Via les commentaires sur Au fil de mes lectures, on me demande parfois si je connais l'origine exacte de certaines citations. Ce fut le cas récemment à propos de l'expression « Vivre et laisser vivre. » 

Le web semble être bien silencieux au regard cette maxime fort populaire. Je me suis donc mis à la fouille dans mes nombreux recueils de citations et mes bases de données.

Après plusieurs minutes, je suis tombé sur :
Pour vivre, laisser vivre

de Baltasar Gracian tiré de L'Homme de Cour. Cela se trouve dans le Dictionnaire illustré des pensées et maximes, Ed. Seghers, 1963.

Comme je n'aime pas beaucoup n'avoir qu'une seule source, j'ai vérifié dans le dictionnaire Robert de Citations du Monde Entier. On y trouve plusieurs citations extraites de l'Homme de Cour, mais pas celle mentionnée plus haut. J'avoue tenir en très haute estime les dictionnaires de citations chez Robert, et l'absence de ce Pour vivre m'inquiétait un peu.

Je me suis alors tourné vers l'excellentissime Encyclopédie des Citations de Dupré (1959). On y trouve quelques citations de Garcian mais encore là, absence de « Pour vivre... » D'ailleurs, Dupré donne non pas L'Homme de Cour comme référence mais bien Maximes de l'homme de Cour, trad. Amelot de la Houssaie. Curieusement, le Robert cite bien le même traducteur (1684).

J'ai donc recherché l'oeuvre sur le web pour la trouver sur Gallica. Un parcours rapide m'a mené à la page 116, maxime 192 :
L'homme de grande paix
est homme de longue vie.

Pour vivre, laisse vivre. Non seulement les pacifiques vivent, mais ils règnent. Il faut ouïr et voir, mais avec cela se taire. Le jour passé sans débat fait passer la nuit en sommeil. Vivre beaucoup, et vivre avec plaisir, c'est vivre pour deux ; et c'est le fruit de la paix intérieure. Celui-là a tout, qui ne se soucie point de tout ce qui ne lui importe point. Il n'y a rien de plus impertinent que de prendre à coeur ce qui ne nous touche point, et de n'y pas laisser entrer ce qui nous importe.
Conclusion : À moins que la numérisation Gallica soit erronée, le Seghers nous trompe en modifiant le laisse original par laisser. Notez cependant qu'il a peut-être suivi une autre traduction. Cette absence de précision à l'égard du traducteur mine la crédibilité de ce dictionnaire format papier.

Pour terminer, notez que l'oeuvre se trouve, en format beaucoup plus malléable que le PDF de Gallica, chez Wikisource.