Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

dimanche 18 novembre 2012

De toutes les Paroisses, page 76

Le silence est un vengeur élégant et fier.

Les femmes les plus prisonnières de maris exigents sont souvent les plus inconsolables dans leur veuvage : on dirait que leurs chaînes leur manquent.

Le temps de la maladie est le temps de la grâce : le monde fuit, les pensées vaines s'éloignent, on en a fini avec les considérations humaines, Dieu nous parle, et la mort, de temps en temps, vient s'asseoir, câline, au pied de notre lit.

Une femme attend d'être prise par l'amour pour songer à se défendre, c'est vraiment un peu tard.

Ce qu'on a véritablement de moins à soi, c'est son argent.

L'insuccès nous fait ausculter nos prétentions.

Anne Barratin, De toutes les Paroisses, Ed. Lemerre, Paris, 1913

Miette 77 : Il n'est chasse que de vieux chiens

L'expérience

Il n'est chasse que de vieux chiens.

Sommaire. - Opinion d'un révolutionnaire. - Plaisirs princiers. - Le lapin d'abord ; après, le peuple ! - Précieux auxiliaire. - Il aboie, attention ! - Saint et chien. - Châsse et chasse. - La couronne des vieillards.

Un farouche révolutionnaire qui n'aimait pas les têtes couronnées sous prétexte qu'elles étaient, sans exception, placées sur des cous de tyrans, refusait toute espèce de distraction aux détenteurs de trônes; il ne voulait pas « qu'un roi s'amuse », estimant que les plai- sirs princiers ne peuvent que dissimuler des vices ou préparer des crimes. Il leur déniait en première ligne le droit de « courre » le gibier, occupation qui lui inspirait des craintes pour la sécurité de leurs sujets; sa répulsion pour le goût cynégétique des rois s'exhale dans un couplet à sinistre conclusion :

Je n'aime pas un prince aussi chasseur,
Car, à la chasse,
Le temps qu'on passe
Est perdu pour notre bonheur.
C'est par un lapin qu'on commence,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C'est par un peuple qu'on finit !

Ne prenons pas les choses au tragique; admettons que, fût-on le plus absolu des mo- narques, on peut chasser et aimer la chasse sans arrière-pensées homicides. La chasse présente un intérêt multiple : salutaire par l'exercice que procure la poursuite du gibier; utile pour celui qui s'en nourrit; gastrono- mique pour le gourmet.

Après un bon fusil, ce qui importe le plus au disciple de Nemrod, c'est un bon chien. Le difficile est de trouver ou former les chiens de chasse, canes venatici ; pour cela il faut du temps et de la patience; une fois obtenu le résultat, et l'animal dressé, on pos- sède un précieux auxiliaire, d'autant meilleur qu'il a pratiqué davantage et pendant plu- sieurs années. Rien ne vaut un vieux chien de chasse (il n'est chasse que de vieux chiens). Son flair affiné lui révèle les différentes sortes de gibiers ; il en connaît les habitudes et les ruses au point de les découvrir et dépister. Son maître s'en rapporte bien souvent à lui, confiant dans sa longue expérience.

Le proverbe latin a le même sens : Prospec- tandum vetulo cane latrante: « il faut faire atten- tion dès qu'un vieux chien aboie ». Ici, on met en scène le chien de garde au lieu du chien de chasse ; mais l'idée est la même ; l'âge seul du chien est considéré et mis en valeur.

Un ami de saint François de Sales, J.-Pierre Camus, évêque de Belley, attaquait avec véhé- mence soit en chaire, soit dans ses écrits, les désordres des moines mendiants et tentait de réformer les abus du clergé ; il trouvait qu'on canonisait un peu trop facilement à son époque, et réclamait pour les saints un âge avancé ; il formula sa critique en parodiant le pro- verbe dans un de ses sermons : Il n'est châsse que de vieux saints. L'a peu près est amusant et spirituel, sinon très orthodoxe, mais quel rapport de saint avec chien, et de châsse avec chasse ? l'attrait seul d'une assonance permet- tant de lancer un jeu de mots.

L'analogie du vieux chien expérimenté s'explique davantage avec le vieillard aux conseils empreints de sagesse et de prudence.

Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.1

Les vieillards ont beaucoup vu, beaucoup appris, beaucoup retenu et savent beaucoup. La connaissance des hommes, l'habitude de la réflexion et mille notions variées qu'ap- porte le seul cours des années font qu'on ne peut que gagner en leur compagnie; et chasser avec eux dans les guérets et les plaines de la vie est agréable et fructueux. L'expérience consommée est la couronne des vieillards.

Ne fais rien sans conseil ; la grise expérience
Et blanche foy du vieil beaucoup te servira :
Où l'oeil du corps finit, l'oeil de l'esprit commence,
Et sa tremblante main le sceptre affermira.2




1 La Fontaine, L'Hirondelle et les petits Oiseaux, livre I, fable 8.
2 Jean Bachot (1629).

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.