Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

lundi 15 novembre 2004

Les p'tits pas

Force m'est de le constater, je ne crois pas du tout aux apprentissages par petits pas. Ça me rappelle beaucoup l'apprentissage par objectifs (vous vous souvenez ? les terminaux, les intermédiaires, les sous-objectifs, etc.) où on pensait - et certains le pensent toujours - qu'il vaut mieux diviser la connaissance en bouchées minuscules puisque cette somme de petits morceaux donne le plat complet. C'est voir l'apprentissage sur une droite continue. Le problème avec la droite continue, c'est qu'on peut toujours faire la moitié du chemin, puis la moitié du chemin qui reste (Zénon). Tout au contraire, je m'aperçois que j'apprends à la sauce quantique : l'apprentissage est une question de sauts paradigmatiques. Donc, pour apprendre, il faut sauter et non avancer à petits pas. Quand on apprend, on sent une «vibration/fébrilité» : c'est le gain d'énergie, celui qui nous permettra de sauter et de ne jamais revenir en arrière.

Prenons l'exemple du saut paradigmatique le plus connu. Ptolémée nous disait : « Vous le voyez bien, le Soleil tourne autour de la Terre ». Copernic est arrivé et un peu avant de mourir (il ne voulait pas avoir de problèmes avec ses boss) il nous annonce : « Voilà, c'est évident, j'ai les chiffres qui le prouvent, la Terre tourne autour du Soleil. Adieu ! ». Mais peut-être faut-il entendre « À Dieu (de jouer) ». C'est, si je ne m'abuse, ce qui est enseigné encore aujourd'hui. Cependant, autour de 1915, Einstein nous a dévoilé la vraie vérité : « On ne peut prouver que la Terre tourne autour d'elle-même et autour du Soleil. Pas plus qu'on ne peut prouver que le Soleil tourne autour de la Terre. Tout ça est une question de point de vue ! ». Pourtant, posez la question autour de vous, plein de gens croient vraiment que la Terre tourne autour du Soleil. C'est-à-dire qu'ils croient vraiment que la chose est prouvée ! Demandez alors de voir la preuve. Vous serez surpris des réponses. L'une de celle-ci est du genre « Ben, vous savez, l'aplatissement des pôles... ». Répondez alors : « L'aplatissement des pôles ? Mais les équations d'Einstein démontrent que la puissance rotative de l'Univers autour de la Terre crée justement l'aplatissement des pôles! ». Et on vous regardera comme si vous étiez un fou...

On ne peut apprendre ça par petits pas. L'apprentissage est un choc. Un douloureux choc. Mais un choc libérateur. Bien sûr, on entend aussi dans l'expression « petits pas » une espèce de douceur, de ouate entourant l'apprenant. Mais ça, c'est le rôle du pédagogue, certains auteurs le réalisant très bien aussi, de faire passer la pilule le moins douloureusement possible. Mais éviter la douleur est, à mon avis, impossible. À moins d'endormir le patient mais alors la douleur vient au réveil...

Portables, petits pas, etc.

Je pense qu'un problème important est ce concept, faux à mon avis, de la «plus-value» apportée par les TIC.


Un exemple : je n'ai absolument pas besoin des TIC pour enseigner les maths. Je m'installe au tableau, écris les formules à digérer, envoie quelques problèmes de vie aux élèves, leur donne quelques minutes pour y répondre, et on corrige le tout. C'est fini. Et on répète cette technique pédagogique au prochain cours. Dites-moi un peu : que peut m'apporter mon beau portable tout neuf là-dedans ? Ah oui : j'envoie un courriel d'encouragement aux élèves, et, si le temps me le permet, je vais faire un petit «Powerpoint» pour leur indiquer le contenu du cours , et pourquoi pas, je vais rédiger mes examens sur mon traitement de texte. Wow, la «plus-value» ! C'est plus de «troubles» que d'autres choses...

En fait, l'idée EST DE NE PLUS penser comme ça : le prof dispensateur de la connaissance, l'élève le gobeur et le recracheur de cette belle connaissance. Or SI on ne pense plus comme ça, les TIC sont indispensables : plus question d'enseigner sans un logiciel de géométrie dynamique, sans un langage de programmation, sans la construction d'animation pour illustrer les concepts, sans la création de robots, sans l'utilisation de logiciels à calculs symboliques, etc. Non pas parce que J'ENSEIGNE avec ça, mais parce que l'élève APPREND avec ça. D'un portable, on doit absolument équiper ce prof qui vit dans un autre monde, un autre paradigme. Lui, il saura l'utiliser intelligemment.

À mon avis, le gros problème avec les TIC dans la province de Québec vient de cette ex-ministre Marois qui nous a demandé il y a quelques années d'écrire des plans TIC qui justifieraient l'achat d'équipement. J'en ai écrit, un plan. Parce que je croyais bien qu'elle les lirait. Foutaise. Je suis convaincu qu'elle ne sait même pas ouvrir un ordinateur. Je suis convaincu qu'elle ne les a jamais lu : l'objectif était juste d'amener TOUT LE MONDE à un ratio de 1 ordi pour 10 élèves. Dans le centre où je travaillais, on y était déjà. La réponse de la Ministre : Rien chez vous, car vous avez déjà le ratio. J'étais furieux et le suis toujours d'ailleurs.

J'en ai marre de nos dirigeants incompétents qui font avant tout de la politique (on donne un «minimum» à tout le monde, donc on sera réélu) au lieu de prendre des risques intelligents : donner aux innovateurs, aux créateurs, aux penseurs qui sont dans le système pour que les changements s'installent en provenant du terrain. Donner enfin à ces gens la structure nécessaire pour qu'émerge le changement. Mais on ne comprend pas ça dans la province.

Je suis donc tout à fait contre le don à tous de portables, voire d'ordinateur dans la classe. C'est évident que ça ne donne rien. Je suis pour le don d'un portable (et de tonnes de machines pour les élèves de la classe) à ceux qui ont fait le saut, ceux qui pensent autrement. Il est tout à fait ridicule de penser qu'en donnant à tous, ils feront un saut quantique. Ils ne réussiront qu'à faire des petits pas qui ne les amèneront pas bien loin.