Le jeu

À trompeur trompeur et demi.

Si vous vendez à votre prochain ou si vous achetez de votre prochain, qu'aucun de vous ne trompe son frère. (Lévitique, 25,14.)



Sommaire. - Essai dangereux. - Subtile finesse. - Proposition du renard. - Contre-proposition du coq. - Les chiens ignorent la bonne nouvelle.
À trompeur trompeur et demi.

A regnard1, regnard et demi2,
Il n'est si fin regnard
Qui ne trouve plus finard3.

Quand on essaie de tromper, il peut fort bien arriver que l'on ait affaire à plus habile que soi et qu'on n'obtienne d'autre réussite que d'être trompé à son tour avec usure.

D'après La Rochefoucauld :

« La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges qu'on nous tend ; et l'on n'est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. »

Au surplus, voici une modeste petite fable qui expliquera la morale de ce proverbe :

Un renard, voyant des poules juchées, avec leur coq, dans une cour, tâchait de les attirer par de belles paroles :
« J'ai, dit-il, une bonne nouvelle à vous apprendre : c'est que les animaux ont tenu un grand conseil, et ont fait entre eux une paix éternelle. Descendez et célébrons cette paix de bonne amitié. »
Le coq, plus fin que le renard, se dresse sur ses ergots et regarde de tous côtés.
« Que regardez-vous ? dit le renard.
- Je regarde deux maîtres chiens qui s'avancent. »
Et renard de fuir à toutes jambes.
« Eh! dit le coq, pourquoi fuyez-vous? la paix est faite entre les animaux.
- Oh ! réplique le renard en se retournant, mais fuyant de plus belle, peut-être que ces deux chiens n'en savent pas encore la nouvelle. »

Voilà une bonne petite leçon de diplomatie.


1 Ancienne orthographe du mot « renard ».
2 et 3 Trésor des Sentences, de Gabriel Meurier.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.