Voici tantôt trente ans que j'aime les livres, que je m'en occupe, que je les palpe et que j'en achète. Or je ne suis guère plus fort en bibliographie que ne l'était Sosthène Ducantal sur l'instrument de Paganini. je ne suis pas un savant, je suis un fervent ; et c'est la messe d'un curé de campagne que je dis devant mon humble bibliothèque.

Mais si j'avais à recommencer ma carrière d'amateur de quinzième ordre, je ferais tout d'abord une belle collection d'outils de bibliophile, de livres spéciaux à la bibliophilie; manuels, dictionnaires, traités, catalogues.

Je sais des collections inestimables de catalogues que d'ingénieux bibliophiles, trop peu fortunés pour acheter des livres de cinq, six, sept, huit et-même de vingt mille francs, ont rassemblées et où ils lisent la description des trésors qu'il leur est défendu de toucher. Ils ressemblent un peu, je l'avoue, à ces gourmands idéologues qui vont manger leur pain devant le soupirail d'une cuisine en renom; mais à force de se nourrir de fumée, ils finissent par acquérir un flair relativement délicat.

Jules Richard, L'art de former une bibliothèque, 1883