samedi 9 juin 2007
Trois lectures
Par Gilles Jobin, samedi 9 juin 2007 :: Livrogneries
L'Art de philosopher : J'ai pris le temps de lire ce livre publié en 2005 aux Presses de l'Université Laval qui regroupe trois essais écrits par Bertrand Russell dans les années quarante. Dans le premier essai, on trouve :
Ce serait admirable de voir dans nos écoles un certain pourcentage de musulmans et de bouddhistes que l'on encouragerait à défendre leurs religions respectives contre la majorité des élèves d'obédience chrétienne. Voilà qui affaiblirait peut-être la force des convictions irrationnelles de chaque côté.Le troisième essai du livre est consacré au calcul. Russell tente de démontrer toute l'importance pour un philosophe d'étudier les mathématiques. Un extrait :
Au début, tout enseignement des mathématiques devrait se faire à partir de problèmes pratiques qui seraient aussi des problèmes faciles et de nature à intéresser l'enfant. Quand j'étais jeune (il se peut que les choses n'aient pas changé à cet égard), les problèmes étaient tels que personne n'aurait pu même vouloir les résoudre. Par exemple, A, B et C se déplacent d'un point X vers un point Y. A est à pied, B est à cheval et C est à vélo. A fait un somme à divers intervalles, le cheval de B se met à boiter et C fait une crevaison. A prend deux fois plus de temps qu'il n'en aurait pris à B si le cheval de ce dernier ne s'était pas mis à boiter, et C arrive une demi-heure après que A serait arrivé s'il ne s'était pas endormi, et ainsi de suite. Il y a là de quoi dégoûter même le plus zélé des élèves.J'ai aussi beaucoup apprécié ma lecture du petit essai de Christian Godin Nul n'est méchant volontairement, publié chez Pleins Feux en 2001. Par exemple :
Mais qui aurait le mauvais esprit de calculer tout le mal social que peut occasionner une décision de licenciement ? Tellement il est entendu de nos jours qu'une entreprise ne fait que du bien puisqu'elle existe et fait des profits... Les dirigeants ne veulent aucun mal à ceux dont ils font le désespoir, de même que les cambrioleurs ne veulent aucun mal à ceux dont ils font la détresse. Mais justement, n'est-ce pas cela aussi, la méchanceté, cette terrible incapacité à sortir du cercle de son moi (ou de celui de son petit nous, ce qui revient au même), l'incapacité a comprendre l'autre dans la totalité de l'existence et de l'ordre symbolique qui fait de la personne humaine bien autre chose qu'un individu ? Le cambrioleur et le dirigeant d'entreprise ne veulent briser aucune existence, ils ne veulent que renforcer la leur. On comprend à présent la pertinence de cette idée de Platon, que le premier mal, c'est l'ignorance.Cependant, la lecture qui m'a le plus fait sourire est celle d'Auguste Detoeuf et son Propos de O.L. Barenton, confiseur. J'en avais déjà parlé un peu ici. J'ai retiré 78 citations dont :
On défend le consommateur en évitant d'augmenter la rémunération du salarié ; on défend le salarié en chargeant d'impôts le capitaliste ; on défend le capitaliste en vendant le plus cher possible au consommateur ; et la justice se trouve ainsi d'autant mieux satisfaite que le salarié, le capitaliste et le consommateur, c'est presque toujours le même type.
On dit : « L'Opinion est sotte, je la méprise. Je suis au-dessus d'elle. » Mais on tend l'oreille pour surprendre ce qu'elle murmure. Le plus souvent d'ailleurs, on n'entend rien. On la flatte ; on lui obéit. Mais on choisit, pour montrer son indépendance, un détail minuscule : la forme d'un chapeau, une affectation dans le langage, un paradoxe qu'on ressasse ; juste ce qu'il faut pour qu'on dise autour de soi : « C'est un original. » ; juste assez pour intéresser l'Opinion.
Toute séance du conseil d'administration comporte deux opérations importantes, et deux seulement : la signature du registre de présence et la fixation de la date de la prochaine séance.Mais vous en trouverez beaucoup plus sur Au fil de mes lectures qui, en passant, a franchi cette semaine le cap des 17.000 citations.