Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

samedi 26 mai 2012

Miette 43 : La tricherie revient à son maître

Le jeu

La tricherie revient à son maître.

Le pain de tromperie est d'abord doux à l'homme; mais après, sa bouche est remplie de gravier (I, Thess. 17.)
Aie en horreur le mensonge, même dans les jeux.


Sommaire. - Tricherie, tromperie, chicanerie. - Marchand de drap et marchand de rubans. - Un mètre de quatre-vingt-dix centimètres. - À l'un toute la pêche, à l'autre toutes les caques. - Préférence des joueurs pour les tricheurs.

La tricherie, c'est-à-dire la tromperie, les enfants disent la chicanerie, revient à celui qui en a pris l'initiative. On n'a pas toujours le bénéfice d'une combinaison malhonnête ; et l'on peut s'adresser à qui possède bec et ongles pour vous répondre et vous écorcher à votre tour.

Les exemples ne manquent pas; on en peut citer plusieurs.

Un marchand de draps avait besoin d'un mètre de ruban ; il s'adresse à son voisin qui le lui livre ; mais il s'aperçoit que le mètre ne mesurait que quatre-vingt-dix centimètres. « C'est bon, je te repincerai », se dit-il, car il se parlait familièrement à lui-même. À quelque temps de là le marchand de rubans a besoin de plusieurs mètres de drap et s'en va naturellement chez son confrère; mais celui-ci, rusé matois, feint d'avoir égaré son mètre. « Heureusement, j'ai le mètre de ruban que vous m'avez donné l'autre jour », et il s'en servit pour mesurer le drap. C'était bien joué.

Un tour du même genre arriva à un poissonnier. Celui-ci avait convenu avec un camarade d'acheter toute une pêche de harengs de compte à demi, puis en sous-main traita pour le tout à son nom seul.

Le camarade eut vent de la chose et retint toutes les caques, si bien que le premier fut obligé de passer par les conditions de l'autre pour ne pas perdre tout son poisson.

On le voit :

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur,
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.1

C'est au jeu que les tricheurs exercent surtout leur talent. Et,le croiriez-vous? il sont des partisans parmi les joueurs effrénés. Ceux-ci préfèrent encore un tricheur à un adversaire honnête et trop heureux, parce qu'au moins le tricheur les laisse gagner quelquefois.


1 La Fontaine, La Grenouille et le Rat, livre IV, fable 11.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

vendredi 25 mai 2012

Miette 42 : Faire un poisson d'avril

Faire un poisson d'avril

Le jeu

Faire un poisson d'avril.

SOMMAIRE. - Nombreux dictions, mais pas de poisson. - Le calendrier de Charles IX et le zodiaque. - Un journal mystificateur.

Le mois d'avril a inspiré les confectionneurs de dictons qui florissaiont au temps jadis, et nous en ont légué une série :

Il n'est si joli mois d'avril
Qui n'ait son chapeau de grésil.

En avril s'il tonne,
C'est nouvelle bonne.

En avril nuée,
En mai rosée.

Avril pluvieux
Et mai venteux
Font l'an fertile et plantureux.

Avril doux
Quand il s'y met, c'est le pire de tous.

En avril
N'ôte pas un fil.
En mai
Fais comme il te plaît.

Je pourrais continuer longtemps ainsi la kyrielle sans en rencontrer un seul qui parle du moindre petit poisson. Cependant le « poisson d'avril » n'est pas né d'hier, et son origine serait intéressante à connaître. Un spirituel chroniqueur, Auguste Villemot, avoue s'être vainement mis à sa recherche.

Plus heureux que lui, après avoir compulsé livres, recueils, mémoires, nous avons eu la bonne fortune de ne pas revenir tout à fait bredouille de l'enquête à laquelle nous nous sommes livré; voici le résultat de notre découverte.

À une certaine époque, on avait le droit de pêcher dès le 1er avril; ceux qui s'adonnaient à cet exercice devaient ordinairement se contenter du plaisir relatif de « tremper du fil dans l'eau » ; car, en pareille saison, de poisson, peu ou point. Quand un mauvais plaisant voulait attraper une personne naïve ou crédule, il lui offrait un cadeau imaginaire, aussi fugitif que le « poisson d'avril ».

D'autres écrivains rendent la fin du XVIe siècle responsable des « attrapes » qui portent ce nom.

Jusqu'alors, l'année des humains commençait en avril, suivant, en cela, la nature qui renaît au printemps. On échangeait présents, compliments, étrennes. Charles IX jugea bon, d'un trait de plume, de reporter le début de l'an au 1er janvier. Il avait, sans doute, pour cela des raisons que le bon sens ignore; aussi l'usage s'en est-il conservé jusqu'à nos jours où les visites du nouvel an, promenades des enfants aux grands-parents, distribution de bonbons et caetera, se font par la pluie, la neige, la boue ; c'est exquis! Longtemps après l'ordonnance du roi, les gens gais continuerent à faire des cadeaux, mais « pour rire », au 1er avril, et comme, à ce mois, le soleil quitte le signe zodiacal des « poissons », on désigne ces libéralités hypocrites sous le nom de « poisson d'avril ».

Cette explication me paraît un peu tirée par les « crins » d'une ligne à laquelle le poisson n'a pas mordu. Autant vaut cependant vous livrer celle-là que ne vous en donner aucune.

Ce qui est réel et indiscutable, c'est que l'usage des farces, dites « poissons d'avril », s'est perpétué jusqu'à nos jours.

Un grand journal s'offrit même ce luxe, une année, à l'adresse de ses lecteurs. Il leur annonça pour le lendemain, 1er avril, une magnifique exposition d'ânes dans sa grande salle des fêtes. Nombreux furent les amateurs qui reconnurent, honteux et confus, mais trop tard, que les ânes n'étaient autres qu'eux-mêmes. Les glaces ornant la salle de tous côtés ne reflétaient que leur image.

On ne dit pas si cette « bonne» plaisanterie augmenta le nombre des abonnés du journal mystificateur.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

jeudi 24 mai 2012

Miette 41 : Vendre la peau de l'ours

La propriété

Vendre la peau de l'ours.

Sommaire. - Commencer par abattre. - La folle du logis.

Vous trouverez dans un apologue d'Ésope le proverbe si connu qu'il ne faut pas vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait pris. Philippe de Commines,le célèbre historien de Louis XI et de Charles VIII, a reproduit le conseil dans ses fameux Mémoires : « Il ne fault marchander la peau de l'ours devant que la beste soit prise ou morte.1 » La Fontaine se l'est définitivement approprié par la fable « L'Ours et les deux Compagnons», dont la conclusion est

...Qu'il ne faut jamais
Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre.2

Autrement dit : ne pas chanter victoire avant la bataille, ne pas distribuer son gain avant la fin de la partie, ne pas disposer de la succession d'un oncle d'Amérique du vivant de celui-ci ; enfin, si nous voulons être tout à fait lugubres avec le poète tragique3, « ne pas se dire heureux avant sa mort ». Il est vrai qu'une fois mort on ne pourra plus se dire grand'chose. Mais tant qu'on possède un souffle de vie, comment empêcher la « folle du logis » d'errer à l'aventure et d'espérer joie, plaisir, bonheur?

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?
Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous.4


1 Commines, Mémoires, liv. IV, chap. III.
2 La Fontaine, L'Ours et les deux Compagnons, livre V, fable 20.
3 Sophocle, OEdipe-Roi, tragédie.
4 La Fontaine, La Laitière et le Pot au lait, livre VII, fable 10.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

mercredi 23 mai 2012

Miette 40 : Ce qui est bon à prendre est bon à rendre

La propriété

Ce qui est bon à prendre est bon à rendre.

Sommaire. - Mauvais payeurs et gens de mauvaise foi. - Prescription à proscrire. - Donnez une provision. - Garder tout. - Obligé de rendre ... l'âme.

Ce qui est bon à prendre est bon à rendre. Cette réplique s'adresse à ceux qui détiennent ce qu'ils ont pris indûment ou par inadvertance. Dès qu'on s'aperçoit d'une erreur de ce genre, on doit la réparer sans retard et ne pas attendre que le temps s'écoule. Les mauvais payeurs et les gens de mauvaise foi profitent seuls de mois ou d'années « moratoires » pour invoquer ce qu'en terme de droit on appelle la « prescription », ce qui devrait plutôt être proscrit.

Summum jus, summa injuria.
« Le droit absolu est souveraine injustice. »

Certains hommes d'affaires ne craignent pas non plus de conserver tout l'argent que vous leur avez donné comme « provision » pour parer aux frais d'un procès à soutenir ou d'un jugement à obtenir. Quand tout est fini, que dépens et honoraires sont réglés, ils omettent de vous restituer le surplus ; c'est toujours cela de gagné... pour eux. C'est pour eux aussi que la proposition, plaisamment retournée, est devenue :

Ce qui est bon à prendre est bon à garder.

Ils demandent toujours, ils prennent sans cesse ; quant à rendre quoi que ce soit, que nenni ! Témoin celui-ci :

Grippon, à son heure, dernière,
Par Honorène, sa moitié.
Très instamment était prié
De finir au moins sa carrière
En homme juste et bon chrétien.
« Avant de quitter la lumière
Rendez, rendez de votre bien
Ce que tel ou telle réclame, »
Lui répétait la bonne dame.
« Hélas! lui dit Grippon, ma femme,
Que l'on ne me demande rien,
C'est bien assez de rendre l'âme ! »

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

lundi 21 mai 2012

Miette 38 : Ote-toi de là que je m'y mette

La propriété

Ote-toi de là que je m'y mette.

Sommaire. - Une vieille chanson. - Mécontent de son sort. - Louis XIV nous empêche de dormir. - L'abordage à Corinthe. - Rêve irréalisable. - Devise des révolutions et de la politique.

N'être jamais content
De ce qu'on a ;
Oublier sottement
Ce qu'on aima ;
Avoir une femme blonde,
La vouloir brune ;
Avoir une femme brune,
La vouloir blonde.
Ah ! ah ! que les hommes sont fous !
Ils dédaignent tous
Le bonheur tranquille.
Qu'en dites-vous, Maria?
Moi, je ris de tout cela!

Cette vieille chanson, dont je rétablis de souvenir le texte sans doute un peu tronqué, me revient en mémoire à propos de « Ote-toi de là que je m'y mette ».

Ne cherche-t-on pas, en effet, à remplacer les autres parce qu'on n'est pas content de son sort : nemo suâ sorte contentus, dit un exemple de la grammaire latine du vieux papa Lhomond.

Qu'il s'agisse d'argent, d'honneurs, de richesse, on n'est jamais satisfait de ce que l'on possède; ce qu'on a ne convient pas; on désire changer; ou l'on veut davantage; on vise toujours plus haut ; le quo non ascendam de Louis XIV empêche de dormir; il faut absolument atteindre le sommet de toutes choses; tandis que la sagesse et le bon sens nous crient de rester calmes et réservés et de ne pas prétendre monter sans cesse : Non licet omnibus adire Corinthum, tout le monde ne peut aborder à Corinthe. Chacun fait la sourde oreille; nul ne se reconnaît inférieur à son voisin, quel qu'il soit et dans quelque carrière que ce soit. Si, malgré ses efforts, on ne peut s'élever au même niveau, on s'évertue à jeter bas celui qui nous domine de sa richesse ou de son talent; puisqu'il vous barre la route ou vous éclipse, il est de toute nécessité de le supplanter coûte que coûte, quitte à subir le même sort par un autre plus hardi, plus habile ou moins scrupuleux.

Pour beaucoup tous les moyens sont bons qui mènent à leurs fins et font toucher le but visé. Combien serait-il plus sage pour soi et plus juste pour les autres de se rendre compte de sa valeur personnelle et d'admettre la suprématie de ceux qui nous sont supérieurs ! II paraît que c'est là demander l'impossible - rêve irréalisable, - les humains n'y parviendront pas. Ils continueront à lutter les uns contre les autres, à se pourchasser, à se culbuter à qui mieux mieux, conservant comme devise préférée celle des révolutions et de la politique : Ote-toi de là que je m'y mette.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

mardi 8 mai 2012

Miette 37: Contentement passe richesse

La richesse

Contentement passe richesse.

Sommaire. - Le but de la vie. - À la recherche d'un homme heureux. - Pas de chemise. - Bonheur du pauvre. - Ce que je n'ai pas n'existe pas. - Le soir d'un beau jour. - Un peu de gaîté ne nuit pas. - Tout pour la vie champêtre. - Aurea mediocritas. - Causes diverses, même effet.

Quel est le but visé par chaque mortel ici-bas? C'est le bonheur, il n'y a qu'une voix à cet égard. Mais comment atteindre ce but? Quels moyens faut-il employer pour y parvenir? Quel est le meilleur procédé, la meilleure recette ?

Là-dessus chacun a sa petite idée, qu'il croit la bonne.

Tout le monde connaît l'histoire de ce potentât des Mille et une Nuits1, qui jouissait de tous les biens possibles et imaginables, hormis du bonheur ; il s'en désespérait. Les plus savants docteurs de son temps, consultés, lui dirent : « Pour être heureux, sire, c'est bien simple, mettez la chemise d'un homme heureux. - Qu'à cela ne tienne ! Vite, en campagne ! » Et l'on se met en quête de la fameuse chemise, ou plutôt du mortel aimé des dieux, et possesseur de la félicité; On le trouve sous la peau d'un berger faisant tranquillement paître ses moutons au son de son agreste musette. Malédiction ! le berger n'avait pas de chemise! Le satrape resta somptueux et boudeur, et le pâtre content, sans richesse.

Connaissait-il cette histoire, Sénèque, en déclarant que posséder un bien ou ne pas le souhaiter était même chose? Ce passage du livre du philosophe a été traduit par Regnard pour le faire lire par le valet Hector.2

Chapitre VI, Du Mépris des richesses :

La fortune offre aux yeux des brillants mensongers.
Tous les biens d'ici-bas sont faux et passagers ;
Leur possession trouble et leur perte est légère ;
Le sage gagne assez quand il peut s'en défaire.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Moins on a de richesse et moins on a de peine,
C'est posséder le bien que savoir s'en passer.

Même son par une autre cloche :

Dans un lieu du bruit retiré
Où, pour peu qu'on soit modéré,
On peut trouver que tout abonde,
Sans désir, sans ambition,
Exempt de toute passion,
Je jouis d'une paix profonde
Et, pour m'assurer le seul bien
Que l'on doit estimer au monde,
Tout ce que je n'ai pas, je le compte pour rien.

Dans son poème mythologique intitulé Philémon et Baucis, La Fontaine a fait le portrait du sage :

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux divinités n'accordent à nos voeux
Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille,
Des soucis dévorants, c'est l'éternel asile.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste;
Le sage y vit en paix et méprise le reste.
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois ;
Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but? Quitte-t-il ce séjour?
Rien ne trouble sa fin, c'est le soir d'un beau jour.

Quelle douceur! quel calme! quelle touchante simplicité! Combien on voudrait en jouir!

Le proverbe latin consent à ce que l'on soit pauvre, mais il pense qu'un brin de gaîté ne messiérait pas en même temps :

Paupertas, cum loeta venit, ditissima res est.

« Quand la pauvreté est joyeuse, c'est la chose la plus riche du monde. »

Racan, dont la muse bucolique se complaisait à

Chanter Philis, les bergers et les bois,3

ne comprend le bonheur que dans les douceurs de la vie champêtre :

Le bien de la fortune est un bien périssable ;
Quand on bâtit sur elle on bâtit sur le sable ;
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

O bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs!4

Le sceptique et folâtre Dorat, fabuliste à ses heures, partageait cette manière de voir :

Si le bonheur nous est permis,
Il n'est point sous le chaume, il n'est point sur le trône.
Voulons-nous l'obtenir, amis,
La médiocrité le donne.5

Médiocrité, soit, mais avec un peu d'or autour, n'est-ce pas : aurea mediocritas ?

En résumé, il faut, pour être heureux, savoir se contenter de peu, ou tout au moins de ce qu'on a, quand on a quelque chose.

Autrement il peut vous en coûter la vie.

Ainsi, un financier, dont la fortune s'élevait à plusieurs millions, perdit en un seul jour ses immenses richesses. Il ne lui restait plus que cent mille francs. Il mourut en apprenant cette terrible nouvelle. Son frère, qui avait toujours langui dans la pauvreté, hérita de cette somme et mourut à son tour de la joie de se voir si riche.


1 Les Mille et une Nuits, recueil de contes arabes traduits en français par Galland (1704).
2 Le Joueur, acte IV, scène XIII.
3 Boileau, Art poétique, chant I, vers 18.
4 Les Bergeries, poème de Racan.
5 La Linotte, fable, in fine.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

dimanche 6 mai 2012

Miette 36 : Prendre la pie au nid

La richesse

Prendre la pie au nid.

Sommaire. - Des couverts dans un clocher. - Erreur judiciaire. - À la cime des arbres.

La pie présente certaines particularités : elle babille, jacasse, claquète; aussi lui assimile-t-on certains êtres humains, « bavards comme une pie ».

Elle a le goût de dérober ce qui brille ; ce qui a fait condamner à mort et exécuter une brave servante de Palaiseau faussement accusée d'avoir volé des couverts d'argent qu'une pie avait pris dans son bec et cachés dans un clocher. Ce larcin de l'oiseau et l'erreur judiciaire qui en fut la conséquence nous valurent un drame à succès : La Pie Voleuse, et un bel opéra : La Gazza Ladra.1

La pie possède aussi la manie d'affectionner, pour établir son nid, la branche la plus haute de l'arbre le plus élevé qu'elle puisse trouver. Une fois ainsi perchée, elle ouvre l'oeil et l'oreille et guette. Bien agile, bien adroit, bien rusé qui pourrait monter jusqu'au nid et l'y surprendre. Quiconque se targuerait d'avoir réussi passerait pour vantard et se ferait gausser de lui.

Mathurin Régnier se moquait de même de « ces resveurs dont la muse insolente censure les plus vieux » :

Il semble en leurs discours hautains et généreux
Que le cheval volant2 n'ait passé que pour eux;
Que Phoebus à leur ton accorde sa vielle;
Que la mouche du Grec leurs lèvres emmielle ;
Qu'ils ont seuls icy bas trouvé la pie au nit,
Et que des hauts esprits le leur est le zénit.3


1 La Gazza Ladra, opéra de Rossini (1817)
2 Pégase.
3 Mathurin Régnier, À Monsieur Rapin, satire IX.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.