Estéban, hier fut un jour bien triste pour le monde de l'éducation de la province. Car hier, on apprenait que lorsque tu entreras à l'école, tes performances seront chiffrées et tu seras comparé à tous les autres copains de ta classe. On te dira si tu es meilleur ou pire qu'eux.

Sache, Estéban, que J'avais espéré bien autre chose pour toi. Je voulais que ton séjour à l'école en soit un joyeux et lumineux. Un séjour pendant lequel tu aurais eu du plaisir à apprendre, à découvrir les joies de la connaissance, et à partager tes idées avec tes copains. En te comparant à tous les autres amis de ta classe, c'est malheureusement le contraire que tu vas vivre. Car tu chercheras à obtenir les meilleures notes, tu chercheras à être au-dessus des autres pour que ton enseignant et ton directeur soient fiers de toi. Et si tu obtiens des notes sous la moyenne, on te demandera d'améliorer ta performance. Et toi, sans trop savoir d'où il vient, tu sentiras un grand stress t'envahir. Stress de te maintenir en haut du peloton, ou stress de devoir dépasser ta moyenne de groupe. Ainsi, peut-être, perdras-tu cette curiosité (que je sens si fort en toi en ce moment) d'en savoir un peu plus sur ce qui t'entoure. Et puis, j'ai bien peur que petit peu à petit peu, l'école devienne un véritable boulet à ton pied. Qui donc en se levant chaque matin aime se dire qu'il doit travailler à améliorer son rendement public?

J'en entendu hier notre premier ministre dire qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire. J'ai entendu un journaliste dire que les parents sont bien contents du retour aux notes et à la moyenne de groupe. Moi, je connais bien tes parents. Et je sais qu'ils ne font pas partie des parents que le journaliste citait. Car je sais que tes parents veulent d'abord que tu sois heureux, que pour eux, être au-dessus ou au-dessous des notes de tes copains ne veut strictement rien dire, qu'ils feront tout pour que tu ressentes de la joie dans tes apprentissages, et qu'un 80% ne mesure absolument pas ça !

Estéban, tu es encore bien petit, mais sache que pour moi, tes futures notes à l'école, je m'en moque éperdument. Je vais tout faire pour que tu comprennes bien qu'apprendre ne se mesure pas avec des notes. Qu'apprendre, c'est d'abord apprendre la beauté, et qu'à cet effet, se comparer aux autres est ridicule. Apprendre est source de joie, et je vais m'assurer que jamais tu ne perdras cette flamme que je vois dans tes yeux à chaque fois que je te rencontre.

Sache aussi, mon petit-fils, que je suis conseiller pédagogique, Et qu'en tant que tel, je devrai trouver des raisonnements farfelus et bidons pour expliquer qu'en te donnant une note, je contribue à ta réussite. J'ai pourtant fait bien des efforts pour n'en point arriver là. Mais de toute évidence, la guerre est perdue.

Je t'aime Estéban. Et je regrette, au plus profond de mon coeur, que des gens de ma génération t'offrent une école qui ne représente pas du tout ce que j'espérais pour toi.

Ton grand-papa Gilles