La charité

Qui donne aux pauvres prête à Dieu.

Sommaire. - La charité guidée par l'intérêt. - Tous les moyens sont bons. - L'aveugle versificateur. - Il n'a pas perdu au change. - Comment Harpagon comprend l'aumône. - Sursum corda.

Comme tous les bons sentiments, la charité a, de temps à autre, tendance à sommeiller dans le coeur de l'homme. Les conducteurs de peuples, philosophes et prêtres, se sont fait cette réflexion; aussi ont-ils songé à secouer sa somnolence. Pour y arriver, ils firent appel à un autre sentiment moins bon, celui-là, mais malheureusement plus facile à exciter ; ils firent appel à l'intérêt, cherchant à persuader à ceux qui possédaient de se dépouiller légèrement en faveur de ceux qui n'avaient rien, dans cette pensée consolante que ; la récompense leur serait largement servie dans l'autre monde. Tous les moyens sont bons, à la condition de réussir.

Un aveugle, voulant attirer la compassion, s'était mis au cou la pancarte classique agrémentée de quelques vers. La Muse l'avait bien mal inspiré ; sa poésie provoquait plus le rire que la pitié des passants.

Piron, l'auteur de la Métromanie, dont la bonté rivalisait avec l'esprit, offrit sa collaboration et remplaça les vers de l'aveugle par ceux-ci :

Chrétiens, au nom du Tout-Puissant,
Faites-moi l'aumône en passant ;
Le malheureux qui la demande
Ne verra point qui la fera ;
Mais Dieu, qui voit tout, le verra;
Je le prîrai qu'il vous le rende.

L'effet ne se fit pas attendre et l'escarcelle du pauvre homme ne tarda pas à se remplir.

D'autres ne comprennent pas la charité de cette manière, comme en témoigne ce récit :

Sire Harpagon, confondu par le prône
De son pasteur, dit : « Je veux m'amender.
Rien n'est si beau, si divin que l'aumône,
Et de ce pas, je vais... la demander. »

Nous n'avons, cité ce trait que pour nous procurer le plaisir de honnir les avares et les avaricieux en les accablant par surcroît de notre plus profond mépris.

Sursum corda ! Elevons notre âme ; abandonnons ces êtres vils à leurs sordides pensées et disons avec notre grand Victor Hugo :

Donnez ! Il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse.
Donnez! afin qu'on dise : Il a pitié de nous!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Donnez ! pour être aimés de Dieu qui se fit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel !1


1 Les Feuilles d'automne « Pour les pauvres » (janvier 1830).

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.