C'est Bacon qui dit : « La lecture fait l'homme complet, la conférence fait l'homme préparé, et la rédaction l'homme exact ».
M. Adler, Comment lire les grands auteurs, trad. Louis-Alexandre Bélisle , p.371, Le Club des Grands Auteurs, 1964


En voulant à savoir un peu plus sur cette phrase donnée en exergue, je suis tombé sur le texte ci-dessous dans lequel Francis Bacon (1561 – 1626) nous parle des études. Rempli de belles réflexions, je le retranscris ici.

Les études sont pour l'esprit une source d'amusement, d'ornement et d'habileté. Une source d'amusement, dans la retraite et la solitude ; une source d'ornement, dans les entretiens particuliers et les discours publics ; enfin une source d'habileté, dans la vie active où elles mettent en état de faire des observations et des dispositions judicieuses. Un homme instruit par la seule expérience est plus propre pour l'exécution, et même pour juger en détail des personnes et des choses prises une à une ; mais un homme instruit par l'étude l'emporte sur lui pour les vues générales et la direction principale des affaires. Employer trop de temps à l'étude n'est qu'une paresse décorée d'un beau nom ; prodiguer à tout propos les ornements qu'on peut tirer de ses études n'est qu'une affectation ; ne juger des hommes et des choses que d'après les règles tirées des livres est une méthode qui ne convient qu'à un scolastique et à un pédant. Les lettres perfectionnent la nature, et sont elles-mêmes perfectionnées par l'expérience, les talents naturels, ainsi que les plantes, ayant besoin de culture ; mais les directions qu'on en tire sont trop générales et trop vagues si elles ne sont limitées et déterminées par l'expérience. Les intrigants méprisent les lettres, les simples se contentent de les admirer, les sages savent en tirer parti ; car les lettres seules sont insuffisantes et ne suffisent pas même pour nous apprendre à bien user des lettres. Ce qui peut nous apprendre à en faire un bon usage, c'est une certaine prudence qui n'est pas en elles, qui est au-dessous d'elles, et qu'on ne peut acquérir que par l'expérience ou l'observation. Quand vous lisez un ouvrage, que ce ne soit ni pour contredire l'auteur et le réfuter, ni pour adopter sans examen ses opinions et le croire sur sa parole, ni pour briller dans les conversations ; mais pour apprendre à réfléchir, à penser, à examiner, à peser et ce que dit l'auteur et tout le reste. Il y a des livres dont il faut seulement goûter, d'autres qu'il faut dévorer, d'autres enfin, mais en petit nombre, qu'il faut pour ainsi dire mâcher et digérer. Je veux dire qu'il y a des livres dont il ne faut lire que certaines parties; d'autres qu'il faut lire tout entiers, mais rapidement et sans les éplucher ; enfin, un petit nombre d'autres qu'il faut lire et relire avec une extrême application. Il en est aussi qu'on peut lire, en quelque manière, par députés, en en faisant faire des extraits par d'autres. Bien entendu qu'on ne lira ainsi que ceux qui traitent des sujets peu importants ou qui ont été écrits par des auteurs médiocres. Dans tout autre cas, ces livres ainsi distillés sont aussi insipides que ces eaux distillées qu'on trouve dans le commerce. La lecture donne à l'esprit de l'abondance et de la fécondité; la conversation, de la prestesse et de la facilité; enfin, l'habitude d'écrire, de la justesse et de l'exactitude. Tout homme qui est paresseux à écrire a besoin d'une grande mémoire pour y suppléer ; celui qui converse rarement ne peut y suppléer que par une grande vivacité naturelle d'esprit ; enfin, celui qui lit peu a besoin d'une grande adresse pour paraître savoir ce qu'il ignore. Les différents genres d'ouvrages produisent sur ceux qui les lisent des effets analogues à ces genres. L'histoire rend un homme plus prudent, la poésie le rend plus spirituel, les mathématiques plus pénétrant, la philosophie naturelle (la physique) plus profond, la morale plus sérieux et plus réglé, la rhétorique et la dialectique plus contentieux et plus fort dans la dispute. En un mot, les études se changent en mœurs (ou passent dans les mœurs). Je dirai plus, il n'est point dans l'esprit de vice ou de défaut qu'on ne puisse corriger par des études bien appropriées à ce but ; comme on peut prévenir, guérir ou pallier les maladies proprement dites par des exercices convenables. Par exemple, jouer à la boule est un remède ou un préservatif pour la gravelle et les maux de reins ; tirer de l'arc en est un pour la pulmonie et les maux de poitrine; la promenade est salutaire à l'estomac, l'équitation au cerveau, etc. De même un homme dont l'esprit est sujet à beaucoup d'écarts et a peine à se fixer doit s'appliquer aux mathématiques ; car pour peu qu'en lisant ou en écoutant une démonstration de ce genre on ait un moment de distraction, il faut tout recommencer. S'il est confus et peu exact dans ses distinctions, qu'il étudie les scolastiques, hommes doués d'un merveilleux talent pour couper en quatre un grain de millet ; s'il a peu de disposition naturelle à discuter les matières, à fouiller dans les livres ou dans sa mémoire pour établir ou éclaircir un point à l'aide d'un autre, qu'il se familiarise avec les cas des jurisconsultes. Ainsi, l'étude peut fournir des remèdes spécifiques et propres à chaque vice ou défaut dont l'esprit est susceptible.
Francis Bacon
Vous trouverez ce texte dans le tome suivant de ses oeuvres.