Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

jeudi 23 février 2006

PhiloBlogue

La semaine dernière, j'ai rendu visite aux élèves de Mario Cyr dans sa classe de philosophie (cinquième secondaire). J'ai trouvé absolument fascinant l'art d'écouter et d'intervenir des élèves. Ils émettaient des opinions réfléchies et bien argumentées. Ils étaient capables de contredire leurs compagnons, tout en gardant un grand respect dans leurs propos. Et, surtout, ils réfléchissaient par eux-mêmes! Y aurait-il donc de l'espoir en éducation au Québec?

Entre autres, la discussion a tourné autour de l'utilisation du Philoblogue. Tout ça pour alimenter un peu plus l'atelier que j'anime à l'Aquops en avril. Mon idée n'est pas encore faite quant à l'utilisation scolaire des blogues. Par exemple, j'ai grand-peur qu'on utilise ce nouvel outil avec un contrôle enseignant tel, que plus aucun élève ne veuille y entrer des billets. Un peu comme ces conseillers pédagogiques dans les années 80 qui ont complètement dénaturé le langage LOGO en proposant des séquences d'enseignement strictes. J'ai peur qu'on écoeure les élèves avec ça, qu'on en fasse du scolaire plate. Heureusement, ce n'est pas le cas en ce qui concerne le PhiloBlogue.

Mais quand je lis Edgar Morin :
L'apprentissage de l'auto-observation fait partie de l'apprentissage de la lucidité. L'aptitude réflexive de l'esprit humain, qui le rend capable en se dédoublant de se considérer lui-même, cette aptitude que certains auteurs comme Montaigne ou Maine de Biran ont admirablement exercée, devrait être chez tous encouragée et stimulée. Il faudrait enseigner de façon continue comment chacun produit le mensonge à lui-même ou self-deception. Il s'agirait d'exemplifier sans cesse comment l'égocentrisme auto-justificateur et la bouc-émissarisation d'autrui conduisent à cette illusion, et comment y concourent les sélections de la mémoire qui éliminent ce qui nous gêne et enjolivent ce qui nous avantage (ce pourrait être par l'incitation à tenir un journal quotidien et à y réfléchir sur les événements vécus.)
La tête bien faite, p. 57, Seuil, 1999.
je ne peux qu'appuyer encore plus ma conviction qu'il y a « quelque chose à faire là ».

Je suis extrêmement fier qu'un cours de philo se donne dans une classe de ma CS. Et je ne peux que déplorer que cette pratique ne soit pas généralisée dans la province. Car, comme le dit encore Morin :
La philosophie n'est pas une discipline, c'est une puissance d'interrogation et de réflexion qui porte non seulement sur les connaissances et sur la condition humaine, mais aussi sur les grands problèmes de la vie. Dans ce sens, le philosophe devrait partout stimuler l'aptitude critique et autocritique, ferments irremplaçables de lucidité, et partout encourager à la compréhension humaine, tâche fondamentale de la culture.
La tête bien faite, id. p.59.

Bravo à Mario, bravo à ses élèves et longue vie au Philoblogue.


mardi 21 février 2006

Ce grand besoin de catégoriser...

Élève: J'existe car je suis évalué.
Enseignant: J'existe car j'évalue.
Directeur d'école: J'existe car j'ordonne d'évaluer.
Ministère de l'éducation: Rien n'existe hormis l'évaluation.
Ernest Abbé

La droite se cache toujours [...] derrière la restauration des savoirs et des évaluations.
Monique LaRue


Sur la liste privée du RÉCIT, une petite discussion sur les échelles de niveaux de compétence. On semble rechercher des échelons pour situer un enseignant relativement au développement de sa compétence TIC. Mon commentaire :

Hum... il faut se demander à qui et à quoi servent les échelles. Si on compare avec les échelles de niveaux de compétence du primaire, par exemple, c'est d'abord un outil d'enseignant permettant à ce dernier de situer l'élève au niveau de sa progression. Et, il faut bien le dire, au primaire, ce qui n'est pas le cas au secondaire, les échelles sont non prescriptives. Cela signifie entre autres, qu'au primaire, les échelles sont un outil pédagogique de plus dans la boîte à outils de l'enseignant, alors qu'au secondaire, elles serviront au classement des élèves.

Pourquoi un professionnel aurait-il besoin d'échelons ? (Pour le salaire, c'est l'fun, mais encore là avec le gouvernement Charest, échelle ou pas, c'est merdique).

Prenez votre cas personnel : avez-vous besoin d'une échelle quelconque de niveaux de compétence pour vous situer. Ou encore, aimeriez-vous que votre boss vous évalue à l'aide d'une échelle? Comment vous sentiriez-vous ???

Et bien, c'est pour ça que les échelles, je n'en veux pas. Je me mets à la place des enseignants, et je vois les super conseillers pédagogiques arriver avec les jolis échelons pour les classer et les catégoriser. C'est pas ma job de faire ça. De plus, si les patrons veulent les évaluer (les catégoriser), c'est à eux de se construire leurs propres outils d'évaluations.

Quant à l'autoévaluation, ne me faites pas rire : Y' A PERSONNE QUI FAIT ÇA ! Et surtout pas avec des échelles. À moins que vous aimiez répondre à des questionnaires genre Châtelaine. Un être intelligent s'autorégule, et c'est suffisant.

Non, des échelles, je n'en ai vraiment pas besoin, ni dans ma vie, ni dans ma job.

mercredi 15 février 2006

Les Tic qui font tiquer

Sur la liste Edu-Ressources, Robert Bibeau écrit :
« 4 millions d'internautes québécois (de tous âges) en 2005.
64 % des québécois utilisent Internet couramment....
Le Québec se situe au 9e rang des sociétés les plus branchées (189 pays recensés).
Plus de 90 % des foyers ayant un enfant d'âge scolaire possède un ordinateur branché à Internet.

Le ratio élèves/ordinateur est maintenant 6 élèves /1 ordinateur ce qui permet à chaque élève d'avoir accès à l'ordinateur plus de 4 heures / semaine à l'école.
98,6 % des écoles sont branchées à Internet et 54 % sont branchées à haute vitesse...

Alors la fracture numérique est minimale pourrait-on penser.

Pourquoi ces ordinateurs branchés ne servent-ils que 50% du temps scolaire, la même proportion qu'il y a dix ans ?
Pourquoi les élèves déclarent-ils avoir accès à l'ordinateur que 1 à 2 heures / semaine à l'école ? Et ces proportions diminuent depuis deux ans ??? »
Ma réponse :

Vous promenez-vous dans les écoles? Les ordinateurs vieillissent. Dans bien des cas, tout est contrôlé par les services informatiques; le pédagogue n'a rien à dire, et, s'il se mêle de faire des demandes, on le fait poiroter et on lui donne toutes sortes d'explications bidons pour ne pas améliorer les choses. Encore cette semaine, une enseignante me rapportait son expérience avec un tech :

- Je suis sur tel site en Flash que j'aimerais bien utiliser avec mes élèves, mais le son ne fonctionne pas ...
- Bof, ton ordinateur n'a pas assez de mémoire!
- Ah... Pourtant, j'arrive à voir l'animation.
- (soupir) C'est la mémoire, c'est certain.
- (Timidement) Ça pourrait pas être les speakers?
- (re-soupir) Mais non, c'est la mémoire et y'a pas d'argent pour mettre à jour. Vis avec c'que t'as.

Après que le tech. ait quitté, l'enseignante, incrédule, essaya des speakers provenant d'une autre machine... Tout était bien fonctionnel.

Autre cas (toujours cette semaine...)

-Pourrais-tu jeter un oeil sur le canon, il ne fonctionne plus.
-Je l'ai regardé la semaine passée, et il fonctionne très très bien.
Le lendemain, spectacle dans la salle publique. On installe le canon. Il ne fonctionne pas. On appelle le tech. Il a pris une heure, en bougonnant, à le faire fonctionner.... Évidemment, faut pas généraliser, mais des histoires comme celles-là, j'en entends depuis des années.

Je suis bien tanné de voir qu'en 2006, on bloque des ports, on limite l'accès à certains sites, on empêche le clavardage, on bloque le courriel hotmail, etc. Conclusion : Les jeunes, ils font de l'informatique en dehors de l'école, parce qu'à l'école, ça vaut pas grand'chose. Et, je tiens à le souligner, ce n'est pas la faute des enseignants. J'en connais de TRÈS allumés, qui auraient pu (et voulaient) développer la compétence TIC chez les élèves, mais qui, devant les niaiseries (et là, je suis gentil) du système, ont complètement décroché.

C'est aux gestionnaires à réagir s'ils tiennent vraiment au développement scolaire de la compétence TIC. Sinon, qu'on arrête les chichis des bien-pensants et qu'on la supprime du programme de formation.

Pour moi, il n'y a qu'une et une seule solution : que tout le pédagoTIC passe par les services pédagogiques et non les services informatiques. Que les services pédagogiques soient entièrement responsables/imputables de l'absence (la présence???) du développement de la compétence TIC à l'école. Mais, il faut bien le dire, aujourd'hui, tout le monde s'en contre-fiche car personne ne prend la réelle responsabilité de l'échec lamentable des TIC en éducation.

mardi 14 février 2006

L'intégration des matières

Les mathématiques sont une invention humaine, inspirée par notre capacité innée à étudier avec précision des idées abstraites, alors que la physique a pour objet le monde matériel, que nous n'avons absolument pas créé. Le rapport entre la logique interne et la logique de la création matérielle paraît tout à fait gratuit.
Heinz Pagels, L'Univers Quantique.


En présentant le projet de bâtir avec quelques enseignants une situation complexe d'apprentissage et d'évaluation en mathématique, un directeur d'école m'a lancé, hargneux : «J'espère que tu vas intégrer les sciences à la situation, car ça, c'est réforme ! Et les sciences et les maths, ça va ensemble !» ... Je commence vraiment à m'aimer : je n'ai pas réagi.

Ce lieu (lien) commun maths <=> sciences m'a toujours déplu. En fait, je pense qu'intégrer les sciences aux maths n'est vraiment pas quelque chose à faire systématiquement. L'inverse m'apparaît cependant logique : intégrer les maths aux sciences. En sciences, les maths peuvent (et généralement sont) un outil de premier ordre. Quand on intègre les maths aux sciences, on ne défait pas la pensée scientifique. Cette dernière est habituellement basée sur l'induction appuyée par une (la ?) méthode scientifique. Les maths sont alors un outil qui permet d'articuler cette pensée. En ce sens, on «intègre» (je préfère le mot «utilise») les maths aux sciences.

Mais comment intégrer les sciences aux maths ? Franchement, je ne vois pas trop. Les maths sont d'abord déduction, rigueur et communication serrée de la pensée.

Par exemple, le scientifique qui observe : (1 - 3 - 5 - 7 - 9) pourra induire que le nombre suivant est 11. Le bon mathématicien, quant à lui, ne pourra rien déduire sinon qu'il peut trouver une loi qui justifierait n'importe quel nombre à la suite. Amener l'élève vers une découverte mathématique par le biais d'une expérience scientifique est corrompre l'idée de déduction en la faisant d'abord passer par l'induction. Pour le mathématicien, l'expérience de laisser tomber 1 million de fois une balle ne démontre pas que la prochaine fois, la balle tombera. Autrement dit, le fondement de la pensée scientifique est à mon sens trop différent du fondement de la pensée mathématique pour introduire celle-ci par celle-là. Au regard des mathématiques, il est plus aisé d'intégrer le français (en s'assurant de la rectitude du langage parlé ou écrit) ou l'histoire (en s'assurant que l'enfant comprenne l'origine historique et culturelle de la pensée mathématique.)

vendredi 10 février 2006

J.T.

Ah ! voilà enfin l'explication ... Il a les cheveux tellement longs qu'il ne voit plus les rondelles. J'espère que son médecin aura une autre solution à lui proposer.

dimanche 5 février 2006

L'image du maître

La pire façon de condamner certaines idées est de les imputer à crime. Un crime est un crime et une opinion n'est pas un crime, quelque influence qu'on lui impute. Interdire un propos sous le prétexte qu'il peut être nocif ou choquant, c'est mépriser ceux qui le reçoivent et les supposer inaptes à le rejeter comme aberrant ou ignoble. C'est en fait, selon la méthode du clientélisme politique et consumériste, les persuader implicitement qu'ils ont besoin d'un guide, d'un gourou, d'un maître.
Raoul Vaneigem, Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.28, Éd. La Découverte, 2003)