Au début de l'année, j'ai été questionné par madame Isabelle Toussaint, rédactrice pigiste, dans le cadre d'un article qu'elle préparait pour une revue québécoise. Cette revue l'ayant refusé, cet article se retrouve maintenant dans le dernier numéro de l'École Branchée. Pour des raisons que je peux comprendre, rien de ce que j'avais exprimé à madame Toussaint ne se retrouve dans l'article publié.

Voici donc comment j'avais répondu aux questions de madame Toussaint.

Une précision cependant : Je suis conseiller pédagogique en maths et animateur du RÉCIT local pour ma CS. Cependant, mes idées ne reflètent absolument pas celles de mon employeur. En ce sens, je suis « penseur autonome »!


Isabelle Toussaint (IT) : Quelles sont, selon vous, les raisons qui expliquent l'engouement pour le TBI partout dans le monde ? Est-ce sa simplicité relative d'emploi conjuguée à sa richesse en matière de possibilités (gestion des documents, accès Internet, écrire sur le tableau, sélection d'un élément à visionner, faire fonctionner un logiciel, introduire des images) ?

GJ : Je ne sais pas s'il s'agit d'un engouement ou, plus simplement, d'une mode. Depuis 2-3 ans maintenant, le gouvernement donne environ 30 $ par élèves (la commission scolaire doit en ajouter 15 $) pour le renouvellement ou l'ajout de matériel informatique, soit une véritable manne pour certaines compagnies. Ces dernières ont fait plusieurs représentations auprès des services informatiques qui y ont vu du potentiel pédagogique.

IT : Le TBI à vos yeux est surtout un outil pour l'enseignant, mais pas un outil d'apprentissage. Peut-on estimer qu'il a par contre atteint sa cible quant à l'aspect de l'information et de la communication ?

GJ : Par cible, entendez-vous l'ÉLÈVE ? Le TBI est un outil technologique qui laisse l'enseignant dans le paradigme de l'enseignement : J'enseigne (en faisant un bon «show» avec un TBI); tu écoutes et, parfois, je te laisse faire une présentation au TBI. Rien de bien révolutionnaire là-dedans. En fait, c'est tout le contraire : avec ce tableau, le prof est conforté dans sa vision « remplir des têtes vides ».

IT. J'aimerais que vous me donniez plus en détail l'exemple d'une technologie informatique/numérique qui pour un coût nettement inférieur offre une vraie dynamique d apprentissage.

GGJ. Pourquoi une technologie qui offre une vraie dynamique devrait-elle avoir un coût inférieur ? M'enfin...
Pour qu'il y ait apprentissage, il faut que l'élève soit actif dans la construction de son savoir. C'est pure illusion que de croire qu'un élève apprend en restant assis 50 minutes à écouter un prof (avec TBI ou non) déblatérer sa matière. Cette technique n'est utile que si on veut gaver les élèves de connaissances qu'ils régurgiteront quelques jours plus tard dans un examen.
Il n'est pas nécessaire que chaque élève ait son ordinateur portable. Cependant, si cet élève a besoin d'utiliser un ordinateur, ce dernier doit être immédiatement accessible.
Quelques exemples.
Un élève écrit un texte. Alors, IL DOIT être en mesure d'ouvrir un ordinateur, d'utiliser un texteur (en mode local ou Internet), d'ouvrir son correcteur orthographique, d'ouvrir DES dictionnaires, d'accéder à l'Internet pour y faire des recherches sur des mots, des phrases, des idées, etc.

On demande aux élèves de travailler en équipe sur un projet. Ces élèves DOIVENT avoir accès à des ordinateurs pour plusieurs étapes du projet :
- Remue-méninges avec un mind-mapping, par exemple.
- Structuration des idées et construction du plan (plusieurs logiciels sont d'une grande aide pour ce faire)
- Partage des idées (via un wiki par exemple ou un Google document)
- Écriture (wiki, texte partageable synchrone et asynchrone, outil de correction grammaticale, logiciel de graphisme, etc.)
... et j'en oublie.

Le rôle du prof dans tout cela ? Laisser les élèves travailler !!! Les guider, leur faire prendre conscience de leurs avancées, de leurs difficultés, de leurs forces, de leurs défis. Auparavant, il était important que l'enseignant sache ce que l'élève apprend. Aujourd'hui, il est plus important que ce soit l'élève qui sache ce qu'il apprend et ce qu'il lui reste à apprendre !!!

IT. Dans les outils que vous utilisez, quels sont ceux qui sont plus particulièrement efficaces en matière de pédagogie ouverte ?

GJ. C'est quoi, la pédagogie « ouverte » ? Je répète que le programme de formation exige que l'élève soit actif dans ses apprentissages. Et ce faisant, il arrivera à développer sa vision du monde.
Il faut aussi définir le mot outil car, d'après moi, on utilise beaucoup plus l'ordinateur comme un ustensile que comme un outil : le traitement de texte est une dactylo moderne, le courriel, un échange moderne de lettres, le tbi, un tableau noir moderne. Alors qu'un outil est un moyen facilitant l'exploitation de notre créativité et notre originalité. Voir à ce propos mon billet écrit en 2007.

IT. Le problème de la formation des enseignants reste important. J'ai cru comprendre qu'il est question de logiciels de programmation dans vos enseignements. Ces logiciels ne sont-ils pas trop complexes à appréhender pour un enseignant non initié ? N'est-ce pas trop en demander aux profs ? Cela ne requerrait-il pas systématiquement un conseiller pédagogique ? Et n est-ce pas alors là que le coût du TBI s'efface ?

GJ. Mais non ! Au Québec, le mot « programmation informatique » est tabou à l'école. Cela vient du milieu des années 80 où l'université offrait un certificat en Applications Pédagogiques de l'Ordinateur. Les inscrits apprenaient à construire des exerciseurs en BASIC. Une gang de profs ont été écoeurés par la chose...
Programmer un ordinateur, c'est lui enseigner ! Or quoi de mieux pour apprendre que d'enseigner. Donc, un élève qui enseigne à l'ordinateur nécessairement apprend ! C'est ce dernier concept qui n'est pas compris ou dans lequel on ne croit pas.
Quant à la compétence des profs, il ne faut pas oublier qu'ils ont tous réussi un bac à l'université. Apprendre à programmer n'est certainement pas au-dessus de leurs capacités...

IT. Au fond, les logiciels que vous utilisez pourraient-ils être appréhendés par les enseignants de la même façon intuitive que peut l'être le TBI ? Et si oui, alors il y a un problème d'information auprès du corps enseignant, non ?

GJ. Mais un TBI, ce n'est qu'un tableau blanc. C'est tout ! Avec ce dernier, vient généralement un logiciel qui permet d'activer différentes fonctions l'fun pour le prof qui enseigne. Mais on peut faire la même chose avec un canon projecteur et un ordinateur équipé du même logiciel (ou d'un logiciel libre qui fait le même job!)

IT. En quoi le principe de travailler avec un système de programmation enrichit-il l'apprentissage d'un enfant ? Quelles habiletés sont alors développées ? Comment un enseignant pourrait-il s approprier de tels logiciels pour l'aspect magistral de son enseignement ?

GJ. Drôle de question. Pour y répondre, il faudrait que je vous fasse une démonstration ou que vous veniez en salle de classe pendant que les élèves sont en projet «programmation».
En programmant, l'élève développe une grande majorité des compétences du programme de formation. L'élève apprend à organiser ses idées, à résoudre des problèmes, à créer, à imaginer, à communiquer ses idées, et j'en finis plus...
L'enseignement magistral est R I D I C U L E. Apprendre en écoutant quelqu'un d'autre est une aberration. Sauf, peut-être, pour apprendre à recracher de bonnes réponses à un examen qui ne veut rien dire..

IT. Quelles sont les TIC qui, selon votre expérience, sont efficaces auprès d'élèves en difficulté significative ?

GJ. TIC et efficacité... Pourquoi jumeler ces deux mots ? Les TIC permettent à une personne d'actualiser sa pensée. Là est toute sa force. Je fais régulièrement du SCRATCH (c'est un logiciel de programmation créé au MIT) avec tous les élèves, du premier cycle du primaire au secondaire, en passant par les élèves EHDAA. Pourquoi un tel succès auprès de ces éleves ? Parce qu'ils sont actifs  parce qu'on les laisse libres de développer une idée de leur crue ;parce que cela permet autant aux « faibles » (je hais les catégories) qu'aux «forts» de pousser leur imagination....

IT. Monsieur Thierry Karsenty (titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication en éducation à l'Université de Montréal) estime que se sont surtout des outils comme YouTube ou FaceBook qui sont les outils de l'avenir. Qu'en pensez-vous ?

GJ. Il est certain que le socioweb est important. Et qu'ils sont déjà très présents dans l'univers du jeune. Mais je me demande bien ce que l'école peut en faire. L'école n'est pas là pour permettre aux élèves de clavarder et de visionner des vidéos. Pour moi, l'ordinateur permet à (aide) une personne à devenir ce qu'elle est. Je sais, c'est un peu quétaine tout ça, mais si, en écrivant, on peut être lu par tous, c'est que, d'abord, on a écrit avec une intention profonde ou sérieuse. Si, en créant, on peut partager à tous les fruits de ces créations, c'est aussi parce que, d'abord, on a créé quelque chose. Je pense que l'ordinateur permet de devenir meilleur apprenant, meilleur humain.

IT. L'évolution des technologies étant tellement rapide, le TBI ne va-t-il pas être, de toute façon, très vite dépassé en matière de technique ?

GJ. Je ne sais pas, et je m'en fous. Pour moi, aussi paradoxalement que cela puisse paraître dans ma bouche, la technologie est bien secondaire. Et c'est de même pour le français, les mathématiques ou l'histoire. Ce qu'on apprend n'est pas important ; ce qui est important, c'est être en état d'apprentissage. Or il arrive que l'ordinateur, l'Internet, les logiciels libres judicieusement employés (c'est ici qu'on trouve le rôle du pédagogue !) offrent une quasi-permanence de cet état !