La fierté

Il est comme le paon qui crie en voyant ses pieds.

Sommaire. - Junon a sa police secrète. - Jupiter agacé. - Mercure vengeur. - La flûte complice du crime. - Métamorphose. - Les yeux de l'homme sur la queue de l'oiseau. - Réclamation mal accueillie. - Pas d'épines, rien que des roses.

Junon, la digne épouse du Maître de l'Olympe, avait sa police secrète représentée par Argus, doué de cinquante paires d'yeux.

Cela déplut un jour à Jupiter qui dépêcha son fidèle Mercure avec mission de supprimer incontinent cet importun personnage. Le divin messager endormit Argus au son de la flûte et le tua. Voyez comme c'est simple et expéditif. Mais Junon avait pris son cher Argus sous sa protection et, pour le consoler, le transforma en paon.

Je vous ai conté cette petite histoire mythologique pour vous exposer la venue du paon sur terre et la présence sur ses plumes de cette quantité d'yeux qui ne sont autres que ceux d'Argus, passés de la tête de l'homme à la queue de l'oiseau.

Se sentant ainsi dans les bonnes grâces de la Grande Déesse, à laquelle il devait sa naissance, le paon se crut tout permis et devint exigeant ; il commença par se plaindre de son chant. Junon n'aimait pas les récriminations et le reçut de façon à le décourager. En quels termes, La Fontaine nous le confie :

Oiseau jaloux et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol;
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nue de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage.1

Il n'aurait plus manqué que cela : le paon conservant son cri et perdant ses plumes ! Si son cri ne lui plaisait pas, il y avait autre chose qui le contrariait dans son académie ; ses pieds lui déplaisaient davantage ; il les trouvait lourds et patauds, et aurait été bien aise d'en changer; mais, après l'accueil plutôt froid de sa protectrice, et devant une pareille menace, il préféra se retirer en silence, se contentant de crier en voyant ses pieds. Ce fut la punition de cet oiseau glorieux et vantard ; on y fait allusion quand on montre ses défauts à un vaniteux. L'allusion n'est pas nouvelle puisqu'on la trouve déjà dans une chanson de troubadour du XIIe siècle.

Le paon, de même que le vaniteux, ferait bien mieux de prendre les choses du bon côté et d'accepter défauts et qualités, tels que le sort les a répartis, en se conformant à la douce philosophie d'Alphonse Karr :

Vous vous plaignez de voir des rosiers épineux; Moi je m'en réjouis et rends grâces aux dieux Que les épines aient des roses.


1 Le Paon se plaignant à Junon, livre II, fable 17.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.