Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

vendredi 14 septembre 2007

Encore Serres

Quelques citations tirées de l'entrevue accordée par Michel Serres à Philosophie Magazine N°11 de juillet-août :
L'une des plus grandes découvertes des sciences est la datation, qui permet la réconciliation des sciences exactes et des sciences humaines.
[...] Nous lisons à présent la nature comme nous lisons des livres. La science a découvert et généralisé l'idée de Galilée selon laquelle la nature était écrite, notamment en langage mathématique.
Lorsque j'ai commencé à philosopher, les maîtres-mots de la philosophie et des sciences humaines étaient : l'Autre et la Différence. Aujourd'hui, ce n'est plus l'Autre, mais le Même ; ce n'est plus la Différence, mais la Communauté.
Les universités sont encore [...] à demi médiévales. La séparation des sciences et des lettres est un artefact universitaire, créé de toute pièce par l'enseignement. Il a été convenu que l'on sait soit du latin, du grec ou de la littérature moderne, soit de la biologie ou de la physique. Mais cette séparation artificielle n'existait ni chez les Grecs, ni chez les Romains, ni même à l'âge classique. Diderot tente, au XVIIIe siècle, de comprendre ce que dit le mathématicien d'Alembert, et Voltaire traduit Newton. L'université a créé l'étrange catégorie d'ignorant cultivé.
[...] Toute une ère du fonctionnement du cognitif se trouve du côté du calculable, de l'arithmétique et des algorithmes dont la philosophie n'a jamais vraiment pris acte. En épistémologie, on est toujours en retard d'une science.
[...] Philosopher, c'est anticiper.
[...] Tintin, c'est le Jules Verne des sciences humaines.
[...] Beaucoup de nos institutions se trouvent comme ces étoiles dont nous recevons la lumière et dont les astrophysiciens nous disent qu'elles sont mortes depuis bien longtemps.

Adios Réforme!

J'avais encore un peu, un tout petit peu d'espoir, mais là, les dés sont jetés : la réforme de l'éducation au Québec est bel et bien morte.

On a reçu hier les précisions concernant le bulletin chiffré. Lire le PDF du sous-ministre Bergevin.

Le renouveau pédagogique (la réforme) est axé sur l'approche par compétences. Cette approche, complexe dans son application, est basée sur l'idée suivante : Un enfant qui entre dans une classe possède une certaine compétence (en lecture, en résolution de problèmes, en créatioin d'oeuvre médiatique, etc.) Le rôle de l'enseignant consiste à faire prendre conscience à l'enfant de ses propres compétences et le guider pour qu'il continue à les développer. Ces compétences ne se développent pas à vide, mais bien en s'appuyant sur une liste de savoirs prescrits (les connaissances).

Pour arriver à évaluer les développements de l'enfant, l'enseignant devait prendre un portrait de l'enfant au début de son cycle de formation, puis prendre différents portrait en cours de cycle (via des situations d'apprentissage et d'évaluation) pour finalement, en fin de cyle (au bout de deux ans) prendre quelques clichés pédagogiques à l'aide de situations d'évaluation.

L'idée, simple en soi, est la suivante : permettons à un élève de s'observer en train d'apprendre, et guidons-le afin qu'il puisse parfaire ses processus d'apprentissage. C'est, en tout cas, ce que je concluais de la lecture du programme de formation. Et il me semble que le cadre d'évaluation du ministère était cohérent avec cette lecture.

Mais là, la Ministre va modifier, via son Instruction 2007-2008 cette approche.

En effet, dorénavant, l'enseignant devra donner une note aux compétences. Cette note sera attribuée par des examens, des travaux d'élèves et des productions d'élèves.

En quoi cette pratique est-elle si catastrophique pour les proréformes ? En fait, elle ne l'est pas vraiment si un tableau de conversion permet de chiffrer le jugement de l'enseignant. Par exemple, si un enseignant donne un «C» à la compétence "lecture", ce «C» correspond à 60 %. «C+» aurait pu être associé à 68 %. Et il faut bien comprendre par là que 62 % n'a aucun sens ici, car entre C et C+ il n'y a aucune possibilité. L'idée est que les cotes sont reliées à des descripteurs de développement de compétences. Donc, dans cet esprit la note ou la cote, c'est la même chose.

Mais avec l'Instruction prochaine, cela est bien changé. L'enseignant donnera une note basée sur des examens, des devoirs, des exercices, etc. Autrement dit, l'élève fera pendant son étape plein de travaux qui seront notés par l'enseignant, et ce dernier, en professionnel objectif, en fera une espèce de moyenne qu'il communiquera au parent. Autrement dit, l'enfant sera mesuré sur une série de travaux, et non pas sur son développement de compétences.

Pour bien comprendre la nuance, voici un petit exemple.

Enfant A (réforme) Il entre à l'école. L'enseignant fait avec lui son état de développement des compétences. Il remarque ses forces, note ses défis (par rapport à l'enfant, mais aussi par rapport aux exigences de fin de cycle), conserve tout ça dans le portfolio ou le dossier d'apprentissage de l'élève, et communique le tout au parent. Au cours de l'année, l'enfant vivra des situations complexes d'apprentissage lui permettant d'améliorer ses compétences. Toutes ces situations sont conservées dans le portfolio. Par ce portfolio l'enfant prend conscience de ses forces, note les défis qu'il a réussi à relever (on vise la RÉUSSITE des élèves), indique d'autres défis, etc.

Vers la fin de son cycle de deux ans, ce bel enfant aura eu l'occasion d'exercer ses compétences en mode autonome (dans notre jargon, on appelle ça des situations d'évaluation) et l'enseignant sera en mesure de porter un jugement sur le développement des compétences de cet enfant au regard d'échelles de niveau de compétence. C'est ce qu'on appelle, en simplifiant quelque peu, le paradigme de l'apprentissage : on part de l'enfant, comme individu, pour lui permettre d'aller plus loin, selon ses besoins et ses capacités. À cet égard, tout enfant vit des réussites. Dans certains cas, ces réussites sont en deçà des attentes de fin de cycle, alors que dans la majorité des cas, elles devraient être autour des attentes.

Avec l'Instruction de la ministre, tout est bien plus simple. On enseignera à l'enfant (enfant B) qui entre à l'école plein de choses. Régulièrement, il fera des examens notés par l'enseignant. C'est sans doute ce qui sera déposé au portfolio de l'enfant. Puis, le bulletin venu, l'enseignant ouvrira le portfolio et compilera par des méthodes obscures, mais certainement objectives la note de l'élève. Cette note sera communiquée au parent, et tout le monde est content. C'est le paradigme de l'enseignement. C'est ce qu'on a tous vécu à l'école. Dans cette situation, tous les élèves ont les mêmes défis, et on ne considère à peu près pas leurs forces. Ils font tous les mêmes examens en même temps. (Par comparaison, dans des situations d'apprentissage bien construites, chaque élève pouvait continuer à développer ses compétences par rapport à ses propres défis.)

Bien du monde seront contents de la solution de madame la Ministre : les journalistes, une majorité de parents, des syndicats, et plusieurs enseignants.

Quant à moi, dans mon rôle de conseiller pédagogique, j'apprendrai par coeur le discours que je dois maintenant tenir. Après tout, c'est pour ça que je suis payé...

SBE

Squeak by Example vient tout juste de paraître. Utile pour tous ceux qui désirent programmer au-delà des Etoys. Une version française est en développement.