Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

lundi 21 novembre 2005

Dans la luge de Schopenhauer

Un roman bizarre que Dans la luge d'Arthur Schopenhauer. Quatre personnages prennent la parole. Un philosophe spécialiste de Spinoza mais qui abandonne complètement son maître à penser (ou ne serait-ce plutôt Spinoza qui abandonne son disciple?), sombrant ainsi dans une profonde dépression. Il y a aussi sa femme, qui ne semble pas plus équilibrée que son mari. Un ami qui écoute et raconte. Il dira d'ailleurs : « Beaucoup de choses peuvent avoir du sens et de la pertinence, c'est la vie qui n'en a pas, le tout n'a aucun sens mais chacune des parties en a. » Enfin, la psychiatre qui prendra la parole au dernier chapitre. Le tout, ma foi, dans un décousu assez sympathique.

Le style est très près de celui de Thomas Bernhard. Un exemple vous convaincra : « [...] pendant des années nous avions Spinoza, Spinoza! pan! pan! pan! aujourd'hui exaltations diverses, drogues et main molle. La folie n'excuse pas tout. La vie conjugale nous a tués, comme elle tue tout le monde, et ce n'est pas la philosophie croyez-moi qui vous donne un coup de main dans la vie conjugale, d'ailleurs je ne vois rien qui puisse vous sortir la tête de cette embarcation maudite, surtout pas la philosophie qui en gros, sous des allures plus ou moins provocantes, s'est toujours attachée à calmer les esprits, à réduire la bête sauvage, notre meilleure part [...] »

De plus, on retrouve ici le thème de Maîtres Anciens de Bernhard : l'abandon des «Maîtres» lorsqu'un coup dur frappe.

Bon livre? Bof, qui suis-je pour en juger? Pour moi, un livre fait son boulot lorsqu'il me donne un bon moment de lecture. Et ce livre a rempli ce travail. Voilà pourquoi je me laisserai sans doute séduire par au moins un autre Reza.

Toute passion abolie

Jubilatoire, ce roman de Vita Sackville-West (1892-1962). D'abord publié en 1931, il raconte l'histoire de lady Slane, 88 ans, qui vient de perdre son vieux mari. Après toute une vie consacrée à ce dernier, elle décide enfin de vivre la sienne. Elle quitte sa demeure de toujours pour se réfugier dans une petite maison, loin des tracas familiaux. Libre, lady Slane se fera de nouveaux amis dont l'un lancera la tirade suivante :
« [...] j'ai horreur de tous ceux qui ne voient pas le monde comme il est. C'est-à-dire monstrueux, lady Slane ! Et monstrueux parce qu'il est construit sur la compétition, sans que personne ne sache si la raison fondamentale de cette compétition est une pure convention ou une nécessité, une extraordinaire illusion, une loi naturelle ou animale destinée à disparaître à mesure que nous progressons dans la civilisation. Je crois que l'homme a construit sa vie sur un système mathématique erroné. Certes, il s'est arrangé pour que ses calculs tombent juste, parce qu'il a forcé le monde à accepter ses hypothèses. Mais si l'on choisissait de raisonner autrement, la réponse serait peut-être identique et ces hypothèses de départ apparaîtraient délirantes, astucieuses sans doute mais délirantes. Peut-être qu'un jour une authentique civilisation viendra corriger nos erreurs présentes? Mais nous avons encore du chemin à faire, oui, la route sera longue... » (p. 62)
Un excellent livre sur la beauté de la vieillesse.