Le goût

La faim chasse le loup du bois

Sommaire. — Bon pied, bon oeil, bonnes dents. — Pas de grand jour, l'ombre épaisse. — Hiver et ventre creux.

Le loup a la vue perçante, l'ouïe d'une finesse extrême, l'odorat très développé ; à des sens aussi parfaits il joint un remarquable esprit de calcul et de prudence ; de plus, infatigable, il lasse tous les chiens lancés à sa poursuite.

Doué par la nature de façon si généreuse, le loup n'a pas de peine à trouver sa nourriture dans les forêts et dans les bois ; mais sa bravoure n'est pas renommée ; loin de là ; il ne se risque pas à attaquer plus fort que lui ; l'homme lui fait peur ; le grand jour, le plein air ne le rassurent pas ; il ne se hasarde pas en plaine et préfère l'ombre des fourrés.

Mais voici l'hiver ; les arbres sont dégarnis, les feuilles jonchent le sol, la neige tombée en abondance les recouvre, le froid est vif, la terre glacée ; lapins et lièvres, gibiers de saveur succulente, s'enfouissent dans leurs terriers ; le loup erre à l'aventure, tirant la langue, léchant ses crocs, l'oeil chercheur et le ventre efflanqué. Il surmonte alors sa poltronnerie et se hasarde « hors du bois ».

« La faim enchace (chasse) le loup du bois », dit un proverbe du XIIIe siècle, « quaerens quem devoret », cherchant quelqu'un à dévorer ; c'est parfois un bon coup de fusil qu'il rencontre et qui met fin à son appétit.

Combien de gens contraints, par le besoin ou par la nécessité, de faire des choses qui leur répugnaient ou qu'ils redoutaient ! Comme le loup ils sont obligés de « sortir du bois ».

Le poète François Villon a fait le rapprochement de l'homme et de l'animal soumis au même triste sort :

Nécessité fait gens mesprendre
Et fait saillir le loup du bois.