Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mercredi 30 novembre 2005

GEB-BGE

Je possède évidemment l'édition américaine de ce classique mais je n'étais jamais tombé sur sa version française. En le voyant en librairie lundi dernier, je n'ai pu résister. Il est vrai qu'à 102 $ (et il n'est même pas à couverture rigide ! ), j'avais toujours hésité à le commander. Je ne comprends d'ailleurs pas l'absence d'une édition en format poche.

J'ai juste eu le temps de lire une partie de l'introduction. Pour faire plaisir à ma traductrice de fille, voici ce que j'y ai trouvé : « En fait, mon opinion sur ce qu'est une bonne traduction est la suivante. Si un lecteur intelligent et critique ne soupçonne pas qu'il ne lit pas la version originale, et surtout s'il a l'impression qu'un passage donné ne pourrait exister que dans la langue qu'il lit, alors là, il s'agit d'une traduction réussie. Autrement dit, si un passage semble intraduisible alors qu'en vérité il a été traduit d'une autre langue, que demander de plus ? Pouvoir ainsi tromper un lecteur critique, c'est le comble de l'art de la traduction. »

Quelques lignes plus loin, Hofstadter poursuit : « [...] on est rarement plus forcé d'aller à l'essentiel que dans l'acte de traduire. ».

Hofstadter a écrit son introduction en français. Il y exprime toute l'importance accordée à la traduction de son livre car il est bourré de jeux de langage. Il recommande d'ailleurs une lecture parallèle de la version d'origine et de la version française : « Qui lira les éditions anglaise et française de GEB aura un avantage sur les lecteurs en une seule langue : en comparant deux passages, il pourra distinguer ce qui est "glissable", ou inessentiel, de ce qui est ferme et essentiel. Comme cela, il découvrira un noyau inglissable : le GEB "platonicien", le GEB idéal, flottant majestueusement dans un espace éthéré, indépendant de toute langue terrestre. » (p. XXV)

lundi 28 novembre 2005

Les 100 du XXe siècle

L'idéal quand on lit, c'est de tout oublier. Savoir que dans un livre se trouve un ton, qu'on va être étonné, émerveillé, ému à coup sûr, qu'on va sourire, qu'on va connaître un plaisir sans retenue. Le savoir pendant des années, se retenir d'aller vérifier, puis un jour risquer un oeil, pour voir. Et ne pas être déçu. La grande joie qui nous emplit, que n'a certes pas connue l'auteur du livre.
Gilles Archambault, Les plaisirs de la mélancolie, p.102, Éd. Boréal, 1994


Suite à un concours ou près de 6000 personnes ont participé, le journal Le Monde a publié le 15 octobre 1999 un classement des 100 meilleurs livres du XXe siècle. Je n'ai pas les détails du concours, mais je pense que les gens devaient choisir parmi une présélection de 200 livres.

À l'approche de Noël, cela peut être un bon départ si vous désirez offrir un peu de littérature. La plupart de ces titres sont disponibles chez tous les bons bouquinistes. Donc, pour une cinquantaine de dollars, vous pouvez sans doute obtenir cinq ou six livres en bonne condition.
AuteurTitre
1Albert CamusL'Étranger
2Marcel ProustÀ la recherche du Temps perdu
3Franz KafkaLe Procès
4Antoine de St-ExupéryLe Petit Prince
5André MalrauxLa Condition humaine
6Louis-Ferdinand CélineVoyage au bout de la nuit
7John SteinbeckLes Raisins de la colère
8Ernest HemingwayPour qui sonne le glas
9Alain-FournierLe Grand Maulnes
10Boris VianL'Écume des jours
11Simone de BeauvoirLe Deuxième Sexe
12Samuel BeckettEn attendant Godot
13Jean-Paul SartreL'Être et le Néant
14Umberto EcoLe Nom de la Rose
15A. SoljenitsyneL'Archipel du Goulag
16Jacques PrévertParoles
17Guillaume ApollinaireAlcools
18HergéLe Lotus bleu (Tintin)
19Anne FrankJournal
20Claude Lévy-StraussTristes tropiques
21Aldous HuxleyLe Meilleur des mondes
22George Orwell1984
23Goscinny & UderzoAstérix
24Eugène IonescoLa Cantatrice chauve
25Sigmund FreudTrois essais sur la théorie de la sexualité
26Marguerite YourcenarL'Œuvre au noir
27Vladimir NabokovLolita
28James JoyceUlysse
29Dino BuzzatiLe Désert des Tartares
30André GideLes Faux-Monnayeurs
31Jean GionoLe Hussard sur le toit
32Albert CohenBelle du Seigneur
33Gabriel García MárquezCent ans de solitude
34William FaulknerLe Bruit et la fureur
35François MauriacThérèse Desqueyroux
36Raymond QuenauZazie dans le métro
37Stefan ZweigLa Confusion des sentiments
38Margaret MitchellAutant en emporte le vent
39David H. LawrenceL'Amant de Lady Chatterley
40Thomas MannLa Montagne magique
41Françoise SaganBonjour tristesse
42VercorsLe Silence de la mer
43Georges PerecLa Vie, mode d'emploi
44Sir Arthur Conan DoyleLe Chien des Baskerville
45Georges BernanosSous le soleil de Satan
46F. S. FitzgeraldGatsby le magnifique
47Milan KunderaLa Plaisanterie
48Alberto MoraviaLe Mépris
49Agatha ChristieLe Meurtre de Roger Ackroyd
50André BretonNadja
51Louis AragonAurélien
52Paul ClaudelLe Soulier de Satin
53Luigi PirandelloSix personnages en quête d'auteur
54Bertolt BrechtArturo Ui
55Michel TournierVendredi ou les limbes du Pacifique
56H. G. WellsLa Guerre des Mondes
57Primo LeviSi c'est un homme
58J. R. R. TolkienLe Seigneur des Anneaux
59ColetteSido, les vrilles de la vigne
60Paul ÉluardCapitale de la douleur
61Jack LondonMartin Eden
62Hugo PrattCorto Maltese: La Ballade de la mer salée
63Roland BarthesLe Degré zéro de l'écriture
64Heinrich BöllL'Honneur perdu de Katharina Blum
65Julien GracqLe Rivage des Syrtes
66Michel FoucaultLes Mots et les Choses
67Jack KerouakSur la route
68Selma LagerlöfLe Merveilleux Voyage de Nils Holgerson
69Virginia WoolfUne chambre à soi
70Ray BradburyChroniques martiennes
71Marguerite DurasLe Ravissement de Lol V. Stein
72J.-M. G. Le ClézioLe Procès-Verbal
73Nathalie SarrauteTropismes
74Jules RenardJournal
75Joseph ConradLord Jim
76Jacques LacanÉcrits
77Antonin ArtaudLe Théâtre et son double
78John Dos PassosManhattan Transfer
79Jorge Luis BorgesFictions
80Blaise CendrarsMoravagine
81Ismaël KadaréLe Général de l'armée morte
82William StyronLe Choix de Sophie
83Federico García LorcaRomancero gitano
84Georges SimenonPietr le Letton
85Jean GenetNotre-Dame-des-Fleurs
86Robert MusilL'Homme sans qualités
87René CharFureur et mystère
88J. D. SalingerL'Attrape-Coeurs
89James Hadley ChasePas d'orchidées pour miss Blandish
90Edgar-Pierre JacobsBlake et Mortimer
91Rainer-Maria RilkeLes Cahiers de Malte Laurids Brigge
92Michel ButorLa Modification
93Hannah ArendtLes Origines du totalitarisme
94Mikhaïl BoulgakovLe Maître et Marguerite
95Henry MillerLa Crucifixion en rose
96Raymond ChandlerLe Grand Sommeil
97Saint-John PerseAmers
98André FranquinGaston
99Malcom LowryAu-dessous du volcan
100Salman RushdieLes Enfants de minuit


Liane : Les 100 meilleures oeuvres littéraires

samedi 26 novembre 2005

Le jazz

Très intéressant le roman Un soir au club de Christian Gailly. Son personnage central est un retraité du jazz (et de la boisson) depuis 10 ans. Mais une courte visite à un club, jumelée à un accident opportun changera sa vie. Sommes-nous toujours le même? Voilà une question à laquelle Gailly, subrepticement, s'attaque.

J'ai toujours de la difficulté à entendre du Jazz. J'ai beau parfois écouter les émissions de Péan ou de Vigeant à Radio-Canada, je demeure avec une grande incompréhension du genre. Un passage dans le Gailly vient peut-être m'expliquer mon malaise :
«Or dans le jazz il n'y a pas de beauté. Du swing, certes, de l'émotion, de la joie et de la danse dans le corps, voire de la rage, tristesse ou gaîté mais pas de beauté, je regrette.» (p.119)

En écoutant du Bach, du Handel ou du Scarlatti, je vibre toujours à cette beauté musicale. Sans doute recherchais-je une semblable esthétique dans le jazz, alors que la quête devrait peut-être s'orienter dans une tout autre direction.

jeudi 24 novembre 2005

Prisonnier au berceau

Photo sur Nuit BlancheBobin mène sa carrière d'écrivain loin des feux de la rampe. Je ne crois pas qu'il ait été nominé pour un prix littéraire quelconque. Mais qu'en aurait-il à en faire, de ce prix? Il possède son lot de lecteurs indéfectibles (dont je fais partie) et cela doit lui être bien suffisant. Toujours est-il qu'il vient de publier un beau petit livre ayant pour thème sa «relation» avec son Creusot natal. Prisonnier au berceau est agrémenté de plus d'une vingtaine de photos ou d'images noir et blanc.

Les lecteurs d'Au fil de mes lectures savent combien j'affectionne Bobin. C'est un poète de l'intériorité, de la lumière, de la beauté. Comment, par exemple, ne pas apprécier un auteur qui nous lance des phrases du genre «[...] rien ne sera jamais aussi vaste qu'un visage ouvert par l'étonnement d'aimer.» Plus loin, une anecdote avec son père : «Quand il me vit, d'abord il ne me reconnut pas. [Son père était atteint de la maladie d'Elzeimer -GGJ] Puis le crêpe de la maladie s'enflamma, ses yeux s'ouvrirent sur moi, son soulagement rajeunit ses traits et il avait un visage d'enfant crédule quand il me demanda : "Comment as-tu fait pour me retrouver?" Cette parole, je l'entends chaque fois que je rencontre vraiment quelqu'un.»

Le message de Chistian Bobin est complexe de simplicité : Le paradis c'est d'être là...

Liane : Le livre chez Mercure de France.

lundi 21 novembre 2005

Dans la luge de Schopenhauer

Un roman bizarre que Dans la luge d'Arthur Schopenhauer. Quatre personnages prennent la parole. Un philosophe spécialiste de Spinoza mais qui abandonne complètement son maître à penser (ou ne serait-ce plutôt Spinoza qui abandonne son disciple?), sombrant ainsi dans une profonde dépression. Il y a aussi sa femme, qui ne semble pas plus équilibrée que son mari. Un ami qui écoute et raconte. Il dira d'ailleurs : « Beaucoup de choses peuvent avoir du sens et de la pertinence, c'est la vie qui n'en a pas, le tout n'a aucun sens mais chacune des parties en a. » Enfin, la psychiatre qui prendra la parole au dernier chapitre. Le tout, ma foi, dans un décousu assez sympathique.

Le style est très près de celui de Thomas Bernhard. Un exemple vous convaincra : « [...] pendant des années nous avions Spinoza, Spinoza! pan! pan! pan! aujourd'hui exaltations diverses, drogues et main molle. La folie n'excuse pas tout. La vie conjugale nous a tués, comme elle tue tout le monde, et ce n'est pas la philosophie croyez-moi qui vous donne un coup de main dans la vie conjugale, d'ailleurs je ne vois rien qui puisse vous sortir la tête de cette embarcation maudite, surtout pas la philosophie qui en gros, sous des allures plus ou moins provocantes, s'est toujours attachée à calmer les esprits, à réduire la bête sauvage, notre meilleure part [...] »

De plus, on retrouve ici le thème de Maîtres Anciens de Bernhard : l'abandon des «Maîtres» lorsqu'un coup dur frappe.

Bon livre? Bof, qui suis-je pour en juger? Pour moi, un livre fait son boulot lorsqu'il me donne un bon moment de lecture. Et ce livre a rempli ce travail. Voilà pourquoi je me laisserai sans doute séduire par au moins un autre Reza.

Toute passion abolie

Jubilatoire, ce roman de Vita Sackville-West (1892-1962). D'abord publié en 1931, il raconte l'histoire de lady Slane, 88 ans, qui vient de perdre son vieux mari. Après toute une vie consacrée à ce dernier, elle décide enfin de vivre la sienne. Elle quitte sa demeure de toujours pour se réfugier dans une petite maison, loin des tracas familiaux. Libre, lady Slane se fera de nouveaux amis dont l'un lancera la tirade suivante :
« [...] j'ai horreur de tous ceux qui ne voient pas le monde comme il est. C'est-à-dire monstrueux, lady Slane ! Et monstrueux parce qu'il est construit sur la compétition, sans que personne ne sache si la raison fondamentale de cette compétition est une pure convention ou une nécessité, une extraordinaire illusion, une loi naturelle ou animale destinée à disparaître à mesure que nous progressons dans la civilisation. Je crois que l'homme a construit sa vie sur un système mathématique erroné. Certes, il s'est arrangé pour que ses calculs tombent juste, parce qu'il a forcé le monde à accepter ses hypothèses. Mais si l'on choisissait de raisonner autrement, la réponse serait peut-être identique et ces hypothèses de départ apparaîtraient délirantes, astucieuses sans doute mais délirantes. Peut-être qu'un jour une authentique civilisation viendra corriger nos erreurs présentes? Mais nous avons encore du chemin à faire, oui, la route sera longue... » (p. 62)
Un excellent livre sur la beauté de la vieillesse.

samedi 5 novembre 2005

Audeguy et les nuages

La théorie des nuagesPas facile de choisir un livre. La multitude de choix donne le tournis car, parmi ces choix, il y en a tant qui semblent intéressants. C'est ainsi qu'en me baladant autour du promontoire des quasi-nouveautés, je tombe sur ce titre qui, immédiatement, attire mon attention : La théorie des nuages. La quatrième de couverture nous apprend qu'il s'agit là du premier roman de Stéphane Audeguy (né en 1964). Je le feuillette rapidement et quelques phrases lus ça et là m'indiquent que ce bouquin me ferait passer un heureux moment de lecture. Coût : près de 30$. Hésitation. Je le remets sur son promontoire, bien en place.

J'hésite.

Je quitte la librairie.

De retour à la maison, je sens un manque. Pourquoi diable n'ai-je pas acheté ce bouquin ? Bien sûr, j'ai déjà tant à lire. Bien sûr, c'est un nouvel auteur qui n'a pas encore fait ses preuves. Bien sûr, c'est 30$... Mais toutes ces raisons m'apparaissent faibles.

Heureusement, pouvant m'arrêter chez un libraire la semaine suivante, je l'ai acheté.

Qu'en dire ? C'est l'histoire très particulière d'un célèbre couturier japonais qui collectionne les livres sur les nuages et qui demande à une jeune bibliothécaire de les classer. On apprend la petite histoire des premiers hommes qui se sont intéressés à la catégorisation des nuages. Audeguy a une belle plume (voir quelques citations sur Au fil de mes lectures) et j'ai passé un heureux moment avec ce roman. Vers la fin du livre, j'ai fait un lien vers le Kuhn. Page 280 : « Au Centre météorologique, elle rencontre régulièrement les meilleurs spécialistes européens de la météorologie moderne; en les écoutant, en les questionnant, Virginie Latour comprend que Richard Abercrombie n'est pour eux qu'une figure pittoresque et pathétique, de la préhistoire météorologique; ce qu'un alchimiste est à la chimie moderne. Car pour ces informaticiens, ces mathémématiciens, ces géographes, la Science est ce qui se fait ici et maintenant; on connaît vaguement les grands précurseurs. Le reste n'existe pas, n'existe plus. »