Le temps

L'âge des roses.

Sommaire. — Le sort commun. — La reine des fleurs.— Rose et cyprès. — Rose et Rosette — Collaboration imprévue. — Bossuet et Alfred de Musset s'entendent. — La jeunesse et le protocole. — Place aux vieilles.

Bien qu'élevés par le rang ou la fortune au-dessus des autres hommes, les grands de la terre n'en subissent pas moins le sort commun : tous sont mortels. Les reines aussi, fût-ce la reine des fleurs.

Celle-ci, la plus belle, la plus gracieuse, la plus parfumée entre toutes, se voit, même par la marâtre nature, traitée plus cruellement que les autres. À peine sortie de son corselet, à peine entrouverte pour le charme des yeux et de l'odorat, une précoce maturité la guette, l'épanouit rapidement pour la vouer au trépas qui oublie l'arbre vert et sombre, le cyprès.

La rose vit une heure et le cyprès cent ans.1

Cette vie éphémère de la reine des fleurs avait naturellement frappé les Latins ; ils comparaient une vie de courte durée à « l'âge des roses », passé en proverbe : quam longa una dies, aetas longa rosarum ; l'âge des roses ne dure qu'une journée.

Malherbe s'en est heureusement inspiré dans les stances célèbres adressées à son ami Du Périer qui venait de perdre une fille en pleine jeunesse, en pleine beauté :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.2

L'histoire raconte que le poète avait désigné la pauvre enfant sous la dénomination amicale et familière de Rosette, et son manuscrit portait : « Et Rosette », etc. N'était-ce pas très lisible ? c'est possible; tous les écrivains ne sont pas calligraphes ; le correcteur avait-il la vue courte ou l'esprit distrait ? cela peut également arriver. Toujours est-il que le typographe composa : « Et Rose elle », en deux mois. Cette coquille devint une variante plus poétique et bien préférable. Aussi fut-elle adoptée par Malherbe qui ne dédaigna pas d'accepter la collaboration imprévue du modeste correcteur!

L'arrivée de l'affreuse Camarde n'est jamais que triste et douloureuse. Combien davantage quand elle s'attaque à l'enfance, à la jeune fille !

Le coeur sentimental du tendre Musset n'a pas échappé à cette douleur :

O Dieu! mourir ainsi, jeune et pleine de vie!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pleure, le ciel te voit! pleure, fille adorée!
Laisse une douce larme au bord de tes yeux bleus
Briller, en s'écoulant, comme une étoile aux cieux!
Bien des infortunés dont la cendre est pleurée
Ne demandaient pour vivre et pour bénir leurs maux
Qu'une larme, une seule, et de deux yeux moins beaux !3

Bossuet n'y a pas échappé non plus dans la rameuse oraison funèbre d'Henrietle-Anne d'Angleterre, dernière fille de l'infortuné Charles Ier : « Quoi donc ! elle devait partir si tôt ! Dans la plupart des hommes les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir ainsi que l'herbe des champs. Le matin elle fleurissait, avec quelles grâces, vous le savez ; le soir nous la vîmes séchée (comme l'herbe) ; et ces fortes expressions par lesquelles l'Écriture Sainte exagère l'inconstance des choses humaines devaient être pour cette princesse si précises et si littérales. »

Le grand orateur chrétien faisait certainement allusion à ce passage du psaume : Dies mei sicut umbra declinaverunt, et ego tanquam foenum arui : mes jours ont fui comme une ombre, et je fus desséché comme le foin.

L'élégant et badin Gresset ne reste pas plus insensible :

Ah! ne comptez pas tant sur vos belles couleurs,
Un jour peut les flétrir, un jour flétrit les fleurs.
La Beauté n'est qu'un lys : l'Aurore l'a vu naître;
L'Aurore à son retour ne le peut reconnaître.4

La fraîcheur et la gaîté de la belle jeunesse ne vont pas sans faire des envieux et éveiller des regrets.

Il est des cas cependant où la jeunesse perd ses droits ; par exemple en présence du rigide protocole.

Dans une solennité officielle plusieurs femmes de fonctionnaires prétendaient à la première place. Impossible de les mettre d'accord. Le grand maître des cérémonies, informé de l'incident, eut un trait de génie, peu féministe sans doute mais dénotant un fin psychologue, Il décida que la préséance des dames serait réglée par l'acte de naissance ; la première en date passerait la première. De nouvelles discussions faillirent tout gâter. Aucune ne voulait plus occuper la place d'honneur!


1 Théophile Gautier. [GGJ] Le poème s'intitule : Méditation.
2 Malherbe, livre II, stance 7, Consolation à M. du Périer, 1599.
3 Le Saule, « Premières Poésies ».
4 [GGJ] Je ne sais quelle édition Genest a consultée. C'est tiré de l'égloge 2 des Églogues de Virgile. Dans les Oeuvres choisies de Gresset (Lyon, 1810), page 233, on lit ainsi la strophe :
Ah ! ne comptez point tant sur vos belles couleurs,
Un jour les peut flétrir, un jour flétrit les fleurs:
La beauté n'est qu'un lys, l'aurore l'a vu naître,
L'aurore à son retour ne le peut reconnaître.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.