Ces deux premiers textes (1) (2) de mon collègue conseiller pédagogique François m’interpellent énormément. Il faut vraiment que nous, intervenants en technologie éducative dans nos CS, réfléchissions très sérieusement sur nos offres de formation.

Les textes de François reflètent fort bien ce que j’appelle les « éternels débutants ».

François possède un ordinateur portable depuis 4 ans. Il fait du courriel (parfois en joignant des fichiers), du traitement de texte, du PowerPoint. Il arrive à lire parfois des vidéos sur le web. Il a une adresse courriel professionnelle et même un courriel personnel (genre hotmail). Il ignore à peu près tout du web 2.0 ; il ne sait pas comment se brancher sur un réseau inhabituel, il ne participe à aucun forum de discussion, il n’a jamais clavardé ; il n’a pas de page Facebook ou de compte Twitter, et ne sait pas encore que Google Doc existe. Les fils RSS sont un mystère pour lui et les formats de fichiers sont une jungle dont il ignore l’existence. Il serait aussi fort démuni si on lui demandait d’installer un logiciel sur son Windows. L’envoi de message d’erreurs de Windows lui sont indéchiffrables. Il ne sait pas comment protéger son ordinateur de virus et d’espiogiciels.

François est donc un analphabète informatique. Bien sûr, il arrive à fonctionner avec sa machine, mais dans un contexte toujours très limité. Et sa fameuse machine devient rapidement objet de frustration aussitôt qu’elle se met à « faire des siennes ».

Je n’ai pas fait une étude sur le sujet, mais, d’après moi, François est un cas typique ; il représente probablement 80% de la population, c’est-à-dire tous ces gens (et j’inclus les « e-natifs ») qui utilisent un ordinateur depuis quelques années, mais font toujours la même chose : courriel, surfing web, suite bureautique et, populairement, Facebook.

Peut-on dépasser ce stade ? Comment faire pour aller plus loin ? Suivre un cours universitaire est certainement une idée intéressante, quoique je doute énormément de son efficacité : les étudiants font les travaux obligatoires pour des points et développent quelques connaissances dans certains logiciels. Mais accroitront-ils significativement des stratégies de type « débrouillardise quand on ne sait pas trop quoi faire » ? Là est la grande question.

Est-il possible de prendre le taureau par les cornes en informatique ? Je crois que oui, et voici mes suggestions.

1 - Se donner un bloc de 45 heures. Pas pour réussir un cours universitaire ; non pas pour performer dans une tâche. Mais bien pour nager en petit chien dans une eau profonde. Pour cela, il suffit de pouvoir entrer dans Google et d’apprendre à poser des questions.
- Où est le gras dans mon Word ?
- Comment faire un dossier dans Windows ?
- Comment lire un aif ?
- Qu’est-ce qu’un fil RSS ?
- Etc.

En fait, il s’agit de reconnaître son propre problème et de savoir poser la question à Google (ou tout autre moteur de recherche.)

2 - Apprendre à lire une page web. On ne lit pas sur le web comme on lit un livre, un article de loi ou une publicité. Lire une page web demande un nouvel apprentissage : reconnaître les ascenseurs, circuler rapidement de bas en haut, de gauche à droite, reconnaître les messages internet (se connecter, lire la suite, la case recherche, aide, accueil, pour en savoir plus, etc.). Il faut aussi lire rapidement les résultats de recherche de Google, reconnaître qu’il nous envoie vers une page web ou un fichier PDF. Savoir se sortir d’un cadre (frame) ; apprendre à capturer une page intéressante. Il faut aussi bien connaître les facilités de son navigateur web. Il faut s’habiliter à répondre à des formulaires et comprendre sa syntaxe. On peut en profiter pour se créer, par exemple, des comptes Google, Facebook, Twitter, Dropbox, etc., quitte à ne pas les utiliser. L’idée est d’apprendre à garder son calme devant un formulaire web. Et d’apprendre aussi à gérer de nombreux comptes d’utilisateur et des mots de passe. Mais, surtout, l’apprentissage principal consiste à se donner le temps de perdre du temps, car, que voulez-vous ? apprendre est généralement un processus lent qui exige une certaine dose de taponnage.

3- Je pourrais vous parler très longtemps du merveilleux système d’exploitation Linux, mais d’après moi, pour aider l’éternel débutant à dépasser son état, il n’y a rien de mieux qu’un Mac. Pourquoi ? Parce qu’après un 45 heures de manipulations et d’explorations variées sur ce type de machine, on peut déjà créer des productions plus que convenables. Rapidement (et j’insiste sur cet adverbe !), on voudra « faire plus » ce qui, vous en conviendrez, en une bonne occasion d’exercer son « vouloir apprendre ». Et pour « faire plus », comment fera-t-on ? En posant une question à Google, en weblisant la page des résultats, en sélectionnant un tutoriel, etc. L’apprentissage doit devenir un mouvement perpétuel. L’apprentissage est d’abord un état d’apprentissage.

4- Et puis, pour apprendre à passer du paradigme papier (pensée séquentielle) au paradigme informatique (pensée chaordique), il faut développer le réflexe suivant : « la tâche que j’effectue actuellement, pourrais-je la « penser autrement» avec un ordinateur ? » Il faut alors prendre le temps de poser la question à Google, qui, selon toute probabilité, offrira des réponses intéressantes.

Ceci dit, que faire alors de nos fameuses formations TIC ? Je pense qu’il faut les imaginer différemment. Il faut former nos enseignants à la débrouillardise. Montrer comment fonctionne un logiciel, étape par étape, à l’aide d’un beau TBI ou non, ne donne absolument rien. Accompagner un enseignant dans la réalisation d’un de ses projets n’est guère mieux, car l’enseignant, le projet terminé, ne pourra transposer dans d’autres situations son expérience, cette dernière étant généralement beaucoup trop agglutinée à des apprentissages pointus. À mon avis, le formateur qui croit à ce transfert fait preuve de pensée magique.

Donc ? La débrouillardise, c’est se démerder quand on est seul, et savoir en tirer les leçons. Pour cela, il faut que le problème soit perçu comme une occasion d’apprentissage - en usant, parfois, de quelques jurons. Il faut cultiver la patience et la persévérance.

Par exemple, il arrive très souvent de ne pas être capable de faire ce qu’on veut avec un logiciel. Cependant, je crois qu’il est presque impossible de ne pas résoudre un problème issu de l’utilisation d’un logiciel. En effet, à l’aide de Google, il est très rare que la solution au problème ne s’y trouve pas.

Nous rencontrons aussi régulièrement des problèmes de connexion internet ou de hardware. Les causes peuvent être multiples et la frustration risque de monter très vite. Bien sûr, il n’y a pas d’algorithme garantissant une solution. On se met alors en route pour trouver le « solutionneur » qui nous sauvera. Ne le laissez pas toucher votre ordinateur sans qu’il vous explique toutes ses actions. Observez-le bien. Remarquez ses méthodes. Vous bâtirez ainsi votre expérience.

L’an passé, dans ma CS, l’équipe technique a volontairement traficoté un labo avec des problèmes sur chaque machine. L’apprenant devait passer d’une machine à l’autre en tentant de solutionner le problème. Formation utile s’il en est une !

Il faut aussi comprendre qu’en informatique, le syndrome du « savoir partiel » peut devenir un véritable obstacle à chercher un peu plus loin. Deux exemples suffiront à expliquer ce syndrome :

Pour envoyer une image issue d’une caméra, on envoie un document WORD avec l’image intégrée au document. Cette « erreur » est commune chez les gens qui apprennent à tout faire avec un logiciel (ici un traitement de texte) s’évitant de chercher une manière plus efficace.

Autre cas. On désire intégrer à son document une image partielle de l’écran. Plusieurs procèdent ainsi : à partir d’un PrintScreen, on entre dans un genre de Paint , on y découpe l’image pour obtenir la portion désirée, on enregistre l’image, et finalement on l’ajoute à son document. Voir maintenant cette solution, de loin supérieure, trouvée grâce à Google : MAJ-CMD-4 (sur Mac) permet de capturer immédiatement la portion de l’écran voulue.

Ce syndrome apparaît chez les personnes qui croient que connaître une manière de résoudre un problème suffit. C’est une grave erreur qui fut (et est encore) souvent renforcée par l’école : Un problème, Une méthode de résolution, Une solution. Cette pensée est déplorable en informatique. Les logiciels s’améliorent toujours, d’autres s’inventent. Or le rôle d’un logiciel est de résoudre des problèmes. Si on se limite à une seule méthode, on risque de perdre grandement en efficacité en n’étant pas perpétuellement ouvert à d’autres possibilités. Connaître mal est pire que de ne pas connaître, dit-on. Gardons en tête ce dicton qui se révèle particulièrement vrai en informatique.

Alors, qu’en est-il de nos formations ? Peut-on vraiment amener un éternel débutant significativement plus loin ?

Oui. À la condition de former à la résolution de problèmes à l’aide de l’informatique. Accompagner les enseignants ou les collègues CP au moment où ils utilisent l’ordinateur dans leur projet ne donne absolument rien. Bien sûr, cela les aide à résoudre leur problème à cet instant précis (et ils en sont bien heureux), mais cela ne les aide pas à devenir autonomes dans la résolution de problème en général. L’accompagnateur demeure une béquille pour eux, sachant qu’à leur prochain projet, il sera toujours là pour leur donner le coup de main approprié.

La beauté-problème ne fait pas partie de notre culture. L’école nous a toujours enseigné qu’un problème était une occasion de douleur qu’il fallait au plus vite endiguer. Cette attitude est fort loin du tough fun qu’on devrait ressentir à l’approche d’un problème à résoudre. Je suis pour ma part convaincu que l’informatique est un excellent moyen d’initier l’être humain (et en particulier nos enfants) au délicat plaisir d’apprendre.