Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

vendredi 1 mars 2013

Miette 85 : Un bienfait n'est jamais perdu

La charité

Un bienfait n'est jamais perdu.

Sommaire. — Semence et récolte. — Ulysse et Phyloctète dans l'île de Lemnos. — Légende orientale. — Un pied couronné. — Roi, baquet et chameau. — Récompensé dans le ciel.

Un disciple ou un précurseur de Schopenhauer a pu dire :

« Semez les bienfaits, vous récolterez l'ingratitude », n'en croyez rien.

Sans aller jusqu'à déclarer que la reconnaissance est une vertu innée dans le coeur de l'homme et pratiquée par tous, on constate fréquemment, Dieu merci, que beaucoup s'aperçoivent du bien qu'on leur fait et en conservent un bon et durable souvenir.

C'est ce sentiment que Philoctète, dans la tragédie de ce nom, cherche à éveiller dans l'âme de Pyrrhus qu'il conjure de l'arracher à l'abandon où il est réduit dans l'île de Lemnos :

Considère le sort des fragiles humains,
Et qui peut un moment compter sur les destins?
Tel repousse aujourd'hui la misère importune
Qui tombera demain dans la même infortune.
Il est bon de prévoir ces retours dangereux
Et d'être bienfaisant alors qu'on est heureux.1

« L'un des avantages des bonnes actions, d'après J.-J. Rousseau, est d'élever l'âme et de la disposer à en faire de meilleures. »2

Il en est un autre immédiat, c'est la joie qu'on éprouve à faire du bien ; la récompense est dans le coeur de l'homme bienfaisant :

Le bonheur appartient à qui fait des heureux.3

Cela suffirait amplement pour prouver qu'un bienfait n'est jamais perdu.

Une légende orientale rapporte un apologue très original sur ce sujet. J'en reproduis ici la traduction textuelle :

Dieu dit un jour à ses saints de se tenir prêts à fêter l'arrivée d'un nouvel élu avec tous les honneurs du cérémonial observé dans la cour céleste à l'égard d'un petit nombre de rois admis à l'éternelle béatitude ; et les saints se hâtèrent de courir à l'entrée du Paradis afin de recevoir de leur mieux un hôte si important et si rare. Ils pensaient que ce devait être un très grand monarque qui venait d'expirer; mais, au lieu du personnage qu'ils attendaient, ils ne virent arriver qu'un pied, un pied en chair et en os, détaché du corps dont il avait fait partie. Il était surmonté d'une riche couronne et il s'avançait fièrement au milieu d'eux en passant à travers leurs jambes.

Saisis d'étonnement à la vue de ce phénomène, ils s'en demandaient l'un à l'autre l'explication et personne ne pouvait la donner.

En ce moment apparut au-dessus de leurs têtes l'archange Gabriel qui s'envolait à tire- d'aile vers notre globe. Ils l'interrogèrent et il leur répondit :

« Le pied couronné que vous voyez est le pied d'un roi. Ce roi, allant un jour à la chasse, aperçut un chameau qui était attaché à un arbre et qui s'efforçait d'allonger le cou vers un baquet plein d'eau placé hors de sa portée. Le prince compatit à la peine de l'animal et rapprocha de lui le baquet avec le pied, afin qu'il pût s'y désaltérer.

C'est pour cette bonne action, la seule qu'il ait faite dans sa vie, que son pied est venu à Dieu, tandis que le reste de son corps est allé au diable.

Le Très-Haut m'envoie publier cette nouvelle sur la terre pour que les hommes se souviennent qu'un bienfait n'est jamais perdu. »

La religion chrétienne enseigne également à être bon et généreux envers tous, et principalement envers les misérables :

Donnez! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière
D'un mendiant puissant au ciel !4

Dieu n'oublie pas l'homme miséricordieux et compatissant lorsqu'il se présente dans le séjour des élus.

Alfred de Musset s'est rappelé ces leçons de son enfance dans le touchant récit d'une de ses plus délicates poésies :

Je me souvins alors de ce jour de détresse
Où j'avais à l'enfant donné mes deux écus ;
C'était par charité, je les croyais perdus.
De Celui qui voit tout je compris la sagesse,
La mère ce soir-là me les avait rendus.5


1 Philoctète, tragédie de Laharpe, acte I, scène iv.
2 Les Confessions, partie I, livre VI.
3 L'abbé Delille.
4 Victor Hugo, Les Feuilles d'automne : «Pour les pauvres» (janvier 1830)
5 Une bonne fortune, 43e strophe.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

De toutes les Paroisses, page 179

Ah ! pourquoi vertueux et agréables ne vont-ils pas toujours ensemble !

Les parties d'un entier regardent toujours si l'une d'elles n'est pas plus favorisée que l'autre.

Le beau temps a quelquefois l'air exalté, tant il est beau.

Une belle haie excuse le désordre.

On s'habitue à recevoir, et la gêne est souvent plus grande à celui qui donne qu'à celui qui reçoit.

La paresse déjeune avec le sommeil et soupe avec la faim.

Anne Barratin, De toutes les Paroisses, Ed. Lemerre, Paris, 1913