mardi 5 juin 2012
Miette 48 : Le jeu ne vaut pas la chandelle
Par Gilles Jobin, mardi 5 juin 2012 :: Mietteries
Le jeu ne vaut pas la chandelle.
Autrefois on ne s'éclairait pas au gaz, encore moins à l'électricité ; on n'avait pour vaincre l'obscurité que la vulgaire et fumeuse chandelle dite des quatre ou des six, suivant le nombre qu'en contenait une livre.
La mèche se coupait avec des mouchettes quand le suif qui l'entourait, peu à peu consumé par la lente combustion, la transformait en un long lumignon noirâtre d'un pouvoir éclairant douteux.
Ce genre de luminaire ne pouvait passer pour brillant dans aucun sens ; on n'en était pas pour cela moins économe de sa chandelle que l'on brûlait le moins possible; et quand on se livrait le soir à un jeu dépourvu d'intérêt, on ne l'allumait pas du tout, « le jeu ne valant pas la chandelle ».
Avant que celle-ci ait complètement disparu, pour céder la place à la blanche bougie, la femme d'un brave maire de village ne la prodiguait pas, non plus qu'elle attachait ses chiens avec des saucisses.
Un soir que son mari avait longuement veillé avec l'adjoint et le secrétaire de la mairie et rédigé force arrêtés municipaux, tous trois abandonnèrent enfin plumes, papier et encre et se mirent à traiter de vive voix les affaires de la commune. La ménagère qui, depuis longtemps, contemplait avec dépit son suif se consumer : « Vous n'écrivez plus? » leur dit-elle, et elle souffla la chandelle.
Les paroles n'ayant pas de couleur n'ont en effet pas besoin d'être éclairées.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.