Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

lundi 25 mai 2009

Merveilleux nombres

« Avec les nombres on peut faire ce qu'on veut. Si j'ai le nombre sacré 9 et que je veux obtenir 1314, date du bûcher de Jacques de Molay -  date chère entre toutes, pour qui, comme moi, se déclare fidèle à la tradition chevaleresque templière - comment fais-je ? Je le multiplie par 146, date fatidique de la destruction de Carthage. Comment suis-je arrivé à ce résultat ? J'ai divisé 1314 par deux, par trois, et cetera, tant que je n'ai pas trouvé une date satisfaisante. J'aurais tout aussi bien pu diviser par 1314 par 6,28, le double de 3,14, et j'eusse obtenu 209. Eh bien, c'est l'année où Attale Ier de Pergame entre dans la ligue antimacédonienne. »
Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, p. 295, trad. J.-N. Schifano, Grasset, 1990

samedi 23 mai 2009

Ingres ou Wilde ?

Je me suis récemment penché (voir les citations sur Au fil de mes lectures) sur les Notes et Pensées du peintre Ingres né en 1780 et décédé en 1867. Curieusement, plusieurs sites web donnent la citation suivante du peintre :
« Avec le talent on fait ce qu'on veut. Avec le génie on fait ce qu'on peut. »
mais, comme c'est si souvent malheureusement le cas, sans donner la référence. Cela éveilla ma suspicion, car je ne l'avais pas relevée dans ses Notes et pensées.

En posant la question au divin Google, j'ai même trouvé que certains l'attribuaient (encore une fois sans la référence) à Oscar Wilde. De Google normal, je suis allé dans son outil LIVRES et, en tapant la phrase exacte, je suis tombé sur l'article ci-contre de L'intermédiaire des chercheurs et des curieux. Je n'étais donc pas le seul à me poser la question !

Commençons par répondre à M. Cabidos : L'éditrice Sagaert cite une phrase de Paul Valéry tirée de Mélanges (p.375, in Oeuvre t.1, La Pléiade). Cette citation se trouve d'ailleurs sur Au fil.

Je suis retourné voir le journal de Gide à l'entrée bien rapportée par M. Cabidos. J'ai remarqué qu'à peu près au même moment, Gide parle aussi de sa lecture du livre Oscar Wilde et moi de Lord Alfred Douglas. Cette lecture lui aurait-elle fait remémorer un mot de Wilde ? C'est ainsi que j'ai parcouru les entrées consacrées à ce dernier dans mon Bartlett et mon Oxford. Mais peine perdue. Je possède cependant deux recueils de citations de Wilde. Encore là, sans succès.

Et tous mes dictionnaires de citations (et j'en ai beaucoup) restaient absolument silencieux ou répétaient tout simplement que le mot provenait du journal de Gide citant Ingres.

Je me suis donc mis à la recherche du côté anglophone. Et je suis tombé sur :
Of a life's prime purpose, it is to sit down content with a little success.
Talk not of genius baffled. Genius is master of man.
Genius does what it must, and talent does what it can.
Blot out my name, that the spirits of Shakespeare and Milton and Burns
Look not down on the praises of fools with a pity my soul yet spurns.
Owen Meredith, The poetical works

On pourrait traduire par « le génie fait ce qu'il doit, et le talent ce qu'il peut. »

Décortiquons les deux énoncés. Dans le cas de Gide, il faut entendre qu'il faut se «débrouiller» avec le génie, qu'on ne le commande sans doute pas étant considéré plus grand que soi. Alors qu'avec le talent, plus malléable, il nous permet de faire ce qu'on peut.

Le sens de Meredith est un peu le même : le génie étant au dessus, on ne peut le déconcerter. Il est maître de nous. Le génie fait ce qu'il doit faire avec l'homme. Et le talent, seulement ce qu'il peut.

Dans le cas de Gide, l'homme fait ce qu'il veut faire avec le talent, mais ne pourra dépasser cette limite.

Que conclure de tout cela ? Ma foi, que Gide aurait lu Meredith et l'aurait mentalement traduit m'apparaît une hypothèse plausible. Or, en vérifiant dans le journal de Gide, j'y trouve plusieurs entrées sur Owen Meredith. Gide en était donc un lecteur, ce qui expliquerait son « Je ne sais plus de qui ce mot admirable. »

À moins que l'on ne me trouve la phrase exacte dans une oeuvre en français, je vais considérer ma conclusion comme étant seule valable.

Autre conclusion : soyez prudent avec les sites de citations qui citent bien un auteur, mais non sa référence exacte.

mercredi 13 mai 2009

Les mots

« On peut faire une révolution complète dans les idées, sans être obligé de bouleverser la langue pour les exprimer. De Bossuet et Pascal à Montesquieu et Voltaire, quel immense changement d'idées ! À la place de la foi, le doute ; à la place du respect le plus profond pour les institutions existantes, l'agression la plus hardie : eh bien, pour rendre des idées si différentes, a-t-il fallu créer ou des mots nouveaux ou des constructions nouvelles ? Non; c'est dans la langue pure et coulante de Racine que Voltaire a exprimé les pensées les plus étrangères au siècle de Racine. Défiez-vous, ajoutait M. Andrieux, des gens qui disent qu'il faut renouveler la langue ; c'est qu'ils cherchent à produire avec des mots, des effets qu'ils ne savent pas produire avec des idées. Jamais un grand penseur ne s'est plaint de la langue comme d'un lien qu'il fallût briser. »
Adolphe Thiers, Histoire de la révolution française, T.1, p. xix, 1846

Je cherche toujours dans quelle œuvre Andrieux a écrit son idée sur le renouvellement des mots.