La fierté

Le coup de pied de l'âne.

Sommaire. - L'âne et les poètes. - Affirmation peu flatteuse. - Phèdre en latin, La Fontaine en français : accord parfait.

Les poètes, qui font leur réputation aux bêtes et aux gens, ont décidé que l'âne était le plus méprisable de tous les animaux. Pour quel motif? Ils ne l'ont pas révélé; leur affirmation doit-elle suffire?

Dans sa fable intitulée : Le Lion devenu vieux, le Sanglier, le Taureau et l'Âne, Phèdre raconte les insultes faites au Lion mourant par tous les animaux.

L'âne voyant que chaque bête
Frappait impunément, lui fracassa la tête
À coups de pied. En déplorant son sort
Le lion expirant dit : « L'outrage du fort
Est cruel à mon coeur, et pourtant je l'endure,
Mais supporter le tien, honte de la nature,
C'est souffrir une double mort. »

La Fontaine, le bon La Fontaine, a trouvé que son prédécesseur en jolies fables parlait d'or, puisque, reproduisant la même situation, il n'a pas craint de faire tenir au Lion s'adressant à l'Âne un langage analogue :

Ah! c'est trop, lui-dit-il : je voulais bien mourir !
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.1

Voilà donc bien établi que le suprême affront qu'un lion puisse subir est le coup de pied de l'âne.

Quand un homme a perdu son prestige et n'impose plus ni crainte ni respect, il se trouve en butte aux outrages de la multitude, aux injures des lâches, c'est-à-dire au coup de pied de l'âne.


1 La Fontaine, Le Lion devenu vieux, livre III, fable 14.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.