[...] lire est une obscénité bien douce. Qui peut comprendre quelque chose à la douceur s'il n'a jamais penché sa vie, sa vie tout entière, sur la première page d'un livre ? Non, l'unique, la plus douce protection contre toutes les peurs c'est celle-là - un livre qui commence. (A. Baricco, Châteaux de la colère, trad. Françoise Brun, p.82, Points P373)

Gilles G. Jobin
Buckingham, QC, Canada
Dernière mise à jour : 13 février 2008
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Épigraphe

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(in-si-pit). n. m. invar. (1887, LITTRÉ  mot lat., 3e pers. sing. indic. de incipere, « commencer »). Se dit des premiers mots d'un manuscrit, d'un livre...
[Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Tome Troisième, 1963. Paul Robert, p.687]

La collection répertorie actuellement
765 œuvres de 435 auteurs

Ornela Vorpsi
Le pays où l'on ne meurt jamais
Trad. Marguerite PozzoliActes sud
C'est le pays où l'on ne meurt jamais. Fortifiés par de longues heures passées à table, arrosées de raki et ponctuées d'olives onctueuses, les corps sont ici d'une robustesse à toute épreuve.
Les colonnes vertébrales sont de fer, corvéables à volonté et réparables à l'infini. Le coeur, quant à lui, peut engraisser, se nécroser, ses ventricules s'atrophier, il peut subir un infarctus, une thrombose, que sais-je encore? Il tient majestueusement.
Nous sommes en Albanie. On ne plaisante pas.
Le pays où l'on ne meurt jamais est fait de poussière et de boue, le soleil y brûle au point que, parfois, les feuilles de vigne rouillent et la raison se met à fondre. De là vient peut-être, tel un effet secondaire (et, il faut le craindre, irrémédiable), la mégalomanie, délire qui, dans cette flore, pousse de manière incontrôlable, comme une herbe folle. De là, aussi, l'absence de peur - à moins qu'elle ne soit due à la forme de poterie mal façonnée qui est celle du crâne des autochtones, tordu et aplati, royale demeure de l'insouciance, sinon de l'inconscience.


Malek Haddad
Le Quai aux Fleurs ne répond plus
 Média-plus
Comme ces chevaux que l’approche de l’écurie rend nerveux, le train en provenance de Marseille et à destination de Paris se grisait de sa propre vitesse, de sa propre impatience. « On dirait qu’il bachote », pensa Khaled. La pluie pleurait sur les glaces-sécurit.
Khaled n’avait pas dormi. Lorsqu’il était plus jeune, il ne dormait jamais la veille d’un examen. Lui aussi, à sa manière, il bachotait, comme le train, à cette différence prés que le train sait exactement où il va et ne se pose pas de questions.
Simon aura-t-il reçu à temps le télégramme lui demandant de venir l’attendre à la gare ?... On se sent toujours un peu orphelin lorsqu’on débarque quelque part et que personne ne vous attend. Pauvre et presque honteux de cette pauvreté. Il ne se mêle dans ces impressions aucune jalousie, aucune envie pour ceux-là qu’on reçoit les bras ouverts, avec des formules banales, usées, mais débordantes de tendresse et d’amitié. Khaled l’aurait-il son : « As-tu fais bon voyage ? ». Il ne douta pas un seul instant de la présence de Simon sur les quais.


Georges Perec
La vie mode d'emploi
 Le livre de poche n° 5341
Dans l'escalier, 1
Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l'on appelle les  « parties communes », ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s'arrêtent toujours aux paliers. Les habitants d'un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, tirer la chasse d'eau, allumer la lumière, mettre la table, quelques dizaines d'existences simultanées qui se répètent d'étage en étage, et d'immeuble en immeuble, et de rue en rue. Ils se barricadent dans leurs parties privatives - puisque c'est comme ça que ça s'appelle - et ils aimeraient bien que rien n'en sorte, mais si peu qu'ils en laissent sortir, le chien en laisse, l'enfant qui va au pain, le reconduit ou l'éconduit, c'est par l'escalier que ça sort. Car tout ce qui se passe passe par l'escalier, tout ce qui arrive arrive par l'escalier, les lettres, les faire-part, les meubles que les déménageurs apportent ou emportent, le médecin appelé en urgence, le voyageur qui revient d'un long voyage. C'est à cause de cela que l'escalier reste un lieu anonyme, froid, presque hostile. Dans les anciennes maisons, il y avait encore des marches de pierre, des rampes en fer forgé, des sculptures, des torchères, une banquette parfois pour permettre aux gens âgés de se reposer entre deux étages. [...]