Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

jeudi 2 juin 2005

La beauté II

La mathématique présentée à la manière euclidienne apparaît comme une science systématique, déductive ; mais la mathématique en voie de formation se présente comme une science expérimentale, inductive.
G. Pólya


« À Kœnigsberg, en Poméranie, il y a une île appelée Kneiphof; le fleuve qui l'entoure se divise en deux bras, sur lesquels sont jetés les sept ponts a, b, c, d, e, f, g. Cela posé, peut-on arranger son parcours de telle sorte que l'on passe sur chaque pont, et que l'on ne puisse y passer qu'une seule fois? Cela semble possible, disent les uns; impossible, disent les autres. »

C'est ainsi que commence un fameux Mémoire d'Euler : Solution problematis ad Geometriam situs pertinentis (1736). La solution d'Euler est d'une très grande beauté. Évidemment, dans son Mémoire, Euler généralise sa solution au problème. Je me contenterai ici d'utiliser sa méthode pour résoudre le problème précis des ponts de Kœnigsberg.

1. Euler commence d'abord par schématiser le problème.

2. Il indique qu'on pourrait le résoudre «en faisant l'énumération complète de tous les parcours possibles; on reconnaîtrait ainsi s'il existe ou non un chemin qui réponde à la question.» Euler, rejette cette manière, car il désire aussi une solution qui s'appliquerait à plusieurs situations du même genre. De plus, il signale «qu'après avoir terminé l'opération on aurait rencontré un grand nombre de choses qui ne sont pas en question; c'est en cela, sans aucun doute, que réside la cause d'une aussi grande difficulté.»

3. Euler indique par A, B, C, D les quatre régions séparées par les bras du fleuve : « [...] si on passe de la région A dans la région B, soit par le pont a, soit par le pont b, je désigne ce chemin par AB. Maintenant si le voyageur passe de la région B à la région D, par le pont f par exemple, je désigne la seconde traversée par BD, et l'ensemble des deux passages par ABD; ainsi, la lettre intermédiaire B désigne en même temps la région d'arrivée après la première traversée, et la région de départ pour la seconde.»

4. Euler tire de cette notation une première conclusion : si on passe un pont, le trajet aura deux lettres. Si on passe deux ponts, le trajet aura trois lettres, etc. Dans notre problème particulier, le trajet ainsi noté aura donc huit lettres, puisqu’'on désire passer une et une seule fois sur les sept ponts. (Euler généralise en disant que pour n ponts, on aura (n+1) lettres.

5. Euler observe ensuite que si 1 pont mène à une région, la lettre de cette région apparaîtra une seule fois dans le parcours. Si 3 ponts y mènent, la lettre apparaîtra 2 fois (soit qu'au début on parte de cette région ou d'une autre quelconque.) Si 5 ponts y mènent, la lettre apparaîtra 3 fois. Encore une fois, dans son Mémoire, Euler généralise en disant que si le nombre de ponts est 2n + 1 (un nombre impair), alors le nombre de lettres de la région est n + 1.

6. Dans le cas de Koenigsberg, en franchissant tous le ponts :
Région A, 5 ponts, la lettre doit apparaître 3 fois.
Région B, 3 ponts, la lettre doit apparaître 2 fois.
Région C, 3 ponts, la lettre doit apparaître 2 fois.
Région D, 3 ponts, la lettre doit apparaître 2 fois.

Donc, le parcours doit avoir un minimum de 9 lettres. Or, au point 4, nous avons démontré que la solution du problème exige un parcours de 8 lettres. Donc, la solution cherchée est impossible !!!

Mes constats :
L'énoncé du problème est très simple. À la volée, n'importe qui peut tenter de trouver une route remplissant les conditions. Après quelques essais, on se rend compte qu'y trouver une réponse, par contre, est un défi de taille.

Le problème en soi n'est pas très pratique et ne sert réellement à rien. C'est plutôt une question ludique.

La solution, quant à elle, est brillante. Euler fait d'abord un diagramme de la situation en y accolant quelques symboles. Puis, il formule le problème à partir de raisonnements sur ces symboles. Il constate alors que si la condition du problème est remplie alors elle implique une contradiction. Ce qui signifie que les conditions ne peuvent se réaliser! C'est ce qu'on appelle couramment une preuve par l'absurde : on suppose le problème résolu, et on constate une conséquence impossible !

Aussi, la technique pour le résoudre ressemble étrangement à la méthode du problème de mon billet La beauté I. Dans ce dernier, on ajoutait de la couleur aux cases et on raisonnait à partir de cette nouvelle dimension. Apposer de la couleur aux cases du damier est équivalent à nommer les régions A, B.. Colorer les dominos est un peu comme noter les ponts a, b, c... Dans les deux cas, les superpositions des réalités (dominos sur cases, ponts sur régions) amènent une impossibilité.

Comme mentionné au billet La beauté I, il est dans mes convictions profondes qu'il faut baigner l'élève dans ce type de problèmes et dans les solutions apportées. On guide alors l'élève vers des rapprochements heuristiques et méthodologiques.
«L'heuristique se distingue de la méthodologie en ce sens qu'elle est plus une réflexion sur l'activité intellectuelle du chercheur que sur les voies objectives de solution.» (Alain BIROU, 1966)

Dernière remarque : on s'entend généralement pour dire que ce Mémoire est un texte fondateur de ce qu'on connaît aujourd'hui comme la théorie des graphes.

Lectures suggérées

É. Lucas, Récréations mathématiques T.1, Albert Blanchard, 1977
Biggs, Lloyd et Wilson, Graph Theory 1736-1936, Clarendon Press, 1977.
Article Euler, sur Wikipédia.

jeudi 26 mai 2005

La beauté I

Mathematics is not a science - it is not capable of proving or disproving the existence of things. A mathematician's ultimate concern is that his or her inventions be logical, not realistic.
Michael Guillen, Bridges to Infinity


Il peut arriver de tomber en amour avec un problème. Tel fut mon cas pour celui-ci :


C'est un tableau de 8 cases sur 8 cases auquel on a retranché la case inférieure droite et la case supérieure gauche. Le problème est de démontrer qu'il est possible (ou impossible) de couvrir les 62 cases à l'aide de 31 dominos qui englobent eux-mêmes deux cases contiguës.

Si vous prenez le temps de construire le matériel pour faire vos propres essais, vous vous rendrez bien vite compte que la chose est loin d'être simple. Plus vous ferez des tentatives, plus vous serez persuadé qu'il est probablement impossible de remplir la condition. Or on cherche ici une preuve et non pas seulement une vague impression.

C'est là qu'entre toute la beauté d'un ingénieux HAHA. Le problème avec les intuitions géniales est qu'elles peuvent survenir en 10 secondes, en 10 jours, en 10 ans ou jamais... Je vais donc ici vous dévoiler ce HAHA.

Colorons alternativement les cases en blanc et noir.

Le tableau contient maintenant 30 cases blanches et 32 cases noires, puisque les deux cases de coin supprimées sont blanches. Or, les dominos couvrent nécessairement une case blanche et une case noire puisqu'ils couvrent des cases contiguës. Nous avons au total 31 dominos. Donc, en supposant qu'il soit possible de les placer, ils couvriront 31 cases blanches et 31 cases noires. Cela est donc impossible puisque nous n'avons que 30 cases blanches. CQFD.

Je crois profondément que même si vous détestez ce type de problèmes, vous ne pouvez qu'être estomaqué devant une telle démonstration du raisonnement humain. Cette solution est à mon avis d'une très grande beauté. Elle est simple, ingénieuse, brillante. Cette solution illustre la force de notre cerveau et je vois difficilement comment un superordinateur équipé d'une intelligence artificielle grandiose pourrait arriver à une telle solution. Mais s'il y arrivait, alors je donnerais certainement le statut de vivant à cette machine.

Revenons un peu sur le problème pour en tirer quelques observations.
  1. Il est aculturel car aucune connaissance préalable n'est nécessaire;
  2. Il est de la catégorie essaie-erreur où tous les essais seront ratés;
  3. Il est extrêmement plate, et ne semble avoir aucune utilité pratique;
  4. Son énoncé est très simple;
  5. Il n'attirera probablement que peu de personnes.
Pour ma part jamais je ne demanderais à des élèves de le résoudre.

Cependant, je n'hésiterais pas un instant à le leur soumettre. Et après cinq minutes maximum d'essais, je leur balancerais la solution. Car, voyez-vous, le grand intérêt ici réside justement dans la beauté de sa solution, et dans les discussions qui risquent d'en découler. D'ailleurs, mon objectif serait de vérifier si les élèves sont capables d'apprécier une telle solution. (Pourquoi n'existe-t-il pas une compétence intitulée «Apprécier des oeuvres mathématiques»?) De plus, il est dans mes convictions très profondes qu'il faut montrer des centaines de problèmes et solutions aux élèves et tenter avec eux de dégager les caractéristiques de ces solutions de manière à ce qu'ils puissent construire une banque «expériencielle» de raisonnements mathématiques.

Mais au fait, qu'en est-il de cette solution?
  1. Elle est extrêmement simple mais extrêmement difficile à trouver (HAHA!) ;
  2. La solution consiste à ajouter des éléments qui n'y étaient pas (le noir et le blanc);
  3. Les dominos sont aussi notés (blanc-noir);
  4. Cette notation du problème a permis ensuite de le résoudre par simple raisonnement arithmétique.
Lorsque j'ai lu ce billet de François Guité sur la beauté, j'ai immédiatement pensé à ce problème dont la solution m'épate toujours autant.

mercredi 25 mai 2005

CSS, nombres entiers et pédagogie

Ce billet se veut aussi un complément à un commentaire de Benoit St-André laissé sur ce billet.

Le HTML (HyperText Markup Language) est le véritable crayon du web. C'est à l'aide de ce langage qu'on crée des pages web. Pour avoir une idée de ce à quoi ça ressemble, de votre navigateur, choisissez l'option afficher le code source. Vous verrez alors ce qui se cache derrière la page que vous lisez.

CSS est l'acronyme pour Cascading Style Sheets. C'est aussi un langage qui s'intègre au HTML pour donner du style à la page.

Dans ma CS, il y a un enseignant qui dès le deuxième cycle du primaire, permet aux élèves de faire leurs pages web personnelles à l'aide du Blocnote de Windows. Autrement dit, les petits écrivent directement le code HTML dans cet éditeur de texte. C'est donc dire que le HTML ne demande pas un doctorat pour être utilisé.

Les CSS viennent à peu près immédiatement après un apprentissage de base du HTML. Il est donc envisageable que dès le troisième cycle du primaire, les jeunes puissent utiliser ce langage dans la structure de leurs pages web.

Or dans les CSS, il y a un truc très intéressant qui s'appelle le positionnement d'éléments. Le concept est fort simple. Par exemple, sur le blogue que vous lisez en moment, la fenêtre principale fait tout l'écran (le fond d'écran vert le délimite). Sur cet écran, le programmeur a positionné un élément à l'intérieur duquel deux autres éléments (deux colonnes) sont placés côte à côte. Les CSS permettent de positionner de manière très précises de tels éléments sur un écran.

Pour vous donner une petite idée de tout ça, voyez la figure ci-dessous (pour les besoins de l'exemple, nous supposerons que le carré rouge fait 100 pixels x 100 pixels) :
Nous avons positionné le bloc bleu à peu près au centre du bloc rouge. Dans le langage CSS, cela pourrait se traduire ainsi :
left:25px top: 25px bottom:25px right:25px
qui signifie que
  • le côté gauche du bloc bleu est situé à 25px à droite du côté gauche du conteneur;
  • le côté haut du bloc bleu est situé à 25 pixels en bas du côté haut du conteneur;
  • le côté bas du bloc bleu est situé à 25 pixels en haut du côté bas du conteneur;
  • le côté droit du bloc bleu est situé à 25 pixels à gauche du côté droit du conteneur.
Question de m'assurer que vous avez bien compris, ici :
on pourrait décrire la situation ainsi :
left:50px top:50px bottom:0px right:0px.
Mais qu'arrive-t-il si on déplace la bloc positionné un peu à l'extérieur du conteneur ? Comment décrire cette position?

L'illustration ci-dessous met les repères essentiels :
Remarquez comment le positif se retrouve toujours à l'intérieur du conteneur, ce qui, vous en conviendrez est assez logique. Et donc, un positionnement comme l'illustration ci-dessous :
se noterait à peu près ainsi : left: 75px top: -25px right: -25px bottom: 50px
Remarquez la superbe introduction des nombres négatifs pour préciser le sens du positionnement du côté. Notez aussi que dans le même système, se déplacer vers la droite peut être positif si c'est le côté gauche qui se déplace (flèche 1) ou négatif si c'est la côté droit qui se déplace (flèche 4). N'est-ce pas là quelque chose de remarquable et d'inusité mais, dans le fond, très logique. Notez aussi la nécessité d'utiliser quatre nombres pour préciser la position. (Par comparaision, dans le plan cartésien, deux nombres seulement sont nécessaires.) Si on veut, c'est une espèce de géométrie à quatre dimensions et, mathématiquement parlant, on pourrait sans doute construire toute une série de théorèmes sur cette géométrie. On pourrait même introduire une troisième (cinquième?) dimension car le CSS permet de donner une priorité à la visibilité des objets. Dans les cas ci-haut, on pourrait par exemple basculer le bloc bleu derrière le bloc rouge.

L'intérêt de baigner l'élève (qui le désire) dans un tel système est justement le fait qu'il s'approprie et manipule concrètement un système, une convention. Lorsqu'il sera appelé, plus tard, à étudier le système cartésien ce ne sera plus pour lui qu'un autre système de positionnement, une autre convention. De la même manière, lorsqu'il étudiera le système de coordonnées sphériques où, pour positionner un point, on donne une longueur et un angle.

L'avantage du CSS (et de toute programmation informatique) réside dans l'expérience directe de la résolution de problèmes car on voit ce que ça donne en testant immédiatement son code. Quoi de mieux pour développer sa compétence à résoudre des problèmes?

lundi 23 mai 2005

La relation d'ordre chez les entiers

Avertissement

Cet article fait suite à mon billet où un élève cherchait à comprendre que le produit de deux entiers négatifs donne un nombre positif. Dans cette suite, je tiens pour acquis que le concept de soustraction chez les entiers est très bien compris par l'élève.


Quelquefois, hasarder des réponses est seulement une manière d'éclaircir pour soi-même des questions.
Alessandro Baricco, L'âme de Hegel et les vaches du Wisconsin.


ÉLÈ : Puis-je vous déranger un instant?
En soulevant les yeux de son livre, il aperçut son élève de sa dernière classe de récupération.
ENS : Bien sûr, assieds-toi.
ÉLÈ : Ça ne fonctionne pas votre truc de billes blanches et de billes noires.
Sourire de l'enseignant.
ENS : Et pourquoi donc?
ÉLÈ : Vous avez vos billes ? Je vais vous montrer...
L'enseignant sortit les deux boites de son jeu de Go. L'élève prit alors 5 billes noires dans sa main droite et 4 billes blanches dans sa main gauche.

comparaison


ÉLÈ (fièrement) : Dans votre système, on a -5 d'un côté et +4 de l'autre.
L'enseignant était content. Le rapport concert/abstrait était pour lui une grande satisfaction pédgogique.
ÉLÈ (continuant, esquissant un large sourire sarcastique) : Mais dites-moi donc lequel est le plus grand des deux?
L'enseignant était heureux. L'élève creusait maintenant dans les concepts. Comme il ne répondait pas à l'élève, ce dernier ajouta :
ÉLÈ : Vous voyez bien que votre système basé sur «+1 et -1 équivalent au neutre» ne fonctionne pas ! Curieusement, l'élève semblait manifester de la déception.
ÉLÈ (continuant) : Après la récupération de l'autre jour, j'ai expliqué plusieurs fois votre système à des copains... jusqu'à ce que mon prof de math le jette par terre avec cette question. Il m'a dit que ce système était bien beau, mais qu'il ne pouvait tout expliquer chez les entiers. «Preuve étant cette notion de plus grand et de plus petit» a-t-il dit.
ENS (rageant intérieurement contre l'enseignant de math de l'élève) : Intéressant.
ÉLÈ : C'était quand même cool, les billes. Mais comme c'est un truc comme un autre...
ENS : Tut, tut, tut. Ce n'est pas un truc!
Puis, prenant une respiration...
ENS : Essayons de creuser un peu plus, veux-tu?
L'élève haussa les épaules.
ENS : Tu te rappelles sans doute que pour comprendre la multiplication chez les entiers, nous avons commencé par explorer ce concept chez les naturels.
ÉLÈ : Oui.
ENS : Bon. Qu'en est-il de l'idée d'ordre de grandeur chez les naturels? Par exemple, comment peut-on dire que 5 est plus grand que 2, par exemple?
ÉLÈ : C'est évident. 5 est plus grand que deux.
ENS : Bien sûr. Mais comment as-tu fait pour le savoir?
ÉLÈ : Bien... si j'ai cinq objets, j'en ai certainement plus que si j'en ai deux! En fait, j'en ai trois de plus !
ENS : Comment ça, trois de plus?
L'élève commençait à trouver très bizarres les pseudo-ignorances du prof.
ÉLÈ : 5 - 2 = 3. C'est tout.
ENS : Donc, tu as soustrait. Es-tu d'accord que pour déterminer si un naturel est plus grand qu'un autre, on doit inconsciemment soustraire?
ÉLÈ : Ouais.
ENS : Mais si tu avais fait 2 - 5...
ÉLÈ (interrompant) : 2 - 5 est impossible chez les Naturels car deux est plus petit que cinq.
ENS : ERREUR !!! Il ne faut pas dire «Puisque deux est plus petit que cinq, alors 2 - 5 est impossible»". Il faut plutôt dire «Puisque 2 - 5 est impossible, alors 2 est plus petit que cinq.»
ÉLÈ : Bof ! C'est la même chose.
ENS (qui voyait ici une belle occasion d'entrer dans un raisonnement logique) : Mais non, ce n'est pas du tout la même chose. Dans le premier cas, tu présupposes que 2 est plus petit que 5 avant d'avoir fait la soustraction. Dans le second cas, on exécute la soustraction et ensuite on conclut que 2 est plus petit que 5. Autrement dit, pour déterminer lequel de deux nombres est supérieur ou inférieur à l'autre, on doit d'abord effectuer une soustraction. Je résume ainsi...
Et l'enseignant prit une feuille de papier et poursuivit son explication :

Supposons deux nombres naturels (on va les appeler nombre_1 et nombre_2 pour la cause.)
En les soustrayant, trois choses peuvent se produire :
1) nombre_1 - nombre_2 donne quelque chose.
ÉLÈ (interrompant) Ouais, c'est le cas si nombre_1 est plus grand que le second.
ENS : En effet, si nombre_1 - nombre_2 donne quelque chose, alors on définit le premier nombre comme étant plus grand que le second. Prenons le second cas. Si nombre_1 - nombre_2 est impossible alors on définit le premier nombre comme étant plus petit que le second. Le troisième cas représente l'égalité : Si nombre_1 - nombre_2 donne 0, alors on dira que les deux nombres sont égaux.
ÉLÈ : N'est-ce pas un peu tortueux tout ça?
ENS : Notre esprit est en effet tortueux. Un des aspects intéressants dans les maths est d'arriver à dénouer tout ça. Tout ce que j'essaie de te dire ici, c'est que pour développer la notion de grandeur chez les nombres, on doit d'abord s'appuyer sur le concept de la soustraction de ces nombres. C'est tout.
ÉLÈ : Hum... Dans le fond, ce que vous voulez me dire, c'est que pour connaître la relation de grandeur entre -5 et +4 par exemple, on devrait d'abord les soustraire.
ENS (très fier de son coup) Exactement !!!
ÉLÈ : Ouais, mais chez les entiers, la soustraction donne toujours quelque chose. Par exemple : -5 - +4 donne -9 (neuf billes noires) et +4 - -5 donne +9 (neuf billes blanches). Je ne suis pas très avancé...
ENS (très, très heureux) : Au contraire ! Reprenons un peu le raisonnement que nous avons fait chez les naturels. Supposons deux nombres ENTIERS et appelons-les entier_1 et entier_2. Effectuons une soustraction, juste pour voir.
ÉLÈ : Mais on ne sait pas la valeurs des entiers....
ENS (se retenant de parler d'algèbre). Effectivement, mais tu verras que ce n'est pas très important. Soustrayons tout de même.
entier_1 - entier_2.
ÉLÈ : ???
ENS : Quelles sortes de réponses peut-on avoir?
ÉLÈ : Mais je le répète, on ne sait pas!
ENS (patient) : Tu sais, je ne veux pas la réponse, mais la sorte de réponse.
L'élève réfléchissait et comprenait sans doute mal la question.
ENS (voulant faire le rapprochement avec le même raisonnement appliqué plus haut chez les naturels). Tu te rappelles, chez les Naturels non plus on ne savait pas la réponse, mais on pouvait dire si la réponse existait, était impossible ou valait 0. Peut-on faire le même type de constat chez les entiers?
ÉLÈ : La réponse est toujours possible chez les entiers.
ENS : Oui, bien sûr, mais n'y a-t-il pas des catégories de réponses?
ÉLÈ :???
ENS (se sentant obligé de donner un petit coup de pouce). Es-tu d'accord pour dire qu'après la soustraction, il est très possible que le résultat soit des billes blanches, des billes noires ou l'état neutre.
ÉLÈ (éclairé) : Oui, oui, bien sûr.
ENS : C'est là-dessus que les mathématiciens se sont basés pour DÉFINIR l'ordre de grandeur chez les entiers. Très arbitrairement, ils ont défini que
  • si le résultat de la soustraction est une bille blanche (un nombre positif) alors on définit le premier nombre comme étant plus grand que le second.
  • si le résultat de la soustraction est une bille noire (un nombre négatif) alors on défit le premier nombre comme étant plus petit que le second.
  • si le résultat est l'état neutre, alors on définit les deux nombres comme étant égaux.
Par exemple, -10 est plus petit que -2 car le résultat de -10 - -2 est négatif. Par contre -10 est plus grand que -20 car -10 - -20 donne un positif.
L'élève hochait la tête.
ENS : Cette convention en fait n'est pas totalement illogique. Par exemple, chez les naturels, 5 est plus grand que 4. Il est bon de retrouver à peu près cette même idée chez les entiers, c'est-à-dire que +5 soit plus grand que +4. Mais pour que cela soit logique, il faut définir que s'il reste des entiers positifs alors le premier nombre est plus grand que le second.
ÉLÈ : Donc, tout est une question de définition?
ENS : Une définition à laquelle tout le monde adhère. On pourrait très bien faire des mathématiques en définissant qu'un nombre est plus grand qu'un autre si le résultat de la soustraction est un négatif. Ce qui est important de comprendre ici est qu'une définition de l'ordre de grandeur ne peut faire du sens que si tu comprends bien au préalable le concept de soustraction. On soustrait et ensuite on définit selon le style de la réponse...
L'enseignant continua.
ENS : C'est ainsi que l'on peut ordonner tous les entiers les uns par rapport aux autres. Dans ton exemple du début, si on compare +5 avec -4 on doit les soustraire. Si on fait +5 - -4, on obtient des billes blanches, donc +5 est plus grand que -4. Par contre, si on fait -4 - +5, on aura des billes noires, donc, -4 est plus petit que +5.
L'élève semblait satisfait de l'explication.
ÉLÈ (en souriant) : Je vais parler de ça avec mon prof de maths...


Notes pédagogiques

Je crois que tous les auteurs qui abordent en entrée de jeu la notion des entiers en les déposant, bien en ordre, sur une droite numérique font une énorme bourde pédagogique. L'élève qui est confronté à cette vision n'y voit qu'un autre modèle arbitraire qui sort d'on ne sait trop où. Comme mon texte le suggère, il faut aborder la notion d'ordre après que le concept de soustraction ait été bien placé.
La droite numérique n'est ensuite qu'un modèle permettant d'illustrer l'ordre chez les entiers. On la définit ainsi : si un nombre est plus grand qu'un autre, il doit être positionné à la droite de l'autre. Si un nombre est plus petit qu'un autre, il doit être positionné à la gauche de cet autre. Je crois qu'il faut amener les élèves à construire eux-mêmes cette droite. Je suggère de poser au tableau une ligne horizontale. Ensuite, on peut donner aux élèves de la classe un entier qu'ils devront positionner à tour de rôle sur cette droite commune.
Supposons que le premier élève ait un +5. Il se lève et le place à quelque part (peu importe où) sur la droite. Le second élève a -2. Il doit décider s'il le positionne à gauche ou à droite de +5. Ce qui pourrait donner :
Le troisième élève qui a +3 à positionner doit le comparer à +5 (va à sa gauche) et à -2 (va à sa droite).
Ensuite, -9 doit être positionné à la gauche des trois nombres déjà placés.

Par la suite, on pourrait avoir quelque chose comme :

Notez la non-importance qui est accordée à la distance entre les entiers. Notez aussi qu'on n'a pas pris la peine de poser d'abord le 0 (zéro) sur la droite. Toute l'importance est mise sur l'ordre. On pourrait en profiter pour demander aux élèves s'ils croient qu'il puisse exister quelque chose entre les deux entiers du genre +3 et +4. Ils devraient justifier leur réponse. Et sans doute parviendront-ils à une définition d'entiers consécutifs. Cette définition vaut son pesant d'or, car je rappelle qu'il n'existe pas, par exemple deux rationnels consécutifs ou deux rééls consécutifs. La «consécutivité» est une notion très riche que le cerveau humain tente d'appliquer à plusieurs situations et mérite qu'on s'y attarde un peu avec les élèves. On pourrait aussi aborder la notion du vide (il n'existe RIEN entre -2 et -3 chez les entiers) et faire un lien avec les sauts quantiques. On pourrait aussi explorer les concepts de continuité et de discontinuité (le continu et le discret).
Cette simple idée (poser en ordre les entiers sur une droite) est tellement banalisée dans les manuels scolaires qu'on a tout oublié de sa profondeur.

dimanche 1 mai 2005

1 = -1

Vous voulez jouer un bon tour à votre enseignant de mathématique? Soumettez-lui ce petit paradoxe en commençant d'abord par lui demander s'il est bien d'accord avec les lois des exposants :

Extrait de la page 148 de l'excellent
Basic Concept of Elementary Mathematics de Schaaf.
Ces 6 lois se retrouvent dans
tous les bons manuels de mathématique.


Preuve n°1


Explications :

Ligne 1 : Évidemment, puisque 1 est bien égal à la branche positive de racine carrée de 1.

Nous allons maintenant manipuler le membre de droite.

Ligne 2 : Puisque -1 x -1 =1, on peut faire la substitution sous le radical.

Ligne 3 : On utilise la loi des exposants : am · an = (a)m+n. Ici, a vaut -1, m vaut 1 (car c'est l'exposant de -1) et n vaut 1.

Ligne 4 : Le passage de la ligne 3 à la ligne 4 demande un peu de culture mathématique (4e secondaire, je crois). Évidemment, vous n'êtes pas obligés de me croire. Ouvrez n'importe quel ouvrage de maths au chapitre des exposants, et vous trouverez facilement les lois des exposants. Dans le livre de Schaaf, page 148 illustrée plus haut, il s'agit de la loi VI qui permet d'écrire cette ligne.

Ligne 5 : Car 2/2 donne bien 1.

Ligne 6 : et -11 est évidemment égal à -1. CQFD !!!

Je suppose que vous ne croyez toujours pas que 1 = -1. Puisque souvent il vaut mieux deux preuves plutôt qu'une, en voici une deuxième :

Preuve n°2

Supposons a un nombre naturel quelconque différent de 0.
-1=(-1)1=(-1)(2a)/(2a)=(voir la loi V)=((-1)2a)1/(2a)=(1)1/(2a)=1
Donc -1 = 1. CQFD.

Explication sommaire de la preuve n°2 au cas où vous douteriez (!!!) de mes capacités mathématiques :
L'endroit où j'écris ((-1)(2a))1/(2a)=(1)1/(2a) est rigoureusement vraie car 2a est nécessairement un nombre pair, et (-1)un pair est nécessairement égal à 1.
Le dernier passage est aussi vrai car tout prof de math vous dira que 1 exposant n'importe quoi donne nécessairement 1.

dimanche 17 avril 2005

L'univers du zéro

Nasrudin était en train de jeter des poignées de pain à la ronde, autour de sa maison.
- Qu'est-ce que vous faites ? demanda quelqu'un.
- C'est pour tenir les tigres éloignés.
- Mais il n'y a pas de tigres par ici.
- Exactement. C'est efficace, hein?
Idries Shah, Les Soufis et l'Ésotérisme, p.75, Payot, 1972


Notre conception de l'univers est contenue dans l'idée du zéro.

Prenons le cas des entiers. Ma définition des nombres entiers est illustrée dans la figure ci-dessous. Il s'agit là d'une conception très cardinale (par opposition à une conception ordinale) du nombre entier.


De cette définition, 0 est le digne représentant symbolique de l'état dit neutre. C'est là où nous ne sommes ni au-dessus ni en dessous, ni à droite ni à gauche, sans dette ni revenu, ni positif ni négatif. C'est un zéro sans signe, la neutralité parfaite.

Allons un peu plus loin. Imaginons la soustraction suivante : +4 - +4. Réponse immédiate : 0 !!!

Mais quel sens donner exactement à ce zéro? On peut donner le sens de rien comme dans l'expression il ne reste rien. Ce rien est-il le rien neutre? Représente-t-il le même rien que dans l'opération : +4 + -4 puisque que quatre billes blanches neutraliseront (par définition) quatre billes noires. Intuitivement, je suis mal à l'aise d'écrire : +4 - +4 = 0, où le 0 est le symbole du neutre. J'inclinerais plutôt vers +4 - +4 = +0 !!!

- Mais c'est la même chose, me diront certains !
- Pourquoi est-ce la même chose?
- Bien, c'est évident !!! Il n'y a plus rien.
- Ce rien correspond-il à une absence?
- ???
- Dans votre esprit, est-ce que rien est équivalent à l'absence de quelque chose? Quelle distinction faut-il apporter au regard de l'idée du vide?
- Le vide et l'absence, c'est la même chose, non?
- Voyez ce 5$ que j'ai dans ma main. Si vous me l'enlevez, que reste-t-il?
- Rien. Il ne reste rien.
- Et tous les riens se valent-ils?
- ???
- Si je vous dis que, dans ma main, il y a 0 tigre, seriez-vous d'accord?
- Mais c'est ridicule. Il est question de dollars, pas de tigres ma foi!
- Mais 0 tigre et 0 dollar, c'est toujours 0, non?
- GRRRR.

Ce dialogue imaginaire illustre mon propos : le contexte (l'univers) dans lequel on opère doit, pédago-logiquement parlant, être toujours clair. Si, dans l'univers des entiers Z, on enlève +4 à +4, alors il ne reste aucun nombre positif, donc +0. C'est le même raisonnement qu'on peut apporter à l'opération -4 - -4 pour justifier 0 "négatif".

samedi 16 avril 2005

Les entiers et la didactique

Dieu a fait les nombres entiers, tout le reste est l'oeuvre de l'homme.
Leopold Kronecker


[...] the positive integers should not be identified with the signless natural numbers.
W. L. Schaaf, Basic Concepts of Elementary Mathematics, Wiley, 1960


Ce n'est plus un secret pour les lecteurs de ce blogue : les nombres entiers me fascinent. J'aimerais illustrer, dans ce court billet, la puissance didactique des entiers. C'est à dire, comment ces nombres éveillent certaines difficultés inhérentes à l'enseignement des mathématiques. Cela pourrait être le canevas d'une formation donnée aux enseignants.

1. Une définition

Aux élèves, les enseignants émettent souvent que la création des entiers provient du fait qu'on ne peut soustraire un plus grand nombre d'un plus petit. Par exemple, 5 - 3 existe chez les naturels, mais 3 - 5 y est impossible.
Profitons de ce constat pour inventer une nouvelle notation :
(a,b) serait l'entier défini par l'expression a - b.
On dira que cet entier est positif si a est plus grand que b et est négatif si b < a. Si a =b, l'entier sera appelé 0.
Par exemple, (5,1) est l'entier défini par 5 - 4 soit +1.
Et (1,5) est l'entier défini par 4 - 5 soit -1.

- Ridicule!, me lancera-t-on. Pourquoi se compliquer la vie avec cette nouvelle notation ??? Les négatifs, ce sont -1, -2, -3... et les positifs sont +1, +2... Et puis, deux nombres pour décrire un entier, c'est stupide non?
- Pas tout à fait, répondrais-je. On ne s'étonne pas d'une notation de type 3/4, 5/9 pour décrire les rationnels : deux nombres naturels séparés par une barre oblique. Cette notation est basée sur l'opération division. Pourquoi s'étonnerait-on de décrire un entier comme je viens de le faire? Par ailleurs, un avantage évident de cette symbolique est d'éviter la confusion entre le symbole + des entiers positifs et l'addition et le symbole - des entiers négatifs et la soustraction.

Voilà un premier choc didactique : les enfants qui voient pour la première fois la notation des fractions doivent certainement angoisser. Il faut en tenir compte!

2. L'égalité

Regardez ces trois entiers : (5,10), (12,17), (101,106). Tous trois représentent le même nombre entier (soit -5 dans la notation classique).

-Vous voyez bien que tout cela est ridicule, me lancera-t-on. -5, C'EST -5. Les élèves vont être perdus avec votre affaire !
-Ah oui ? répondrais-je. Pourtant, 2/4, 100/200, 27/54 représentent bien le même rationnel, soit 1/2. Pourquoi ne pas vous étonner de ce fait notationnel chez les fractions et s'en étonner chez les entiers?

C'est là un deuxième choc didactique.

3. Les opérations

À partir de cette définition des entiers, comment peut-on donner un sens à l'addition? N'oubliez pas que, symboliquement parlant, chez les fractions, l'addition se définit par : a/b + c/d = (ad+cb)/db. Qu'en est-il de la soustraction? De la multiplication? De la division? Faire le parallèle au niveau des difficultés avec les rationnels.

4. La relation d'ordre.

On tient encore très souvent pour acquis la relation d'ordre chez les entiers : on les met tous sur une droite numérique et on signale aux l'élève que si l'entier est à droite d'un autre, alors il est plus grand que cet autre. Mais à partir de notre notation, comment définir la relation d'ordre? Cette difficulté est aussi très présente chez les nombres rationnels. Comment, par exemple, établir la relation d'ordre entre 107/43 et 110/47 ?

jeudi 14 avril 2005

La commutativité de la multiplication chez les naturels

Ce billet de François m'a trotté dans la tête toute la journée. L'illustration géométrique et très connue de 3x4 = 4x3 me chicotait l'esprit.

Regardez bien : (ici le symbole «x» représente le mot «fois» et non «multiplié par»)

97 x 93 signifie :
93 + 93 +   ...   + 93 
^                    ^
|_______97 fois______|

et 93 x 97 signifie :

97 + 97 +   ...   + 97 
^                    ^
|_______93 fois______|

Regardez encore une fois ce que signifient ces deux expressions. Ne trouvez-vous pas étonnant que cela donne le même résultat? Bien sûr, sans effectuer aucun calcul, vous savez que le résultat est le même, mais il reste que cela semble relever du pur hasard ou encore d'un effet magique des nombres. Je signale cet exemple pour vous faire sentir le côté fantastique (fantasque?) des nombres, pour qu'à quelque part, vous soyez émerveillés par la commutativité. Or, à mon avis, lorsqu'un enfant peut expliquer pourquoi ça marche, pourquoi les deux produits doivent être identiques, alors, et seulement alors, est-on convaincu que le concept de la commutativité de la multiplication chez les naturels est acquis, et est acquis pour toujours. Le rôle de l'enseignant est de s'assurer que l'élève construit sa propre représentation de cette commutativité.

samedi 2 avril 2005

Le Go et le reste

Le merveilleux dans les nombres se trouve
dans les nombres eux-mêmes !
Pas la peine de les plomber de
desseins mystico-psychologiques.
Denis Guedj, Le théorème du perroquet.


Averstissement : Désolé pour la longueur du texte. Je me suis tellement amusé à l'écrire que je ne pouvais pas ne pas en laisser la trace ici. G.J.


L'enseignant circulait entre les bureaux. Il n'y avait que quelques élèves à cette session de récupération.
ENS : Tu es dans la loi des signes, fit-il en regardant par-dessus l'épaule d'un élève sa feuille de travail.
ELE : Ouais...
Le manque d'enthousiasme de l'élève ne l'étonnait pas. Après tout, faire une série d'exercices sans trop comprendre est un acte plutôt abrutissant ayant peu de noblesse. Il tenta une question.
ENS : Sais-tu pourquoi le produit de deux négatifs donne un positif ?
ELE : C'est juste une loi, répondit-il en pointant du crayon un encadré sur la page de son livre.
ENS : Et tu crois cette loi... juste ?
L'élève souleva un sourcil. Cet enseignant avait la réputation d'être plutôt excentrique.
ELE : Juste ?
ENS : C'est bien ma question. Est-ce un loi «juste» ?
ELE (en haussant les épaules) : C'est écrit dans le livre, elle doit être vraie !
ENS : Une loi ... vraie??? T'as déjà entendu parler d'une loi vraie???
L'enseignant approcha une chaise du bureau de l'élève et s'y installa confortablement. Tout était tranquille dans la classe.
ENS (calmement) : Dis-moi. D'après toi, d'où vient-elle cette loi?
ELE : Des mathématiciens, c'est certain.
ENS : Et les mathématiciens, ils l'ont prise où, cette loi?
ELE : Ils l'ont inventée, probablement.
ENS : Inventée ? Ils ont inventé une loi ? Une loi qui est vraie?
ELE (désorienté): Je suppose.
ENS : D'après toi, comment pourrait-on vérifier si cette loi est vraie?
ELE (sarcastique) En allant voir les réponses à mes exercices !!!
ENS (en souriant) : Mais encore ?
ELE : Je sais pas trop. On m'a toujours dit que multiplier deux moins donne un plus. Alors, je vois pas pourquoi je me poserais la question du pourquoi du comment de la chose. Ça fonctionne comme ça, c'est tout. Les maths, pour moi, c'est juste des lois qu'on doit se mettre dans la tête et qu'on doit appliquer quand le prof nous dit de le faire.
ENS : Tu es un élève bien docile.
ELE : J'ai pas le choix. Faut bien que je les réussisse ces foutues mathématiques.
ENS : Si je comprends bien, pour toi, réussir signifie «dire comme le prof
ELE : Faut bien !
ENS : Tu suis donc les consignes du prof, sans rien comprendre c'est bien ça ?
Hochement de tête.
ENS : Et si tu arrivais à comprendre vraiment que deux moins donne un plus ...
ELE (coupant le prof ) Y'a rien à comprendre. C'est une loi. C'est tout.
ENS (tentant de sonder l'âme de l'élève) : C'est tranquille dans la classe. Qu'en penses-tu si, pour une fois, tu ne croyais pas le prof, mais que tu essayais de comprendre par toi-même ? Je peux t'aider à comprendre si tu veux.
ELE (Haussement d'épaule) J'ai jamais rien compris aux maths, alors...
ENS Pourtant, tout le monde peut comprendre les maths.
Et l'enseignant écrivit sur un bout de papier : 2 x 5.
ELE : 10 !
ENS : Bravo , tu connais tes tables. Sans blague, qu'est-ce que je viens d'écrire?
ELE : ???
L'enseignant pointa le deux et dit DEUX puis il pointa la x et attendit que l'élève parle :
ELE : deux fois cinq. Ça donne 10. C'est vraiment élémentaire.
ENS : Je suis bien d'accord que deux fois cinq donne 10. Mais j'aimerais savoir si tu SAIS ce que le "fois" veut dire.
ELE : Deux fois cinq, ça veut juste dire cinq plus cinq. On a deux fois le nombre cinq. C'est simple.
ENS : Bravo ! Vois-tu une différence si j'avais lu « deux MULTIPLIÉ par cinq ? »
ELE : Ç'est pareil. Ça donne 10 aussi?
ENS : C'est pareil??? insista le prof.
ELE : Bien, ça veut dire «deux plus deux plus deux plus deux plus deux.» Mais ça donne la même réponse.
L'enseignant était content. Le concept de multiplication était bien installé chez l'élève. Il fallait maintenant lui faire prendre conscience d'une subtilité importante.
ENS : Es-tu d'accord que deux fois cinq pourrait représenter quelque chose comme deux fois un billet de cinq dollars?
ELE : Oui, je suis d'accord. Ou encore cinq fois une pièce de deux dollars.
ENS : Exactement. Mais dans les deux cas, c'est un peu comme si on avait deux catégories de nombres : un type qui représente l'objet et un autre qui représente le nombre de fois qu'on a cet objet.
Et l'enseignant dessina :
5$ 5$
deux fois
Le «deux» et le 5 n'ont pas la même signification, n'est-ce pas?
ELE (qui ne voyait pas trop où voulait en venir l'enseignant) Exact.
ENS (insistant) : Pourtant, on a bien deux nombres NATURELS. On multiplie ensemble deux nombres naturels qui ne représentent pas la même réalité. Dans un cas, on a vraiment 5$ alors que le nombre naturel deux indique tout simplement le nombre de fois qu'on doit additionner ce 5$.
ELE (comme s'il s'attendait à un piège) : Il me semble que tout cela va de soi.
ENS : Ok. Passons dans un autre monde. Celui des nombres entiers. Tu sais, les positifs et les négatifs. Ce monde-là est bien spécial, car une seule et unique règle les régit. Cette règle est d'une grande simplicité. Elle dit la chose suivante : Si on a une même quantité de nombres négatifs et de nombres positifs alors on a l'équivalent d'un état neutre. Par exemple, +2 et -2 donne un état neutre car j'ai la même quantité de «+» que de «-». De plus, le neutre est souvent symbolisé par zéro.
ELE : Mais y'a aussi la loi des signes...
ENS (coupant raide l'élève) : Non, il n'y a pas de loi des signes. Il n'y a QUE cette règle. Tout le reste est déduction logique.
ELE : ???
ENS : Tu m'as bien compris : ces lois sont ridicules. Et tu verras qu'après avoir COMPRIS, tu n'en auras pas besoin.
ELE : ???
ENS : Je vais faire un peu de maïeutique avec toi, tu veux bien?
ELE : Ta... ïeutique???
ENS : Maïeutique. C'était un procédé utilisé par Socrate, un bon gars mais il est mort maintenant... Par du questionnement, tu vas découvrir par toi-même que deux moins donne un plus. Autrement dit, tu sais que deux moins donnent un plus. Il suffit juste que tu en prennes conscience !
Les autres élèves de la classe écoutaient la conversation. Plus personne ne faisait les exercices de récupération.
ELE : Ouais...
ENS : Tu connais le jeu de GO?
ELE : ???
ENS : C'est un jeu très joué en Orient. Le Go est à l'Orient ce que le jeu d'échecs est à l'Occident. Dans ce jeu, il y a des pierres blanches et des pierres noires. J'en traîne toujours sur moi.
Et il sortit de ses poches quelques dizaines de pierres blanches et noires. L'élève était stupéfait.
ENS (en déployant les pierres sur la table) : C'est bien pratique pour expliquer les choses. Tu es prêt?
ELE : Oui.
ENS : Ok. Pour les besoins de la cause, je vais imaginer qu'une bille blanche représente un entier positif et une bille noire représente un entier négatif.
L'enseignant mis alors dans sa main deux billes blanches et deux billes noires. Puis, sans crier gare, il les lança par-dessus son épaule, pour s'en débarrasser. Il rouvrit la main et dit :
ENS : Voilà le neutre.
Tous les élèves se bidonnaient dans la classe car en lançant les pierres, l'enseignant en avait presque atteint un.
ELE (qui pensait avoir été frappé par un éclair de génie) : Hé, hé, vous voulez dire que +2 et -2, c'est 0!
ENS : Et oui. Symboliquement, on pourrait écrire : +2 + -2 = 0. Mais attention, le «+» du +2 n'a pas du tout le même sens que le + qui vient entre les deux entiers...
ELE (coupant le prof) Oui, oui, je vois bien, le premier PLUS veut dire bille blanche alors que l'autre veut dire addition.
ENS : C'est bien ça. En mathématique, on utilise assez souvent un même symbole qui représente des idées différentes. Il faut toujours se méfier.
ELE : Se méfier ? On ne m'a jamais dit ça...
ENS : Je te donnerai des exemples un autre jour si tu veux. Mais là, continuons.
L'enseignant ouvre sa main. Elle est vide.
ENS : Que vois-tu?
ELE : Rien.
ENS : Rien???
ELE : Rien.
ENS : Fais un effort d'imagination. Transporte-toi dans le monde des nombres entiers. (L'enseignant montre toujours la paume de sa main)
ELE : Je vois votre main, c'est tout.
ENS : Moi, je vois du neutre.
Et il mit dans sa paume 4 billes blanches et 4 billes noires.
ENS : Voici aussi du neutre.
Et il mit dans sa paume 10 billes blanches et 10 billes noires.
ENS : Voici encore du neutre. Tu as raison, tout ça, c'est rien (et il jeta rapidement les pierres). Oui, tout ça, c'est la même chose, du neutre seulement du neutre.
Tout le monde riait aux éclats dans la classe.
ENS : Dans le monde des entiers, RIEN peut prendre PLUSIEURS formes. Ne l'oublie jamais. C'est la SEULE et UNIQUE règle de ce monde. Cette seule règle IMPLIQUE que la multiplication de deux nombres négatifs donne un nombre positif.
ELE : Je ne comprends pas trop pourquoi vous dites cela.
L'enseignant était content. Il venait de frapper fort. L'élève était CURIEUX de connaître la suite.
ENS : Les mathématiciens aiment ÉTENDRE des concepts. Par exemple, dans la multiplication, on a bien vu tantôt que le nombre à gauche du «fois» n'avait pas du tout le même sens que le nombre à droite.
ELE : Oui, oui, je me rappelle.
ENS : Ok. Écrivons donc -2 x -5.
ELE (jetant un regard sur l'encadré de son livre) : PLUS 10 !
ENS : Ouais... toujours tes règles. Mais cette fois, tu vas trouver logiquement la réponse. Il faut d'abord trouver un sens à l'expression.
ELE : Si je me fie à votre définition, -2 x -5, c'est deux billes noires multipliées par cinq billes noires. Et ça devrait donner, because mon livre de maths, 10 billes blanches. Franchement, les mathématiciens sont fous !
ENS (joyeux) : Je pense aussi qu'ils ont un grain de folie en eux. La folie de comprendre et de symboliser le monde. Pourquoi diable dis-tu que l'expression représente deux billes noires fois deux billes noires? Alors que dans 2 x 5, tu m'as bien dit tantôt que le nombre à gauche du fois...
ELE (coupant le profs) : Attendez ! Hum... ! C'est vrai que le -2, dans -2 x -5, devrait peut-être dire autre chose... Mais je vois pas trop... Dans 2 x 5, on a additionne deux fois cinq, mais dans -2 x -5... hum... le moins cinq, pourraient signifier cinq billes noires, mais le moins deux...
Et l'éleve continuait de marmonner. Il cherchait un sens à ce moins 2. Les autres élèves s'étaient mis aussi de la partie.
ENS : Une chose demeure certaine, on doit chercher un nouveau sens à ce symbole moins qui précède le deux. Et ce sens doit respecter le principe des entiers (+1 et -1 donne le neutre). Je te suggère le sens suivant : + pourrait dire DONNER et - pourrait dire RETIRER. Cette idée est cohérente avec le principe des entiers : donner 2 et retirer 2 correspondant à un état neutre. Donner 10, et retirer 10 correspond à un état neutre, etc.
ELE : ???
ENS : Par exemple, +2 x +5 pourrait signifier DONNER deux fois 5 billes blanches. Ce qui correspond à 10 billes blanches, soit +10. Que voudrait dire +2 x -5?
ELE : Hum... donner deux fois 5 billes noires, donc on aurait 10 billes noires, soit symboliquement -10.
ENS : Tu viens donc de découvrir que UN PLUS FOIS UN MOINS DONNE UN MOINS. Donne maintenant un sens à -2 x +5.
ELE (hésitant) : Hum... retirer deux fois cinq billes blanches. C'est ridicule, non?
ENS (très heureux, ouvre sa main ) : Que vois-tu?
ELE : ???
ENS : Ne vois-tu pas le neutre?
ELE : Oh! bien sûr.
ENS : Retire s'y deux fois cinq billes blanches.
ELE : C'est ce que je disais tantôt, c'est ridicule.
ENS (insistant) : Allez, tu peux y arriver. Retire deux fois cinq billes blanches.
ELE : Je peux pas. Y'a pas de billes blanches !!!
Un autre élève de la classe s'est alors approché. Il a pigé plusieurs noires et plusieurs blanches du jeux de go, et les a déposé dans la main. Il avait en fait déposé 10 pierres noires et 10 pierres blanches.
ENS (très heureux) : Que vois-tu?
ELE (illuminé) : Je vois le neutre, puisqu'il y a la même quantité de billes blanches que de billes noires. Mais là, JE PEUX retirer deux fois cinq billes blanches. Et il me restera 10 billes noires. Donc -10 !!!
ENS : Et maintenant, comment peux-tu interpréter -2 x -5?
ELE : C'est comme ce qu'on vient de faire, mais cette fois, en retirant les billes noires, ce sont des billes blanches qui resteront !
ENS : Voilà ! Comprends-tu maintenant que la loi des signes, on n'en a pas besoin?
La cloche annonçant le prochain cours venait de sonner. En regardant les élèves quitter la classe, l'enseignant aurait tant voulu les retenir pour leur parler de soustraction, de division et de tout le reste. Il aurait aimé les laisser avec la question de l'ordre de grandeur. Par exemple, de +2 et de -2, lequel est le plus grand? Mais cela viendrait peut-être une prochaine fois.

jeudi 31 mars 2005

L'infini et le reste

La solution d'Andréanne (voir mon billet précédent) est intéressante. Si un élève arrivait avec ce raisonnement, j'en profiterais pour parler « paradoxe ».

- Savez vous que 0,9999.... est, en réalité, 1 ?
La discussion serait alors lancée :
- Ben non, voyons, car il reste toujours un petit quelque chose pour atteindre 1.
- Non, je vous le dis, 0,9999...=1
- Vous êtes fou. 0,999... est très près de 1, mais ce n'est pas 1.
Sourire sur la figure du prof : enfin l'occasion de maïeutique.
- Bon, êtes-vous d'accord si j'écris x = 0,999....
- Bof! ce n'est qu'appeler 0,9999... "x". Je suis d'accord avec votre définition.
- Hum... dans ce cas, êtes-vous d'accord que 10x donne 9,99999....
- Bien sûr puisqu'il s'agit de 10 fois 0,9999... ce qui évidemment donne 9,9999...
Le fébrilité monte chez l'enseignant.
- Ok. D'après vous, 10x - x, ça donne combien?
- Si j'enlève 1x à 10x, cela donne 9x.
- Mais 10x - x, c'est aussi, selon notre définition, 9,99999... - 0,99999. Or, d'après vous, que donne : 9,9999... - 0,9999
- Hum, d'après moi, ça donne 9 puisque la partie décimale est identique chez les deux nombres. C'est comme si on faisait 9 - 0 !
Le prof est triomphant.
- Bien voilà pourquoi 0,9999... = 1
- ???
- Bien sûr ! Vous venez de convenir que 9x = 9. Donc x = 1. Or au début de la discussion, j'ai posé x=0,9999.... CQFD !!!

mercredi 30 mars 2005

Problème français

Je viens tout juste de recevoir le courriel suivant :

J'essaie désespérément de trouver la solution à un défi mathématique que l'on vient de poser à ma fille (6ème). Je ne parviens pas à trouver un nombre entier... ce qui ne me semble pas logique sachant qu'il s'agit d'un sondage. Est-ce que par hasard vous pourriez m'aider SVP ???

Voici l'énoncé:

Un certain produit se vend liquide ou en poudre; un sondage fait ressortir les faits suivants:
1/3 des personnes interrogées n'utilisent pas la poudre
Les 2/7 des personnes interrogées n'utilisent pas le liquide
427 personnes utilisent à la fois le liquide et la poudre
1/5 des personnes interrogées n'utilisent pas du tout le produit.

Combien de personnes ont été interrogées au cours de ce sondage ?
Je ne réponds normalement jamais à ce genre de courriel, mais la question m'a intéressé. Et en résolvant le problème, je me suis aperçu que mes habiletés en calcul diminuent lamentablement. Après tout, cela fait presque 7 ans que je n'enseigne plus les maths... Évidemment, je programme un peu le PHP, mais en programmation, on ne calcule pas, on raisonne !

Et vous, saurez-vous trouver la solution ?

Sinon, vous pourriez peut-être me dire à quelle tranche d'âge correspond la 6ème en France ?

mercredi 13 octobre 2004

Pour les insomniaques

Entre quatre heures et cinq heures, l'aiguille des minutes et l'aiguille des heures sont symétriques par rapport au chiffre six.
Quelle est l'heure exacte correspondant à cette position ?

Problème tiré de Voulez-vous jouer avec nous ? de Berloquin, Dugas, Myers et Seisser, Balland, 1974

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