Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

lundi 2 octobre 2006

La bibliophilie

Voici tantôt trente ans que j'aime les livres, que je m'en occupe, que je les palpe et que j'en achète. Or je ne suis guère plus fort en bibliographie que ne l'était Sosthène Ducantal sur l'instrument de Paganini. je ne suis pas un savant, je suis un fervent ; et c'est la messe d'un curé de campagne que je dis devant mon humble bibliothèque.

Mais si j'avais à recommencer ma carrière d'amateur de quinzième ordre, je ferais tout d'abord une belle collection d'outils de bibliophile, de livres spéciaux à la bibliophilie; manuels, dictionnaires, traités, catalogues.

Je sais des collections inestimables de catalogues que d'ingénieux bibliophiles, trop peu fortunés pour acheter des livres de cinq, six, sept, huit et-même de vingt mille francs, ont rassemblées et où ils lisent la description des trésors qu'il leur est défendu de toucher. Ils ressemblent un peu, je l'avoue, à ces gourmands idéologues qui vont manger leur pain devant le soupirail d'une cuisine en renom; mais à force de se nourrir de fumée, ils finissent par acquérir un flair relativement délicat.

Jules Richard, L'art de former une bibliothèque, 1883

samedi 23 septembre 2006

Un vieux débat

Dans les dernières années de l'Ancien Régime « un débat très vif oppose deux courants éducatifs majeurs : l'un, inspiré des philosophes, place l'enfant au coeur du système, l'enfant dont la nature est la référence principale ; l'autre, issu de la tradition chrétienne, donne aux connaissances la première place, celle de Dieu, des langues françaises et savantes, des belles-lettres et des sciences. Dans cette éducation, il n'est pas aberrant de soumettre l'enfance, de la contraindre pour l'élever, la libérer de ses mauvais penchants et nourrir son esprit » (M. Grandière, L'Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle.)
Pierre Billouet, Comment se peut-il qu'un enfant soit bien élevé par qui n'a pas été bien élevé lui-même (Rousseau), p.23, Pleins feux, coll. Variations, 2004)

samedi 16 septembre 2006

L'ennui en 1747

L'agrément couvre tout, il rend tout légitime.
Aujourd'hui dans ce monde on ne connaît qu'un crime,
C'est l'ennui : pour le fuir tous les moyens sont bons.
Jean-Baptiste Gresset, Le Méchant (1747), acte 5, scène 7

vendredi 18 août 2006

Divine télévision

Ne peut-on considérer [...] comme le suggère Karl Popper, que la télévision, le média politiquement et techniquement le plus puissant, a pris de nos jours la place de Dieu ? Dans notre civilisation où le bruit règne en maître, le sacré semble se réfugier dans l'écoute d'une télévision, dont le bavardage impose le silence à tous et étouffe la Parole de Dieu. La télévision ne s'octroie-t-elle pas également l'ubiquité divine, en nous transportant, dans une immédiateté et une transparence apparentes, au coeur même des événements dont elle prétend nous faire les contemporains ?
Étienne Naveau, La foule, c'est le mensonge (Kierkegaard), p. 20, Pleins Feux, coll. Variations, 2002

vendredi 30 juin 2006

L'art littéraire

La littérature n'est pas née le jour où un jeune garçon criant « Au loup ! Au loup ! » a jailli d'une vallée néandertalienne, un grand loup gris sur ses talons : la littérature est née le jour où un jeune garçon a crié « Au loup ! Au loup ! » alors qu'il n'y avait aucun loup derrière lui. Que ce pauvre petit, victime de ses mensonges répétés, ait fini par se faire dévorer par un loup en chair et en os est ici relativement accessoire. Voici ce qui est important : c'est qu'entre le loup au coin d'un bois et le loup au coin d'une page, il y a comme un chatoyant maillon. Ce maillon, ce prisme, c'est l'art littéraire.
Vladimir Nabokov, Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Éditions Stock.

vendredi 23 juin 2006

Le voyage

Paul Morand citant son père dans Le voyage, Notes et Maximes, Librairie Hachette, 1927.

Le plus beau voyage d'ici-bas
C'est celui qu'on fait l'un vers l'autre.

À rapprocher des merveilleux vers de La Fontaine (Les Deux Pigeons):

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;

lundi 29 mai 2006

Pour un Québec LL

« Apprendre aux élèves à utiliser les produits Microsoft, c’est comme leur apprendre à fumer. C’est leur donner une habitude coûteuse, dangereuse et dont ils se déferont difficilement. »
Richard Stallman
C'est une jolie citation de Stallman dont, malheureusement j'ignore la source. Dans quelques jours, on aura droit à un Québec sans fumée. Quand obligera-t-on nos institutions publiques à utiliser d'abord le logiciel libre?

lundi 8 mai 2006

Écrire, compter et ...

« Je suis toujours surpris de rencontrer des jeunes gens de 20 ans qui ne savent pas programmer. Je crois qu'il leur manque une qualité essentielle pour percevoir la merveilleuse simplicité du monde. L'informatique devrait être une matière fondamentale au même titre que les langues ou les mathématiques. Nous devrions tous savoir écrire, compter et programmer, sinon nous ne pouvons plus comprendre le monde et nous y épanouir.
  - Pour moi, écrit le mathématicien Gregory Chaitin, vous ne comprenez quelque chose que si vous êtes capable de le programmer. (Vous, et personne d'autre !) Autrement, vous ne le comprenez pas vraiment, vous pensez seulement que vous le comprenez. »
Thierry Crouzet, Le peuple des connecteurs, p.98, Bourin 2006.

samedi 15 avril 2006

De la fleur à l'étoile

Un commentaire laissé sur Au fil de mes lectures demande l'origine de cette citation : « Quand on cueille une fleur, on dérange une étoile. » Une rapide recherche dans Google trouve plusieurs sites qui attribuent la phrase à Théodore Monod, mais, malheureusement, sans donner la référence. J'ai donc poussé légèrement plus loin mes recherches pour m'apercevoir que d'autres sites indiquaient Francis Thompson comme auteur.

Comme j'ai quelques dictionnaires anglophones de citations, j'ai pu découvrir l'origine de cette superbe phrase. Elle provient effectivement d'un poème de Thompson intitulé The Mistress of Vision. L'extrait suivant contient la citation exacte :
When to the new eyes of thee
All things by immortal power,
Near or far,
Hiddenly
To each other linked are,
That thou canst not stir a flower
Without troubling of a star.

Synchronicité oblige, j'ai lu hier le beau texte de Christian Bobin, L'Équilibriste, dans lequel il nous dit : « Pour lire un roman, il faut deux ou trois heures. Pour lire un poème, il faut une vie entière. »

La poésie sauvera-t-elle l'homme-bolide ? Rien n'est moins sûr.

Lianes :
Un texte pouvant expliquer les raisons de l'attribution à Monod de cette citation.
Citations de Bobin tirées Au fil de mes lectures.

mercredi 8 mars 2006

Citation du jour

On sait que le propre du génie est de fournir des idées aux crétins une vingtaine d'années plus tard.
Louis Aragon, Traité du style, p.64, L'Imaginaire/Gallimard n°59.

mardi 28 février 2006

Somnambule

« À vouloir nous expliquer le fond de notre être par des résidus que la vie du jour dépose sur la surface, [le psychanalyste] oblitère en nous le sens du gouffre. Dans nos cavernes, qui nous aidera à descendre ? Qui nous aidera à retrouver, à reconnaître, à connaître notre être double qui, d'une nuit à l'autre, nous garde dans l'existence. Ce somnambule qui ne chemine pas sur les chemins de la vie, mais qui descend, toujours descend à la quête de gîtes immémoriaux. »
Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 128, Quadrige n°62

samedi 14 janvier 2006

Vaneigem

« Ne permettez plus que les hommes politiques stigmatisent l'insupportable violence faite aux individus alors qu'ils la suscitent sciemment, dès l'enfance, vulgarisant, au nom de la rentabilité, un élevage concentrationnaire où, parqués de vingt-cinq à trente par classe, les écoliers se trouvent crétinisés par les principes de compétition et de concurrence, soumis aux lois de la prédation, initiés au fétichisme de l'argent, confits dans la peur de l'échec, infestés par l'arrivisme, livrés à des fonctionnaires amers et mal payés, moins enclins à nourrir la curiosité des jeunes générations qu'à se venger sur elle de leurs infortunes.
Les collectivités d'enseignants, de parents et d'élèves n'ont-elles pas le pouvoir d'imposer des normes scolaires répondant, non à la rentabilité des malversations budgétaires, mais au souci de confier à un grand nombre d'accompagnateurs d'apprentissage, aussi avides d'enseigner que de s'instruire, de petits groupes d'enfants et d'adolescents à qui rien de ce qui est humain ne demeurera étranger ?
Si elles ne l'ont pas, qu'elles le prennent ! Qu'elles exigent, à contre-courant des coupes et des concentrations opérées par l'économie parasitaire, la multiplication de petites écoles, permettant à l'enseignant d'individualiser son enseignement et de propager jusque dans le milieu familial et social cette intelligence sensible du vivant, seule capable de décourager la barbarie ! »
Raoul Vaneigem, Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.108, Rivages poche n°480.

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