Il est rare qu'on entende parler des mathématiques au primaire à la télé. Dimanche dernier, on a eu droit à un petit 15 minutes avec M. Robert Lyons. Ce dernier a illustré que les enfants étaient capables de factoriser des trinômes. Je reviens sur ce problème car il cache selon moi d'énormes pièges. Comme on ne voyait pas la fin de la leçon de M. Lyons, il est difficile de porter un jugement sur l'efficacité de celle-ci.
Le problème

Les enfants devaient factoriser 6x2 + 5xy + y2.

Au tableau, on voyait 6 carrés, 5 bâtonnets et un petit cube. L'enseignant demandait aux élèves de faire un «plancher» rectangulaire et sans trou avec ces formes. (Désolé pour mon illustration : j'ai fait ça rapidement avec OpenOffice Draw.)

Après quelques essais, tous arrivaient à un résultat pouvant se traduire par «la réponse» (3x + y)(2x + y).

Clairement, le carré représentait le x·x. Le bâtonnet : x·y et M. Lyons avait choisi le cube comme représentant y2. Mais le plus dangereux est que cette représentation est ... incohérente : Pourquoi un cube pour représenter un carré ??? Je n'ai entendu aucun enfant poser la question. Il est vrai que pour la durée du reportage, ils ont certainement dû couper plusieurs interventions des élèves ce qui est bien dommage. En tout cas, j'aurais bien aimé entendre la réponse de M. Lyons.

Autre question. Pourquoi prendre un carré (physique) pour représenter x2 ? Tout le monde répondra par l'évidence même que x·x PEUT être représenté par un carré. Ah oui? En fait, un NOMBRE naturel carré peut être FIGURÉ (on appelle d'ailleurs cela un nombre figuré) sous une forme carrée. Par exemple, 16 est un nombre carré.

Il y aussi des nombres triangulaires (1, 3, 6, 10, etc.), pentagonaux, etc. desquels on peut trouver d'intéressantes propriétés.

Clairement on peut représenter x2 sous la forme d'un carré si on sait que x fait partie de l'ensemble des réels positifs non transcendants (par exemple pi2 ne peut pas se réprésenter sous forme d'un carré de pi sur pi car pi est transcendant.). Or, pour bien faire les choses, l'algèbre étant d'abord une généralisation utile, dans le trinôme de départ, x et y sont des nombres RÉELS (généralisation utile) et, donc, peuvent être entre autres négatifs ou transcendants. Quel sens aura alors ce carré physique si x est négatif? Et la factorisation est-elle toujours possible dans les cas où x ou y sont transcendants? L'image mentale d'un carré risque ici de nous amener une conclusion qui pourrait être fausse pour TOUS les nombres. D'accord, ce n'est pas le cas ici, mais il reste que cette image ne peut être utilisée comme preuve. Cette vision donne de la plausibilité à la réponse mais n'est en aucun point algébriquement et mathématiquement rigoureuse. La manipulation peut servir de support au raisonnement, mais elle ne le remplace pas. Encore une fois, le reportage ne montrait nulle part les questionnements soulevés par les élèves. L'objectivation était aussi absente du montage.

Par ailleurs, la traduction d'un nombre carré en surface peut aussi poser problème. 16 peut prendre la forme d'un carré, mais on ne parlera certainement pas ici de surface ! Or, le plancher, c'est d'abord une surface. Mais j'ai déjà parlé de ce piège dans un autre billet.

L'idée de factoriser «physiquement» est riche et vraiment intéressante. On voit la solution apparaître sous nos yeux et on a l'impression que l'algèbre, c'est pas si compliqué après tout. Mais pour ne pas créer de fausses représentations dans l'esprit des élèves, il faut porter énormément attention sur ce que les enfants ont réellement compris. Et s'assurer que malgré la simplicité de l'algèbre, l'élève sache bien que ce n'est tout de même pas une matière simpliste.