La lecture est une expérience sensible qui se situe dans le monde réel, où on s'expose à des blessures, où l'âme subit des lésions. Une phrase qu'on lit peut être une semence qui pousse. Soudain de manière imprévisible, elle s'ouvre à elle-même et déchire le sol où elle est tombée au hasard du vent et peut-être de la chance.
Pascal Quignard, Les Paradisiaques, 2005


Cette semaine, mon collègue conseiller pédagogique en français m'a demandé ce que je suggérerais à des jeunes de 13-15 ans qui n'aiment pas vraiment lire. « Ce doit être des auteurs francophones non québécois car nous avons déjà une bonne liste de ces derniers. » m'a-t-il lancé.

Suggérer des lectures m'est toujours difficile : la lecture étant un plaisir intime, comment ne pas se sentir violé lorsque ces choix sont critiqués ou désavoués?

L'autre problème est relié au plaisir de la lecture à l'école. Je vois tant de gens qui n'aiment pas lire. Pas seulement des élèves : j'inclus aussi les intervenants du monde scolaire. Donc, remettre une liste à un enseignant qui n'éprouve pas le plaisir de la lecture et qui ne connaît pas les auteurs suggérés, ou qui, envers certains, est rempli d'un triste préjugé (quels sont vos sentiments en voyant Hugo ou Zola?) m'apparaît comme un grand risque. Je sens que cela paraît très bien, promouvoir la lecture, mais, dirait-on, à la condition qu'on n'ait pas soi-même à lire.

Et puis, il a aussi tout ce monde de la catégorisation. Qu'est-ce qu'un lecteur à 15 ans? La lecture n'est pas une question d'âge, c'est une question de sensibilité. Le rôle de l'enseignant est de suggérer une panoplie de lectures possibles. Pour cela, il faut soi-même avoir beaucoup lu pour pouvoir parler des livres. Sinon, cela demeure un exercice bidon, comme on en vit tant dans nos écoles.

Malgré tout, j'ai pris une petite demi-heure, passant rapidement au travers de mes auteurs sur Au fil de mes lectures pour lui proposer quelques titres.

Barjavel. Soit Ravage ou La nuit des temps ou encore Le Voyageur imprudent. C'est de la bonne SF française.

De C. Bobin, Isabelle Bruges. Cela constituerait d'ailleurs une belle lecture à haute voix que l'enseignant pourrait faire en classe.

P. Cauvin : Pythagore je t'adore.

Et puis, il faut lire La petite fille de M. Linh de Philippe Claudel.

A. Dhôtel avec Le pays où l'on arrive jamais.

Folco. Dieu et nous seuls pouvons. Imaginons un enseignant qui en fait la lecture à ses élèves, une demi-heure par jour...

Fermine avec Neige ou l'Apiculteur.

Gougaud et son Bélibaste.

Les polars de Grangé.

On dira ce qu'on voudra, mais il faut lire V. Hugo. Suggérons L'homme qui rit.

Les Rouletabille de Gaston Leroux.

Mingarelli avec, par exemple, La dernière neige.

Orsenna avec La grammaire est une chanson douce.

Toutes la série des Kamo de Pennac. Ses Malaussène aussi, évidemment.

La joueuse de go de Shan Sa.

Van Cauwelarert avec La vie interdite ou encore L'éducation d'une fée.

Les polars de F. Vargas.

Il serait sans doute pertinent de cibler un ou deux Jules Verne et, pourquoi pas, des nouvelles de Zola.

Ces livres doivent être présentés aux élèves. Et pour cela, il faut les avoir lus soi-même pour pouvoir en parler. Cette liste est donc ma liste, celle que je n'hésiterais pas à vendre aux élèves.