La modestie

L'excès en tout est un défaut.

Sommaire. - Hippocrate dit oui, Galien aussi. - Conseil selon la formule. - Le bon devient mauvais - Suprême ressource. - Gare aux eaux !
Hippocrate avait révélé le moyen de bien se porter. Quoique les docteurs ne soient pas toujours d'accord et qu'on ait l'habitude de répéter : « Hippocrate dit oui, Galien dit non », celui-ci partageait l'avis du vieillard de Gos et en donnait la formule : « Id est : cibi, polus, somni, ornnia moderato, sint; c'est-à-dire : nourriture, boisson, sommeil, soyez modérés en tout ». C'est précisément le sens de notre proverbe, et disons hardiment avec les pères de la médecine : « L'excès en tout est un défaut ».

Répétons-le avec Guy du Faur, qui l'a commenté dans ses Quatrains moraux :

La modération est la vertu suprême,
L'excès mine le corps, il dégrade l'esprit.
 son funeste joug quiconque s'asservit
Est aux autres nuisible et se nuit à soi-même.

Insistons-y avec le vicomte Morel de Vincé : de sa Morale de l'Enfance, en 512 quatrains, détachons celui-ci :

Craignez l'excès de zèle et dans les vertus mêmes
Sans cesse conservez la modération.
Dans le milieu toujours est la perfection :
On ne la trouvera jamais dans les extrêmes.

Evidemment, il y a de bonnes choses dans la vie, le vin par exemple :

Le bon vin, quand on se modère,
Procure un effet salutaire ;
De la santé c'est le soutien,
Voilà le bien.

Mais,

Si la raison n'est attentive,
D'encor en encor il arrive
Qu'un coup de trop nous est fatal :
Voilà le mal.1

Les bons dîners, les joyeux soupers, les bals, les fêtes, les parties de plaisir, le travail lui-même, ce grand et souverain consolateur, tout cela présente, sur le moment, charme, joie et délices, à la condition de n'en pas abuser, uti, non abuti; autrement, gare aux maladies qui sournoisement vous guettent au détour du chemin. Je sais bien que l'on compte sur la saison des villes d'eaux pour se refaire la santé et chasser malaises et douleurs.

Mais hélas ! dès que chacun rentre
Chez soi, chacun est mécontent;
Celui qui se plaignait du ventre
Souffre des reins à chaque instant.

Les eaux à ce neurasthénique
D'un peu de goutte ont fait present ;
Et ce goutteux (destin inique)
Est neurasthénique à présent...

À seules fins (car tout s'enchaîne)
Que tous, malades et badauds,
Refassent, la saison prochaine,
La fortune des villes d'eaux.2

Le remède, on le voit, peut être pire que le mal ; soyez-en donc bien convaincus : « L'excès en tout est un défaut ».

Tout vouloir est d'un fou ; l'excès est son partage ;
La modération est le trésor du sage ;
Il sait régler ses goûts, ses travaux, ses plaisirs.
Mettre un but à sa course, un terme à ses désirs.3


1 Panard, Le Bien et le Mal, chanson.
2 Hugues Delorme
3 Voltaire, Discours iv.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.