceux dont ils font le désespoir, de même que les cambrioleurs ne veulent aucun mal à ceux dont ils font la détresse. Mais justement, n'est-ce pas cela aussi, la méchanceté, cette terrible incapacité à sortir du cercle de son moi (ou de celui de son petit nous, ce qui revient au même), l'incapacité a comprendre l'autre dans la totalité de l'existence et de l'ordre symbolique qui fait de la personne humaine bien autre chose qu'un individu ? Le cambrioleur et le dirigeant d'entreprise ne veulent briser aucune existence, ils ne veulent que renforcer la leur. On comprend à présent la pertinence de cette idée de Platon, que le premier mal, c'est l'ignorance.
Cependant, la lecture qui m'a le plus fait sourire est celle d'Auguste Detoeuf et son Propos de O.L. Barenton, confiseur. J'en avais déjà parlé un peu ici. J'ai retiré 78 citations dont :
On défend le consommateur en évitant d'augmenter la rémunération du salarié ; on défend le salarié en chargeant d'impôts le capitaliste ; on défend le capitaliste en vendant le plus cher possible au consommateur ; et la justice se trouve ainsi d'autant mieux satisfaite que le salarié, le capitaliste et le consommateur, c'est presque toujours le même type.
On dit : « L'Opinion est sotte, je la méprise. Je suis au-dessus d'elle. » Mais on tend l'oreille pour surprendre ce qu'elle murmure. Le plus souvent d'ailleurs, on n'entend rien. On la flatte ; on lui obéit. Mais on choisit, pour montrer son indépendance, un détail minuscule : la forme d'un chapeau, une affectation dans le langage, un paradoxe qu'on ressasse ; juste ce qu'il faut pour qu'on dise autour de soi : « C'est un original. » ; juste assez pour intéresser l'Opinion.
Toute séance du conseil d'administration comporte deux opérations importantes, et deux seulement : la signature du registre de présence et la fixation de la date de la prochaine séance.
Mais vous en trouverez beaucoup plus sur Au fil de mes lectures qui, en passant, a franchi cette semaine le cap des 17.000 citations.

dimanche 3 juin 2007

La nouvelle ignorance



C'est un peu par hasard (en tombant sur une jolie phrase pendant que je le feuilletais) que j'ai achété ce bouquin du philosophe Thomas De Koninck, professeur à l'Université Laval. Lecture lente, j'ai pu recueillir une quarantaine de citations/extraits que j'ai bien évidemment déposés sur Au fil de mes lectures. L'incipit du livre indique bien de quoi il s'agit :
Il existe en réalité deux formes d'ignorance qu'on pourrait qualifier de « nouvelles », mais qui sont diamétralement opposées. La première ouvre et libère, la seconde emprisonne et tue. La première, qu'il faut célébrer, se traduit par de nouvelles interrogations suscitées par de nouvelles découvertes. Elle est le moteur de toutes les avancées du savoir. La seconde fait au contraire vivre dans l'illusion qu'on sait alors qu'on ne sait pas et s'apparente à ce que Platon appelait « la double ignorance ».
Et cet autre extrait, trouvé en page 57, que j'aime bien :
Les langues de bois (ou de coton, ou de circuit imprimé) de nos bureaucraties et d'un certain monde des affaires - on ne dit pas « mettre à pied », on dit « rationaliser », « consolider », « restructurer » - font chorus. Václav Havel a dénoncé avec justesse dans ces langues et dans ces autres formes de pouvoir anonyme, impersonnel, le même automatisme irrationnel et la même humanité que dans les systèmes totalitaires contemporains. La haine viscérale du langage et de la culture qui les marque tout autant ne permet d'ailleurs pas d'en douter.
On y trouve plusieurs bons mots sur l'éducation. Par exemple :
Ce qu'il s'agit de former avant tout [...] c'est le jugement critique ; lui seul rend autonome, lui seul rend libre. Ainsi le défi principal de l'enseignant est-il de susciter une autonomie culturelle suffisante chez l'étudiant pour qu'il puisse exceller en ce qu'il fera et surtout puisse vivre dans la richesse du concret - du latin concrescere, « croître avec », on ne le redira jamais assez : l'arbre concret, c'est l'arbre individuel en toutes ses composantes et ses conditions, en sa vie même - par opposition aux nuages de l'abstraction et des réductionnismes. (p. 88)
Et en pages 96 et 97, on trouve :
Paul Valéry notait : « Pour apprendre quelque chose à quelqu'un, il faut avant tout provoquer en lui le besoin de cette connaissance. Cela suffit. Le reste n'est rien. » Il ajoutait : « Le moyen capital d'un enseignement "secondaire" est : l'éveil de l'intérêt pour les choses qui demandent effort. Créer le désir - obtenir l'effort - et toujours faire sentir sa récompense. Jamais effort sans but net et désirable. » Et encore : «Tout enseignement est vicieux qui ne commence pas par exciter le besoin auquel il est destiné à répondre. » Le défaut de « l'usage obligatoire des examens » est qu'il « produit une habitude du nécessaire et suffisant - qui est contraire à la valeur ». Simone Weil exprime clairement ce principe :« L'intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu'il y ait désir, il faut qu'il y ait plaisir et joie. L'intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d'apprendre est aussi indispensable aux études qu ela respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n'y a pas d'étudiants, mais de pauvres caricatures d'apprentis qui au bout de leur apprentissage n'auront même pas de métier. » Si l'on en croit Lewis Thomas, « la pire chose qui soit arrivée à l'enseignement de la science, c'est que tout le plaisir [the great fun] en est parti [...]. Ils deviennent tôt déroutés, et on les trompe en leur faisant croire que la déroute est simplement le résultat de ne pas avoir appris tous les faits ». On leur fait accroire que les vrais chercheurs de pointe ne sont pas tout aussi déroutés qu'eux. « Une bonne moitié de nos connaissances actuelles sera sans doute fausse dans deux ou trois ans. L'ennui est qu'on ne sait pas de quelle moitié il s'agit. » (Michel Jouvet).
Le livre de 180 pages (et 35$) est publié chez PUF.

dimanche 6 mai 2007

Des proverbes

J'ai reçu cette semaine le Petit recueil des proverbes français de L. Martel. Comme pour Émile Genest, je n'ai aucune information sur ce monsieur. Le recueil contient plus de 500 proverbes expliqués et commentés. Publié d'abord en 1883, le livre est maintenant du domaine public. J'en profite donc pour ajouter, sur la page d'accueil d'Au fil de mes lectures, le proverbe de la semaine. Évidemment, j'ai ajouté le fil RSS correspondant !

samedi 5 mai 2007

L'Ére écologique

L'An I de l'ère écologique (Tallandier, 2007) regroupe quelques articles publiés par Edgar Morin au cours des dernières 35 années. On a aussi droit a un court dialogue avec le fondateur d'Ushuaïa Nature Nicolas Hulot. Voici quelques extraits/citations du livre. Vous en trouverez un peu plus sur Au fil de mes lectures.

L'homme doit se considérer comme le berger des nucléoprotéinés - les êtres vivants - et non comme le Gengis Khan de la banlieue solaire. (P. 15)

Je donne au mot « paradigme » le sens suivant : « La relation logique entre les concepts maîtres commandant toutes les théories et tous les discours qui en dépendent. » Ainsi, le grand paradigme de la culture occidentale du XVIIe au XXe siècle disjoint le sujet de l'objet, le premier renvoyé à la philosophie, le second à la science : tout ce qui est esprit et liberté relève de la philosophie ; tout ce qui est matériel et déterministe relève de la science. Ce même paradigme entraîne la disjonction entre la notion d'autonomie et celle de dépendance : l'autonomie n'a aucune validité dans le cadre du déterminisme scientifique, et, dans le cadre philosophique, elle chasse l'idée de dépendance. Or la pensée écologisée doit nécessairement briser ce carcan et se référer à un paradigme complexe où l'autonomie du vivant, conçu comme être auto-éco-organisateur, est inséparable de sa dépendance.
[...] Autrement dit, la relation écologique nous amène très rapidement à une idée apparemment paradoxale : pour être indépendant, il faut être dépendant. Et plus on veut gagner son indépendance, plus il faut la payer par de la dépendance. (P. 30)

Nous avons, si vous voulez, le hardware, c'est-à-dire l'infrastructure d'une « société monde », mais nous n'avons pas le software, c'est-à-dire la partie intelligente, consciente, organisatrice qui permette d'avoir une « société monde ». (P. 82)

Qu'est-ce qu'une métamorphose ? C'est une transformation où l'être s'autodétruit et s'autoconstruit de façon nouvelle, à l'instar de la chenille qui devient papillon afin de voler. L'espérance est dans cette métamorphose vers laquelle vont confluer des courants qui parfois s'ignorent, tels l'économie solidaire, le commerce équitable, la réforme de vie. De partout, à la base, les solidarités s'éveillent. (P. 115)

Ornithoptère in Larousse du XXesiècle, T.5, 1932

dimanche 29 avril 2007

Les miettes du passé

Je suis tombé sur la deuxième édition de ce livre d'Émile Genest (Hetzel, 1913). Ces dernières semaines, j'ai passé quelques heures à chercher (encore une fois!) les dates de naissance et de mort de cet illustre inconnu. (Attention! il ne s'agit pas ici du comédien québécois du même nom.) Et je suis toujours revenu bredouille... Même les bibliothèques nationales de France, du Québec ou du Canada ne peuvent me renseigner. Silence aussi à la Library of Congress. Ces bibliothèques ont certains livres de ce M. Genest, mais sans jamais préciser ses dates de naissance et de décès.

Émile Genest a publié au début du siècle plusieurs recueils de citations que j'ai pu acquérir au cours des deux dernières années grâce surtout à Abebooks :

Les belles citations de la littérature française suggérées par les mots et les idées (2 séries);
Où est-ce donc? Dictionnaire de phrases, vers et mots célèbres employés dans le langage courant (2 séries);
Les belles citations de la littérature grecque suggérées par les mots et les idées;
Les belles citations de la littérature latine suggérées par les mots et les idées;
Les belles citations de la littérature étrangère suggérées par les mots et les idées.

Dans Les Miettes du Passé, qui est antérieur à toute cette production, Genest s'inspire de cent dictons populaires français pour nous livrer ses réflexions. Le livre contient de plus de 330 pages avec de nombreuses illustrations et culs-de-lampe. J'y ai trouvé aussi une bonne bibliographie de vieux ouvrages sur les proverbes. Quelques-uns sont déjà commandés !

vendredi 9 mars 2007

Challenge ABC : Adler et Nivoix

Je suis en retard d'un gros mois dans mon Challenge ABC.

Je viens de terminer le joli essai de Mortimer J. Adler Comment lire les grands auteurs. Le livre date de 1964 dans une édition et une traduction qui laissent à désirer. On trouve au moins quinze fois dans le livre « prendre pour acquis » (to take for granted) alors qu'il faut écrire tenir pour acquis. On voit aussi scientiste au lieu de scientifique. Le livre comporte plusieurs coquilles. Il ne faut cependant pas trop se plaindre car les traductions des livres d'Adler se font très rares. Vous trouverez 44 citations/extraits sur Au fil de mes lectures.

J'ai aussi lu la petite pièce de Paul Nivoix publié en 1927 Ève toute nue. Comédie légère en trois actes, elle n'est pas passée à l'histoire, et n'y passera pas ! Mieux vaut lire du Guitry. Défi web pour mes lecteurs : trouvez les dates de naissance et de mort de Nivoix, mais sans visiter les citations que j'ai extraites de la pièce, car j'y donne cette information.

Sur ma table de chevet : Pour l'éducation de Savater.

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