Le jeu

Qui quitte la partie, la perd.

Sommaire. - Le jeu des quatre coins. - Qui va à la chasse perd sa place.- Haine, routine, devoir. - Mari barbare. - Si on les écoutait. - Un mort qui se sauve.

Les enfants ont un jeu appelé les « quatre coins » nécessitant la présence de cinq personnes ; quatre d'entre elles occupent quatre places déterminées, la cinquième se tient au milieu en attendant que deux des quatre premières échangent leurs places; dans l'intervalle de l'échange, la cinquième tâche de prendre l'une des places momentanément abandonnée et dit : « Qui va à la chasse perd sa place ! »

C'est un peu ce qui se passe dans une partie où l'un des joueurs, voyant qu'il n'a plus chance de gagner, se retire; il quitte la partie, donc il a perdu. On dit de même, au figuré, à propos d'affaires que l'on ne suit pas avec soin et qui, négligées, sont compromises ou perdues. Il en faut déduire le conseil de garder sa place quand on y tient et de ne jamais l'abandonner si on veut la retrouver libre. Faute de quoi, on court la chance de se voir remplacé à son retour,

Car été comme hiver
Qui quitt' sa place la perd1.

L'application de ce proverbe souffre des exceptions : il peut arriver qu'on occupe une place ou une situation peu enviable et qu'on ait des motifs très valables pour la quitter au plus vite, tandis que d'autres ont un intérêt direct ou indirect à vous y maintenir. Ceux-là sont mus par des sentiments divers et guidés par des mobiles louables ou non : routine, devoir, etc.

Un exemple de routine : A l'issue d'une bataille, un fossoyeur enfouissait pêle-mêle tous les corps, quand un officier lui fait remarquer l'un d'eux remuant encore : « Ah! répond-il, on voit bien que vous n'avez pas comme moi l'habitude. Si on les écoutait, il n'y en aurait jamais de mort. »

Terminons par l'échantillon d'un scrupule légèrement exagéré chez un esclave du devoir.

Nous ne sommes plus à la guerre, mais en temps de peste, à la Martinique, ce qui n'est pas plus gai. Les malheureux habitants mouraient par centaines; on les inhumait au plus vite pour éviter la propagation plus rapide du fléau. L'un d'eux, comme tout à l'heure, ramassé trop vite, parvient à se dégager et se met à courir à toutes jambes. « Arrêtez ! arrêtez ! s'écrie le croque-mort en courant après lui, mon mort qui se sauve! »


1 Le Diner de Madelon, vaudeville de Désaugiers.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.