Faire un poisson d'avril

Le jeu

Faire un poisson d'avril.

SOMMAIRE. - Nombreux dictions, mais pas de poisson. - Le calendrier de Charles IX et le zodiaque. - Un journal mystificateur.

Le mois d'avril a inspiré les confectionneurs de dictons qui florissaiont au temps jadis, et nous en ont légué une série :

Il n'est si joli mois d'avril
Qui n'ait son chapeau de grésil.

En avril s'il tonne,
C'est nouvelle bonne.

En avril nuée,
En mai rosée.

Avril pluvieux
Et mai venteux
Font l'an fertile et plantureux.

Avril doux
Quand il s'y met, c'est le pire de tous.

En avril
N'ôte pas un fil.
En mai
Fais comme il te plaît.

Je pourrais continuer longtemps ainsi la kyrielle sans en rencontrer un seul qui parle du moindre petit poisson. Cependant le « poisson d'avril » n'est pas né d'hier, et son origine serait intéressante à connaître. Un spirituel chroniqueur, Auguste Villemot, avoue s'être vainement mis à sa recherche.

Plus heureux que lui, après avoir compulsé livres, recueils, mémoires, nous avons eu la bonne fortune de ne pas revenir tout à fait bredouille de l'enquête à laquelle nous nous sommes livré; voici le résultat de notre découverte.

À une certaine époque, on avait le droit de pêcher dès le 1er avril; ceux qui s'adonnaient à cet exercice devaient ordinairement se contenter du plaisir relatif de « tremper du fil dans l'eau » ; car, en pareille saison, de poisson, peu ou point. Quand un mauvais plaisant voulait attraper une personne naïve ou crédule, il lui offrait un cadeau imaginaire, aussi fugitif que le « poisson d'avril ».

D'autres écrivains rendent la fin du XVIe siècle responsable des « attrapes » qui portent ce nom.

Jusqu'alors, l'année des humains commençait en avril, suivant, en cela, la nature qui renaît au printemps. On échangeait présents, compliments, étrennes. Charles IX jugea bon, d'un trait de plume, de reporter le début de l'an au 1er janvier. Il avait, sans doute, pour cela des raisons que le bon sens ignore; aussi l'usage s'en est-il conservé jusqu'à nos jours où les visites du nouvel an, promenades des enfants aux grands-parents, distribution de bonbons et caetera, se font par la pluie, la neige, la boue ; c'est exquis! Longtemps après l'ordonnance du roi, les gens gais continuerent à faire des cadeaux, mais « pour rire », au 1er avril, et comme, à ce mois, le soleil quitte le signe zodiacal des « poissons », on désigne ces libéralités hypocrites sous le nom de « poisson d'avril ».

Cette explication me paraît un peu tirée par les « crins » d'une ligne à laquelle le poisson n'a pas mordu. Autant vaut cependant vous livrer celle-là que ne vous en donner aucune.

Ce qui est réel et indiscutable, c'est que l'usage des farces, dites « poissons d'avril », s'est perpétué jusqu'à nos jours.

Un grand journal s'offrit même ce luxe, une année, à l'adresse de ses lecteurs. Il leur annonça pour le lendemain, 1er avril, une magnifique exposition d'ânes dans sa grande salle des fêtes. Nombreux furent les amateurs qui reconnurent, honteux et confus, mais trop tard, que les ânes n'étaient autres qu'eux-mêmes. Les glaces ornant la salle de tous côtés ne reflétaient que leur image.

On ne dit pas si cette « bonne» plaisanterie augmenta le nombre des abonnés du journal mystificateur.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.