Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mardi 19 avril 2005

S'assimiler

« Si un livre, réputé bon, vous coûte à lire, surmontez-vous. Habituez-vous à comprendre ce que vous n'aimez pas, afin d'arriver à aimer ce que vous n'aviez pas compris. L'esprit a ses injustices, ses partialités, ses éloignements instinctifs. Je connais des gens qui s'y sont pris à plusieurs fois pour goûter cet admirable Montaigne qui devrait être le livre de chevet de tout littérateur. On ne s'assimile rien instantanément. »
Antoine Albalat, La Formation du Style par l'assimilation des Auteurs, Armand Collin, 1901

samedi 16 avril 2005

Salle d'attente

«Ce genre de livre [le manuel scolaire -GGJ] n’a guère d’intérêt que durant les premières semaines, le temps que s’éteigne le feu d’un nouveau bouquin. Après cela, ça n’a guère plus de piquant qu’un vieux magazine dans une salle d’attente de dentiste.»
François Guité dans un commentaire sur son blogue.

samedi 9 avril 2005

Écrire

Le talent n'est qu'une aptitude qui se développe. On peut en acquérir deux ou trois fois plus qu'on en a. « J'apprends tous les jours à écrire », disait Buffon, qui ajoutait, d'ailleurs, ce mot si vrai : « Le génie n'est qu'une longue patience. »

Qui a travaillé plus sa forme que Boileau ? Et il n'était pas le seul à faire difficilement des vers faciles. La Fontaine n'a atteint le naturel qu'en refaisant près de dix fois la même fable. Taine, qui a feuilleté ses manuscrits à la Bibliothèque nationale, était épouvanté de les voir noircis de ratures. Voiture, Guez de Balzac et d'autres auteurs n'ont survécu que par leur profonde conscience de stylistes et leur continuelle soif de perfection. La Bruyère n'a publié qu'un livre qui est parfait. Pascal est le dernier mot de la netteté condensée, qu'on ne réalise que par le labeur. Montesquieu se raturait sans cesse. Chateaubriand nous apprend qu'il a refait jusqu'à dix fois la même page. Buffon recopia dix-huit fois ses Époques de la nature. Flaubert, on le sait, s'est tué à la peine. Pascal nous dit qu'il a refait jusqu'à quinze fois certaines Provinciales.

Si tous nos classiques avaient raconté leus procédés de composition, on verrait que Flaubert n'a pas été le seul à lutter contre les tortures de la phrase. Le style de la plupart des grands prosateurs sent le travail. Le travail est visible dans Boileau, Montesquieu, Buffon. Non seulement, je crois qu'il ne faut pas leur en faire un reproche, mais j'oserais dire que cette constante application, qui se manifeste à toutes leurs pages, ajoute un charme de plus à leur lecture, de même que la science d'orchestration augmente, pour les connaisseurs, l'attrait d'une audition musicale. Il n'y a guère que La Fontaine qui échappe à cette loi et chez qui le travail ne se sente pas. Or, c'est précisément celui qui a le plus travaillé !

Le principe de l'effort au travail, du continuel raturage est donc indiscutable. Il faut l'adopter a priori, aveuglément.

Antoine Albalat, L'art d'écrire, Armand Collin, p. 175

mercredi 6 avril 2005

Paul Erdös

« Je sais que les nombres sont beaux. S'ils ne le sont pas, rien ne l'est. » Surnommé l'homme qui n'aimait que les nombres, Paul Erdös, disparu en 1996 à 83 ans, était hongrois, surdoué et quelque peu excentrique. Il a parcouru le monde, d'université en centre de recherche, stimulant partout où il passait la créativité mathématique. Cosignataire de plus de 1 500 articles sur les sujets mathématiques les plus divers, il faisait mine de dormir aux conférences les plus sérieuses. En lien avec la période historique tourmentée qu'il avait traversée, et qui n'avait pas épargné sa vie personnelle, il manifestait par des aphorismes un pessimisme universel, auquel seul l'univers du nombre, « le seul vraiment éternel », échappait. Il vouait une passion quasi mystique aux preuves « élémentaires », les plus élégantes et les plus courtes, qui selon lui constitueraient le Livre où Dieu aurait consigné les preuves parfaites des théorèmes mathématiques.
Anita Castiel, Interstices