Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

vendredi 30 mars 2012

Miette 27: Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras

Le travail

Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

Sommaire. - Prudente recommandation. - La mer séduit le berger. - Sagesse du pêcheur. - Le choix d'un mari. - Sottise du loup. - Écoutez La Fontaine. - Deux vers qui ne sont pas du fabuliste.

La raison, le bon sens, la réflexion, l'expérience nous conseillent de nous contenter de ce que nous possédons sans chercher à vouloir trop gagner.

Bien peu d'entre nous cependant ont l'habileté de se conformer à ce sage précepte.

Il faut croire que la chose est difficile; La Fontaine en avait certes le sentiment, car il a tenu à reproduire la même recommandation dans une demi-douzaine de ses fables.

Il nous montre un berger séduit une première fois par l'attrait de la mer, qui lui ravit tous ses biens dans un naufrage1, et ne s'y laissa pas prendre une seconde fois.

Ses félicitations vont droit au pêcheur, sourd aux doléances du carpillon qu'il met sans hésiter dans sa gibecière2, en disant :

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras
L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.

Il engage la jeune fille à ne pas se montrer trop difficile dans le choix d'un mari, dans la crainte de

Se trouver à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.3

Ses moqueries vont à

Certain loup aussi sot que le pêcheur fut sage,

et qui s'en rapporta aux propos d'un chien le priant de venir le reprendre quand il aurait engraissé.4

Après nous avoir conté les mésaventures du héron, il ajoute :

Ne soyons pas si difficiles,
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles ;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.5

Ecoutez La Fontaine, écoutez-le et croyez-le ; ne soyez pas trop gourmands. Autrement vous courez le risque de ne trouver à votre tour pour tout potage qu'un limaçon,

Repas frugal
Triste régal.

Ces deux derniers vers ne sont pas de lui.


1 Le Berger et la Mer, livre IV, fable 2.
2 Le petit Poisson et le Pêcheur, livre V, fable 3.
3 La Fille, livre VII, fable 5.
4 Le Loup et le Chien maigre, livre IX, fable 10.
5 Le Héron, livre VII, fable 4.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

dimanche 25 mars 2012

Miette 26: Après la pluie, le beau temps

Le temps

Après la pluie, le beau temps.

Sommaire. — La mère de l'ennui. — Variété des perturbations atmosphériques. — Équitable distribution. — Passage nécessaire. — L'ordre fatal.

L'ennui naquit un jour de l'uniformité.1

Dans sa sollicitude maternelle envers les humains, Dame Nature a, pour les désennuyer, organisé la variété des perturbations atmosphériques. Ne voulant pas que nous soyons constamment trempés ni indéfiniment rôtis, elle nous a équitablement distribué les ondées et les rayons de soleil. Ce qui a fait dire qu'après la pluie le beau temps faisait son apparition : Post nubila, Phaebus : « Après les nuages, Phébus », dieu du jour et du soleil :

On voit après l'épais nuage
De Phébus le riant visage.

Aussi bien rien n'est éternel en ce bas monde, ni la joie, ni la douleur, et, comme l'a dit Quinault2 :

Il faut passer par les peines
Pour arriver aux plaisirs.

Nous pouvons donc conclure avec le spirituel auteur de La Métromanie :3

Tel est, tel fut l'ordre fatal
Qu'ici-bas tout change et varie,
Tantôt en bien, tantôt en mal.
Selon ce décret général,
Après santé vient maladie,
Après sombre hiver, gai printemps,
Après joli temps, triste pluie,
Après celle-ci, le beau temps.


1 Lamotte, Les Amis trop d'accord, fable.
2 [GGJ] Dans Thésée.
3 Piron.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

mardi 20 mars 2012

Miette 25 : Temps pommelé, femme fardée, / Ne sont pas de longue durée.

Le temps

Temps pommelé, femme fardée,
Ne sont pas de longue durée.

Sommaire. — Jolis petits nuages. — Jolie petite femme. — Approchez et regardez. — On ne cache rien. — Oubli regrettable. — Simplicité. — Examinez bœuf, valet, femme.

Le soleil brille, le ciel est bleu, le temps paraît magnifique. Mais n'apercevez-vous pas là-bas ces jolis petits nuages blancs arrondis, comme une pomme, ayant l'apparence de l'entremets dit, oeufs à la neige? Méfiez-vous, le temps est pommelé, c'est de la pluie pour demain.

Entrez dans ce salon, voyez cette jolie femme élégamment habillée, coiffée avec un goût parfait; son visage est souriant, ses joues sont roses, elles semblent avoir le velouté de la pêche; quelle belle personne !

Approchez-vous, regardez avec attention, les sourcils sont habilement faits, la figure est couverte de rouge et de poudré, les lèvres de carmin, le teint n'est pas naturel mais composé avec art. Horreur! la jolie femme est fardée. Sa beauté n'a pas duré, un instant a suffi pour faire évanouir à vos yeux ses charmés trompeurs.

Vous avez promptement découvert

.... cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.1

Quand on devient âgé, c'est l'ordinaire usage
De vouloir se cacher la moitié de son âge.2

On est bien naïf, on ne cache rien à personne, car

On a l'âge après tout qu'on porte sur son front.3

Le seul résultat certain que l'on puisse obtenir est le ridicule; ce n'est vraiment pas la peine de se donner tant de mal pour atteindre un pareil but.

On oublie trop que

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.4

« Une belle femme est aimable dans son naturel : elle ne perd rien à être négligée et sans autre parure que celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse. Une grâce naïve éclate sur son visage, anime ses moindres actions.»5

La simplicité est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour charmer et séduire :

Une robe légère,
D'une entière blancheur,
Un chapeau de bergère,
De nos bois une fleur.
Oui, telle est la parure
Dont je suis enchanté,
Car toujours la nature
Embellit la beauté.6

Si la jeunesse vous abandonne, si la beauté vous délaisse, résignez-vous, remplacez-les par la grâce et l'amabilité ; soyez douce, bonne et indulgente; quand on possède ces qualités exquises, elles ne vous font jamais d'infidélité et vous conquièrent tous les coeurs.

De trois choses Dieu nous garde
De boeuf salé sans moutarde,
D'un valet qui se regarde
Et de femme qui se farde.7


1. Athalie, tragédie de J. Racine, acte II, scène 5.
2. Poisson (Raymond)..
3. Emile Augier.
4. Boileau, épître IX, Au marquis de Seignelai, (1675), vers 43.
5. La Bruyère, Les Caractères, chapitre XII: Des jugements.
6. Marie, opéra-comique de Herold.
7. Sallentin.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

vendredi 16 mars 2012

Miette 24 : Au temps où la reine Berthe filait

Le temps

Au temps où la reine Berthe filait.

Sommaire. — L'Empereur à la barbe fleurie. — Quelle était sa mère? — Filez et vous serez considérée. — Laudator temporis acti. — Qu'en sait-on? — Denys le Tyran et la vieille femme.

Le grand Charlemagne, vainqueur des Saxons et des Normands, le fameux Empereur d'Occident, à la barbe fleurie, cher aux enfants ne fût-ce que pour avoir créé les écoles, est trop connu pour qu'il ait besoin d'une présentation en règle.

Son nom seul me dispense
D'en dire plus long.
J'en ai dit assez, je pense,
En disant son nom,1

si j'ose risquer cette citation tronquée mais peu classique.

On n'ignore pas non plus le nom de son père : Pépin le Bref, petit de taille (bref) comme le grand Alexandre, mais d'une force musculaire qui lui permettait de trancher la tête d'un taureau d'un seul coup de sa vaillante épée.

On sait moins quelle reine eut l'honneur de lui donner le jour, bien que celle-ci se soit acquis une notoriété personnelle par ses vertus domestiques.

Dans le palais comme dans la chaumière,
Pour revêtir le pauvre et l'orphelin,
Berthe filait et le chanvre et le lin.
On la nomma Berthe la filandière.2

Telle était l'épouse de Pépin le Bref, la bienheureuse mère de Charlemagne, désignée aussi sous le sobriquet de « Berthe au grand pied ».

Bonne, douce et charitable au pauvre monde, le souvenir de ses vertus resta gravé dans le coeur du peuple qui se rappelait avec attendrissement et reconnaissance « le temps où la reine Berthe filait ».

Plus tard, quand les évêques commencèrent à s'occuper un peu plus du temporel que de la sanctification des âmes et se mirent à pressurer les vilains, on regretta l'ancien temps, le bon vieux temps, et l'on chanta :

Au temps passé du siècle d'or
Crosse de bois, évêque d'or;
Maintenant ont changé les lois,
. Crosse d'or, évêque de bois.3

On a toujours eu d'ailleurs tendance à préférer le temps passe au présent, laudator temporis acti.

Tout près de nous le poète4 n'a-t-il pas dit :

On vivait de mon temps; la femme qu'on prenait
Etait pauvre souvent, mais on n'y songeait guère.
La misère venait : on lui faisait la guerre,
On luttait vaillamment, et pour se reposer
De sa longue fatigue on avait un baiser.
Puis on luttait encore et toujours et sans crainte,
La flamme du foyer n'était jamais éteinte,
Et l'on s'y réchauffait, tenant devant ses yeux,
Un enfant, doux fruit vert d'une existence à deux.

On trouve sans cesse à se plaindre et l'on suppose que nos ancêtres étaient mieux partagés. Qu'en sait-on ? nous n'y étions pas. Alors ? Pour nous,

Le bon temps est une chimère,
L'homme jamais ne fut meilleur.5

et le scepticisme de Voltaire est à méditer :

Un jour tout sera bien, voilà notre espérance,
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.6

Ce n'était pas l'avis de cette vieille femme de Syracuse, que Denys le Tyran surprit dans le temple de Jupiter adressant une fervente prière au Maître des dieux pour la conservation des jours de son souverain, à elle. Denys le Tyran n'en croyait ses yeux ni ses oreilles et, s'approchant : « Dis-moi, la vieille, tu tiens donc beaucoup à moi ? — Certes, répondit-elle. — Et pourquoi donc ? — La raison en est bien simple. Ton prédécesseur n'était pas bon. J'ai prié Jupiter de nous en délivrer. Je fus exaucée, puisque tu règnes. Mais comme tu es plus méchant que lui, j'ai peur de ton successeur qui pourrait être pire encore, et je te garde ! »


1 [GGJ] La citation originale provient de l'opéra-bouffe La belle Hélène d'Offenbach, paroles de Meilhac et Halévy : Le roi barbu qui s'avance / C'est Agamemnon / Et ce nom seul nous dispense / D'en dire plus long. / Car on a tout dit, je pense / En disant ce nom. / Le Roi barbu qui s'avance / C'est Agamemnon.
2 [GGJ] Ces vers sont extraits d'un épisode du chant IX du poème de Charlemagne par Millevoye.
3 [GGJ] Guy Coquille, Histoire du Nivernais, 1595.
4 [GGJ] Il s'agit de Léopold Laluyé tiré du Poème de Claude. Notez que Genest a fait une erreur au premier vers. En effet, on doit lire «On aimait de mon temps» et non pas «On vivait...».
5 [GGJ] C'est tiré de «Le Cerf véridique - Apologue» de M. Nogaret Félix, Almanach des Muses, 1824.
6 [GGJ] Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756.


Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

Miette 23 : L'âge des roses

Le temps

L'âge des roses.

Sommaire. — Le sort commun. — La reine des fleurs.— Rose et cyprès. — Rose et Rosette — Collaboration imprévue. — Bossuet et Alfred de Musset s'entendent. — La jeunesse et le protocole. — Place aux vieilles.

Bien qu'élevés par le rang ou la fortune au-dessus des autres hommes, les grands de la terre n'en subissent pas moins le sort commun : tous sont mortels. Les reines aussi, fût-ce la reine des fleurs.

Celle-ci, la plus belle, la plus gracieuse, la plus parfumée entre toutes, se voit, même par la marâtre nature, traitée plus cruellement que les autres. À peine sortie de son corselet, à peine entrouverte pour le charme des yeux et de l'odorat, une précoce maturité la guette, l'épanouit rapidement pour la vouer au trépas qui oublie l'arbre vert et sombre, le cyprès.

La rose vit une heure et le cyprès cent ans.1

Cette vie éphémère de la reine des fleurs avait naturellement frappé les Latins ; ils comparaient une vie de courte durée à « l'âge des roses », passé en proverbe : quam longa una dies, aetas longa rosarum ; l'âge des roses ne dure qu'une journée.

Malherbe s'en est heureusement inspiré dans les stances célèbres adressées à son ami Du Périer qui venait de perdre une fille en pleine jeunesse, en pleine beauté :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.2

L'histoire raconte que le poète avait désigné la pauvre enfant sous la dénomination amicale et familière de Rosette, et son manuscrit portait : « Et Rosette », etc. N'était-ce pas très lisible ? c'est possible; tous les écrivains ne sont pas calligraphes ; le correcteur avait-il la vue courte ou l'esprit distrait ? cela peut également arriver. Toujours est-il que le typographe composa : « Et Rose elle », en deux mois. Cette coquille devint une variante plus poétique et bien préférable. Aussi fut-elle adoptée par Malherbe qui ne dédaigna pas d'accepter la collaboration imprévue du modeste correcteur!

L'arrivée de l'affreuse Camarde n'est jamais que triste et douloureuse. Combien davantage quand elle s'attaque à l'enfance, à la jeune fille !

Le coeur sentimental du tendre Musset n'a pas échappé à cette douleur :

O Dieu! mourir ainsi, jeune et pleine de vie!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pleure, le ciel te voit! pleure, fille adorée!
Laisse une douce larme au bord de tes yeux bleus
Briller, en s'écoulant, comme une étoile aux cieux!
Bien des infortunés dont la cendre est pleurée
Ne demandaient pour vivre et pour bénir leurs maux
Qu'une larme, une seule, et de deux yeux moins beaux !3

Bossuet n'y a pas échappé non plus dans la rameuse oraison funèbre d'Henrietle-Anne d'Angleterre, dernière fille de l'infortuné Charles Ier : « Quoi donc ! elle devait partir si tôt ! Dans la plupart des hommes les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir ainsi que l'herbe des champs. Le matin elle fleurissait, avec quelles grâces, vous le savez ; le soir nous la vîmes séchée (comme l'herbe) ; et ces fortes expressions par lesquelles l'Écriture Sainte exagère l'inconstance des choses humaines devaient être pour cette princesse si précises et si littérales. »

Le grand orateur chrétien faisait certainement allusion à ce passage du psaume : Dies mei sicut umbra declinaverunt, et ego tanquam foenum arui : mes jours ont fui comme une ombre, et je fus desséché comme le foin.

L'élégant et badin Gresset ne reste pas plus insensible :

Ah! ne comptez pas tant sur vos belles couleurs,
Un jour peut les flétrir, un jour flétrit les fleurs.
La Beauté n'est qu'un lys : l'Aurore l'a vu naître;
L'Aurore à son retour ne le peut reconnaître.4

La fraîcheur et la gaîté de la belle jeunesse ne vont pas sans faire des envieux et éveiller des regrets.

Il est des cas cependant où la jeunesse perd ses droits ; par exemple en présence du rigide protocole.

Dans une solennité officielle plusieurs femmes de fonctionnaires prétendaient à la première place. Impossible de les mettre d'accord. Le grand maître des cérémonies, informé de l'incident, eut un trait de génie, peu féministe sans doute mais dénotant un fin psychologue, Il décida que la préséance des dames serait réglée par l'acte de naissance ; la première en date passerait la première. De nouvelles discussions faillirent tout gâter. Aucune ne voulait plus occuper la place d'honneur!


1 Théophile Gautier. [GGJ] Le poème s'intitule : Méditation.
2 Malherbe, livre II, stance 7, Consolation à M. du Périer, 1599.
3 Le Saule, « Premières Poésies ».
4 [GGJ] Je ne sais quelle édition Genest a consultée. C'est tiré de l'égloge 2 des Églogues de Virgile. Dans les Oeuvres choisies de Gresset (Lyon, 1810), page 233, on lit ainsi la strophe :
Ah ! ne comptez point tant sur vos belles couleurs,
Un jour les peut flétrir, un jour flétrit les fleurs:
La beauté n'est qu'un lys, l'aurore l'a vu naître,
L'aurore à son retour ne le peut reconnaître.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

mardi 13 mars 2012

Miette 22 : Ne réveillez pas le chat qui dort.

Le sommeil

Ne réveillez pas le chat qui dort

Sommaire. — Simple question. — Un malheur de félins chante la palinodie. — Gare au coup de patte.

Aimez-vous les çhats? Ne prenez pas ma question en mauvaise part et ne croyez pas à de l'indiscrétion. Si je vous le demande, c'est pour être renseigné, Certaines personnes aiment les chats, d'autres ne peuvent les souffrir. Il en est qui les affectionnent et les détestent tour à tour suivant la disposition du moment. Ainsi Jacques Delille1 définit un jour le chat :

Indocile sujet, ami froid, hôte ingrat,
Serviteur défiant, cauteleux, égoïste,
Conservant avec nous son air sournois et triste,
De son butin sanglant se jouant sans pitié,
Fixé par l'habitude et non par l'amitié.

Peu après, il se ravise :

Mais sur l'exception la vérité se fonde.
Ainsi que des humains les diverses humeurs
Changent des animaux les penchants et les moeurs ;
Plus d'un chat sait aimer et caresser et plaire ;
Moi-même j'ai du mien vanté le caractère;
Longtemps de son poète il partagea le sort,
J'ai célébré sa vie et déploré sa mort.

Tout cela est très joli, mais, pendant que je bavarde, vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Peu importe, je ne vous en garde pas rancune et vous donnerai quand même un bon avis.

Que vous aimiez ou non les chats : Ne réveillez pas le chat qui dort. S'il est votre ami, ce ne serait pas gentil de troubler son sommeil ; s'il ne l'est pas, il pourrait vous en cuire d'un coup de griffe.

Appliqué aux choses de la vie, ce conseil vous engage, d'une part, à ne pas rappeler à un être aimé des souvenirs douloureux ou pénibles et, d'autre part, à ne pas attirer sur vous l'attention des vilains et des méchants.


1 [GGJ] C'est dans Les trois règnes, chant VIII.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

vendredi 9 mars 2012

Miette 21 : Le bien nous vient en dormant.

Le sommeil

Le bien nous vient en dormant

Sommaire. — Louis XI et les seigneurs. — Le sommeil du moine. — Cadeau royal et mot de roi. — Pêches nocturnes. — Paillasse explique le proverbe.

Louis XI allait un jour, accompagné de seigneurs qui l'importunaient a l'envi, sollicitant de sa générosité royale un bénéfice très productif, que la mort du titulaire venait de rendre vacant.

Lassé de leur insistance par trop indiscrète, le roi aperçoit un moine qui s'était doucement endormi sur son bréviaire : « Par la pasquedieu ! s'écria-t-il, aucun de vous ne l'aura ; il revient de droit à ce pauvre moine, pour prouver que le bien nous vient en dormant. »

Telle serait l'origine du proverbe.

Le conte est joli, le mot est charmant; mais, je le regrette pour Louis XI, il n'en a pas la paternité que certains lui ont attribuée et qu'il ne revendiqua sans doute jamais pour sa part.

Les anciens, connaissaient ce proverbe, qu'on lit dans Plutarque et qu'avait reproduit tout au long Cicéron dans l'une de ses Verrines, la dernière : « Non idem mihi licet quod iis qui nobili génère nati sunt, quibus omnia populi romani bénéficia dormientibus deferuntur : Je n'ai pas le même privilège que ces nobles, auxquels toutes les faveurs du peuple romain viennent en dormant. »

Il est plutôt permis de penser que l'allusion en remonte aux pêcheurs qui tendent leurs filets pendant la nuit et vont les relever à leur réveil.

Le bien leur est réellement advenu pendant leur sommeil.

Paillasse me souffle à l'oreille une autre explication appuyée sur un raisonnement qu'il me prie de vous communiquer. Je cède à ses instances, mais qu'il n'y revienne pas ! Or, d'après ce pître de la foire, la fortune vient en dormant, parce qu'en dormant on fait des sommes, et que beaucoup de sommes font la fortune.

.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

lundi 5 mars 2012

Miettte 20 : La nuit porte conseil.

Le sommeil

La nuit porte conseil

Sommaire. — Une nuit aux flambeaux. — Les bougies et l'électricité. — Obscurité complète. — Le corps repose, l'esprit travaille. — Une surprise au réveil. — La vie de la nuit, son histoire.

Il y a nuit et nuit, comme il y a fagot et fagot.

Qui ne sait que la nuit a des puissances telles
Que les femmes y sont, comme les fleurs, plus belles?

Dans cette pensée, Alfred de Musset n'envisage évidemment pas la même nuit que celle dont nous allons vous entretenir.

Le célèbre auteur des fameuses Nuits faisait partie de cette troupe turbulente de jeunes et élégants débauchés,

Qui court le bal la nuit, et le jour les brelans.

À leur bouillante imagination, la nuit apparaissait constellée des lumières éclatantes des salons, lumières donnant aux femmes un teint rendu radieux par la clarté dorée des bougies — tandis que l'électricité convertit maintenant nos visages en faces de pierrots, — lumières qui faisaient étinceler sur les blanches épaules et au corsage bijoux, diamants et pierreries, et mettaient en valeur tout l'éclat de la beauté.

Notre nuit à nous est beaucoup plus simple, calme et modeste. Notre nuit est la vraie nuit discrète et silencieuse. Pas de lumière, obscurité complète : nous sommes dans notre chambre, couché dans un lit douillet; la tête mollement repose sur un oreiller ou sur un simple traversin si nous la préférons moins haute; la fatigue de la journée amène doucement le sommeil et bientôt nous nous endormons. C'est alors que le cerveau, malgré son apparence inerte et passive, prépare souvent le meilleur travail et couve en silence d'excellents conseils que fait éclore le réveil, Les réflexions se sont faites toutes seules pour ainsi dire, à l'insu du dormeur, tout surpris, au saut du lit, de trouver de bonnes idées vainement cherchées à l'état de veille. À la nuit reviennent de droit nos remerciements mérités.

Ne recommande-t-on pas aux enfants d'apprendre leurs leçons le soir avant de se coucher, pour les mieux posséder le matin ? À ces petits la nuit apporte le savoir, en attendant que plus tard elle leur donne science et conseils.

Après avoir esquissé la nuit telle que la comprenait Alfred de Musset, nous l'avons à notre tour décrite comme elle doit être conçue dans notre proverbe. Chacun la définit à sa manière, suivant son idée, son goût, ou les besoins du moment.

Voici l'histoire de sa vie, racontée par Demoustier, dans ses Lettres à Émilie sur la Mythologie, ouvrage qui eut en son temps ( 1786-1798) un succès prodigieux. Il commença par la placer dans les Enfers, dont il fait sa demeure habituelle quand le soleil luit; puis continuant :

La fille de Chaos place dans cette enceinte
La nuit que suit partout le mystère ou la crainte,
Qui des sombres complots dérobe les détours,
Qui sans témoin laisse le vice
Et l'innocence sans secours.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

vendredi 2 mars 2012

Miette 19 : Qui dort dîne

Le sommeil

Qui dort dîne.

Sommaire. — Perplexité. — L'homme-renard — Théorie médicale. — Pour maigrir et engraisser. — Qui dort, il boit.

Voilà deux petits mots faciles à comprendre séparés l'un de l'autre; on sait que « dormir» consiste à jouir du sommeil, généralement dans un lit, et « dîner » signifie prendre le repas du soir, ordinairement à une table.

Là n'est pas l'embarras ; mais où ma perplexité commence, c'est quand je dois assimiler le « dormir » au « dîner », et considérer que l'un et l'autre sont même chose, et peuvent se remplacer indifféremment.

Il est donc permis de se demander le sens attaché au rapprochement de ces deux termes.

Faut-il en trouver la signification dans le proverbe latin : Esurienti vulpi somnus obrepit :« Au renard affamé le sommeil se glisse furtivement », et croire qu'on a traité l'homme en renard et qu'on lui a attribué la même faculté de se rassasier en dormant?

Faut-il admettre avec Moisant de Brieux que : « Cette façon de parler est tirée de l'Ecole de Médecine, où l'on enseigne que le sommeil tient lieu d'aliment, lorsque, l'estomac étant plein de crudités, il faut dégager la nature, et lui donner le loisir de les cuire, sans le surcharger de nouvelles viandes » ?

Vaut-il mieux se rappeler que les personnes qui veulent maigrir doivent éviter le séjour prolongé au lit, que l'on conseille au contraire à celles qui veulent engraisser?

Doit-on penser que, les forces se réparant par le sommeil, celui-ci tient lieu de nourriture? On a l'embarras du choix.

Ce qui est certain, c'est qu'en dormant s'évanouissent nos soucis, nos chagrins et nos maux; nos appétits et nos désirs sont momentanément calmés, sinon satisfaits.

Rabelais, amateur de bonne chère, n'en avait pas moins un faible pour le complément indispensable, la dive bouteille; aussi disait-il : Qui dort, il boit.1

Somme toute, dormir c'est oublier; grâce au sommeil, le malade oublie la souffrance, l'affligé oublie sa peine, le misérable oublie la faim : Qui dort dîne !


1 Livre V, chapitre v.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.