Le goût

Être comme un coq en pâte

Sommaire. — Le sultan de la basse-cour. — Volatile gavé. — On ne voit que la tête. — Heureux mari.
Et vous tous, heureux maris !

Si l'on parle du coq ou si l'on y pense, on se représente l'animal fier comme un sultan, se dressant orgueilleusement sur ses ergots au milieu de la basse-cour, entouré de ses nombreuses poules auxquelles il ne permet pas de « chanter » en sa présence.

Le feu semble jaillir de son aigrette altière,
Sa plume sur son cou s'épaissit en crinière,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sa queue, en arc mouvant, sur son dos qu'elle embrasse,
S'élève avec fierté, se recourbe avec grâce ;
Et son plumage entier, qu'il lisse et qu'il polit,
Des rayons du soleil se peint et s'embellit.1

Tel est le portrait sous lequel on voit le plus généralement ce « Chantecler »2, trônant, paradant, et lançant au ciel son éclatant cocorico.

Sous un aspect tout différent apparaît le coq en pâte.

Il y a deux sortes de coqs en pâte : celui que l'on nourrit copieusement, que l'on bourre, que l'on gave de succulente pâtée, heureux de festiner en attendant qu'il devienne « festin » à son tour.

L'autre est réellement dans la pâte ; on voit seule sa tête de faisan ou de perdrix émerger d'un pâté qui le cache entièrement et dans lequel il semble se pelotonner délicieusement.

Celui-là paraît jouir du bonheur parfait.

On lui compare l'homme allongé dans un lit bien chaud, sous de bonnes couvertures, la tête enfouie dans un oreiller moelleux qui ne laisse apercevoir que le bout de son nez. Son aspect de béatitude ne rappelle-t-il pas à s'y méprendre celui du coq en pâte ! Et vous tous, heureux maris, qui possédez femmes bonnes, douces, aimables et aimantes, qui vous préparent vos pantoufles l'hiver, de rafraîchissantes boissons l'été, qui vous bichonnent, qui vous dorlotent, qui vous cajolent, n'êtes-vous pas de véritables coqs en pâte ?


1 J.-B. Lalanne, Les Oiseaux de la ferme.
2 Chantecler, comédie en 5 actes, d'Edmond Rostand.