Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mercredi 15 août 2012

Twitter en éducation

Twitter...

Ah ! Twitter.

Pourquoi y a-t-il si peu d'intervenants dans le monde de l'éducation qui twittent ? Je posais récemment la question sur Twitter et, bien sûr, les arguments du manque de connaissance de l'outil et de formation sont revenus.

Quant à moi, ces arguments, quoique logiques, ne sont tout simplement pas les bons. En effet, pour avoir vendu l'idée d'utiliser Twitter autour de moi (aussi bien aux amis qu’aux collègues), je sais que ces arguments ne fonctionnent absolument pas.

Voici donc ce que je pense être les différentes difficultés inhérentes à la pratique régulière de Twitter. Ne pas oublier que Twitter, c’est du microblogage.
  • Écrire publiquement en tant que professionnel est épeurant.
  • On déteste être critiqué.
  • On ne croit pas vraiment que ce que l’on a à partager vaut la peine de le partager.
  • Être consomacteur n’est pas dans notre culture
  • Résumer notre pensée en 140 caractères n’est pas simple.
Reprenons point par point.

Écrire publiquement en tant que professionnel est épeurant.

J’entends ici par professionnel tout intervenant dans le monde de l’éducation.

Souvent on m’a demandé comment je trouvais le «courage» (et là, je sourcillais) d’écrire des billets (ou des tweets) qui parlaient d’éducation et où j’émettais mes idées.

- Ton employeur ne te dit rien? s’inquiétait-on.
- Non. Rien. 1. Mon employeur n’est pas sur Twitter et ne lit certainement pas mon blogue (ils ne savent même pas comment utiliser un fil RSS !) 2. Ce que j’écris, ce sont MES idées, et jamais je ne parle CONTRE mon employeur. 3. Je pense que pour faire avancer les choses, il faut confronter publiquement notre pensée. J’appelle ça «se socio-construire.»
Et la conversation finit par un :
- En tout cas, je te trouve bien brave.
- Mais tu peux toujours écrire anonymement...
Et là arrive le «classique» :
- Mais de toute manière, je n’ai pas le temps d’écrire.
Je soupire... et je passe à autre chose.

En éducation, on a peur de dire (et d’écrire) ce qu’on pense. Combien de fois n’ai-je pas dit à un collègue : «WOW. C’est intéressant ce que tu penses. Tu devrais l’écrire dans un billet pour le partager à d’autres...»

Et on me regarde comme si j’étais un extraterrestre.

On déteste être critiqué.

Émettre une idée, même en 140 caractères, c’est l’offrir à la critique, et ça, en éducation, on déteste. On préfère lancer notre opinion à deux trois personnes bien choisies (celles dont on sait qu’elles pensent comme nous), et on en reste là. D’ailleurs, plusieurs ont de la difficulté à ne pas prendre personnel une critique.

J’ai eu plusieurs discussions sur Twitter. Encore cette semaine, je me suis engagé dans une conversation sur le plaisir d’apprendre à l’école. Quelques tweets adverses essayaient de me piquer personnellement. Ce n’est pas vraiment grave, car j’ai appris à ne pas prendre en compte ces sophismes dans la conversation en restant au niveau des idées.

Faire face à ces critiques (qui n’en sont pas vraiment) est un apprentissage. Et je constate que peu de gens l’on fait. C’est un peu pour cela que je crois qu’on devrait offrir dès le secondaire un ou deux cours de philosophie sur l’art de débusquer les sophismes et de les parer.

Il ne faut pas oublier que si, par la discussion, on s’aperçoit que notre idée n’était pas très bonne, cela demande beaucoup d’humilité pour l’accepter et le reconnaître.

On ne croit pas vraiment que ce que l’on a à partager vaut la peine de le partager.

Il est en effet assez remarquable de constater qu’on n’a pas vraiment confiance dans ce que l’on pense. Et que l’on ne croit pas que cette pensée peut apporter quoi que ce soit d’intéressant aux autres. Je ne sais pas comment combattre ce fait. Je fais partie de ceux qui, effectivement, pensent qu’ils n’ont pas grand’chose à dire. Et il m’a fallu attendre plusieurs années avant de comprendre que «pas grand’chose» ne veut pas dire «rien».

Être consomacteur n’est pas dans notre culture

La venue du Web modifie profondément notre rapport au monde. Depuis 1993, tout être humain peut, s’il le désire, se projeter sur une toile de communication quasi infinie. Mais ce séisme est long à atteindre les côtes et, aujourd’hui encore, plusieurs ne voient pas la vague. On en voit plusieurs surfer sur cette vague ; on observe leurs exploits ; on consomme leurs créations. Mais peu savent qu’ils peuvent eux-mêmes expérimenter leurs propres acrobaties. À cet égard, les intervenants du monde de l’éducation sont frileux. Ils ont peur de se noyer. Ils ont peur d’être observés et jugés.

Et....

Et ... ils restent estomaquer devant ces jeunes dans leur classe qui se lancent à l’eau, et qui essaient de prendre le large.

Résumer notre pensée en 140 caractères n’est pas simple.

En fait, écrire n’est pas simple. Cela demande de la pratique, du temps, des essais, des révisions. C’est exigeant et, dans le monde de l’éducation, on est jugé sur nos écrits. Donc, pour éviter le jugement, quoi de mieux que je ne pas écrire ? Nos élèves dans nos cours de français ont compris ça... et c’est pourquoi ils en font le moins possible en écriture. Ils sont tannés de voir leurs textes barbouillés de rouge et remplis de consignes pour en faire la correction.

Quant à nous, adultes, nous restons avec cette répugnance tenace , acquise à l’école, qu’est l’écriture. Ils sont en effet très rares les intervenants qui ne font pas la grimace lorsqu’on leur demande de pondre un texte. Et si, en plus, on doit résumer notre pensée en 140 caractères, on ajoute à la difficulté.

Peut-on contourner la chose ? Bien sûr. Il «suffit» d’ouvrir un blogue (ou un microblogue) et de faire l'effort d’écrire régulièrement et de se donner le droit à l’erreur. Bien écrire est l’affaire de toute une vie.

Ah... Twitter....

Chemin faisant, page 237

Les étrangers auront beau dire, la réplique est de race française.

La sobriété poétise le vieillard, comme le clair de lune le paysage.

Quand on est jeune, une prétention impose comme un habit chamarré ; plus tard on déshabille simplement mademoiselle, on laisse simplement attendre monsieur.

On est toujours l'enfant de son temps, encore plus que l'enfant de sa mère.

La peur est reniée par ceux qui l'éprouvent; c'est un de ces sentiments qu'on n'avoue pas.

Les petits souvenirs s'arrangent fort bien avec les grands, tout ce monde-là fait bon ménage dans le coeur.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.