Préface
... La forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur des mortels !
a dit un poète1.
Bien des villes changèrent d'aspect ou de forme, beaucoup disparurent complètement depuis la première ; mais les hommes, depuis leur venue au monde, conservèrent impitoyablement mêmes instincts, mêmes appétits, mêmes désirs, mêmes joies, mêmes douleurs.
De tous temps et dans tous pays les impressions physiques et morales de l'humanité n'ont pas varié ; douces ou pénibles, gaies ou tristes, elles se sont reproduites, sans discontinuer, semblables ou identiques.
Les mêmes effets constatés, on fut graduellement amené à en rechercher les causes que l'on reconnut invariablement pareilles à elles-mêmes.
Qu'il s'agisse de phénomènes révélés par la Vue, l'Ouïe, le Goût, le Sommeil ;
Que la nécessité de pourvoir à sa subsistance ait provoqué le Travail, amenant avec soi la Propriété, puis la Richesse, celle-ci éveillant à son tour le désir de l'accroître encore, fût-ce par le Jeu ;
Que le côté moral intervienne et développe l'Orgueil, la Fierté et la Modestie ;
Que l'Expérience entraîne la Prudence à sa suite ;
Que la Charité soit une vertu, et l'Espérance une consolation ;
Quels que soient ces impressions, ces sensations ou ces sentiments, constamment renouvelés, mais jamais nouveaux, puisque déjà connus ou éprouvés ; quelle qu'en soit la cause ou l'origine, l'homme a, dès le début, éprouvé le besoin d'en fixer le souvenir.
Quand, à l'aide du langage, il parvint à exprimer sa pensée, il se complut à résumer peu à peu ses premières observations ; les proverbes avaient pris naissance.
Il en fait l'application à lui-même pour ce qu'il voit, entend, ressent ou rêve ; à autrui quand il commence à vivre en société.
Par cela seul que les proverbes énoncent des vérités de chaque jour, de chaque instant, leur alliance avec, la morale est toute naturelle ; ils tendent au même but : instruire l'homme et l'améliorer,
L'Ecclésiaste disait, il y a trois mille ans :
« Le sage tâchera de pénétrer dans le secret des proverbes et se nourrira de ce qu'il y a de caché dans les paraboles. »
Il n'est donc pas surprenant qu'à l'Ecclésiaste et au Livre de la Sagesse Salomon ait ajouté celui des Proverbes qui, sous forme de sentences morales et philosophiques, trace des règles de conduite pour toutes les circonstances de la vie.
Cinq à six siècles plus tard, les penseurs de l'antiquité, Socrate, Platon, Aristote, Théophraste, pour ne citer que les plus fameux, ne craignirent pas d'imiter l'exemple du grand Salomon ; leurs leçons, leurs discours, leurs écrits s'émaillèrent de maximes, de préceptes et de conseils, empruntant la forme proverbiale qu'ils regardaient comme inspirée parles divinités ;
Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu2
N'est-ce pas de cette façon que s'exprimaient les prêtres d'alors ; n'usait-on pas de ce procédé pour rendre les oracles?
Au moyen âge, nous trouvons les proverbes fort goûtés, appréciés, commentés par les savants ; Erasme les considérait comme le « compendium des vérités humaines » résumant la « sagesse des nations ».
Et maintenant, comment ces proverbes, dont l'origine est si lointaine, — puisqu'elle a le droit de se dire contemporaine du langage, — comment ont-ils pu se perpétuer et devenir immortels?
De prime abord, la tradition orale suffit à les empêcher de tomber dans l'oubli ; commençant par être transmis de bouche en bouche, ils passent d'une génération à la suivante, d'un peuple au peuple voisin, jusqu'au jour où, la civilisation et la science aidant, les philosophes s'ingénièrent à les condenser dans une formule concise dont le sens précis et clair frappa les intelligences et se grava dans les esprits.
Pour ne parler que des nôtres, ceux de France, qui nous tiennent plus directement au coeur, les troubadours les colportèrent de ville en ville, de campagne eu campagne ; puis les poètes les ont rimés ; les prosateurs leur donnèrent un tour particulier, une sorte de rythme qui en firent « une prose cadencée ou des manières de vers libres ». Rimes, prose cadencée, vers libres, autant de moyens favorables à faciliter le souvenir des mots et, par suite, de la pensée.
Beaucoup de ceux arrivés jusqu'à nous portent cette empreinte caractéristique ; et l'on peut observer que bon nombre sont devenus tels, parce que les vérités qu'ils énoncent ont trouvé place sous la plume des poètes.
Pour avoir exprimé leur pensée dans le langage des Muses, les Molière, les La Fontaine, les Regnard, les Boileau ont vu leurs vers
... passant du peuple aux princes,
Charmer également la ville et les provinces ;
Et par le prompt effet d'un sel réjouissant
Devenir quelquefois proverbes en naissant3.
C'est que la rime donne du charme et de la grâce a l'idée qu'exprime le vers ; celui-ci est une mélodie qui vous berce, vous captive, vous transporte et vous enivre tour à tour ; séduit par elle nous nous sommes laissé aller à de nombreuses citations en vers, au cours de cet ouvrage, partageant le goût du poète :
J'aime surtout les vers, cette langue immortelle.
C'est peut-être un blasphème et je le dis tout bas ;
Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle
Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,
Qu'elle nous vient de Dieu, - qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend et ne la parle pas4.
Aussi bien, les réflexions qui suivent et qui nous ont été inspirées par les proverbes qu'elles commentent, peuvent ne pas être lues couramment, sans aucun arrêt ni interruption, comme on serait tenté de le faire pour une histoire, une nouvelle, un conte, un roman. Il est loisible de feuilleter le volume à son temps, à son heure, de le laisser et le reprendre.
Eh ! depuis quand un livre est-il donc autre chose
Que le rêve d'un jour qu'on raconte un instant ;
Un oiseau qui gazouille et s'envole ; - une rose
Qu'on respire et qu'on jette, et qui meurt en tombant ; -
Un ami qu'on aborde, avec lequel on cause,
Moitié lui répondant et moitié l'écoutant5?
Nous n'avons eu d'autre dessein que de distraire un instant avec l'espoir cependant qu'on retirera quelque fruit de celle lecture, cherchant à suivre en cela le précepte du vieil Horace :
Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci6,
« C'est mériter le prix
Que de savoir mêler l'utile à l'agréable. »
Avons-nous atteint le but ? Loin de nous cette prétention ! Nous serions heureux d'avoir réussi tout au moins à nous en approcher.
E. G.
Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.