Citations ajoutées le 20 décembre 2008

Lucien Arréat

  1. Aucun penseur a-t-il jamais vu bien clair dans sa pensée ? Lequel est resté constamment d'accord avec soi-même ?
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  2. L'émotion fait que je pense ; mais elle trouble sans cesse ma pensée.
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  3. Selon qu'on regarde les choses de trop loin ou de trop près, la plus petite prend de l'importance ou rien ne signifie rien. Selon le degré d'analyse où l'on s'arrête, tout semble divers, ou tout se réduit au même. Comment garder le juste milieu, être à la fois naïf autant qu'il le faut et savant autant qu'on le peut ?
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  4. À peine dépassons-nous l'empirisme, que notre science de savant n'est plus que notre ignorance de philosophe.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  5. Bien des conjectures et des hypothèses m'avaient paru chimériques. Plus j'étudie, plus j'estime que tout est possible.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  6. Les peuples bataillent à conquérir un détroit de mer, un défilé de montagne. Il n'importe guère dans la nature si cette fourmi franchit une goutte d'eau sur un brin de paille ou sur une feuille morte.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  7. L'homme se console comme il peut de la pensée de ne plus être. Il recourt aux plus vaines imaginations afin de se donner le change, et, s'il n'y croit pas précisément, elles le distraient.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  8. Rien ne se perd, tout se transforme. Mais pour nous, changer, c'est finir.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  9. La vie humaine est l'enjeu de la plupart des conflits moraux, dans l'histoire comme dans la tragédie. Rien ne relève mieux que ces discordances de la culture et de l'instinct la vraie valeur de la vie, en justifiant la mort.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  10. Pourquoi sommes-nous ? - Pour être, et parce que nous sommes. La pauvreté de cette réponse montre l'inutilité de la question.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  11. Le philosophe est vraiment mal partagé. Il garde l'angoisse du doute et ne connaît guère les joies de la certitude. Un seul moyen lui reste d'être satisfait : se duper soi-même ; il en use quelquefois.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  12. La notion d'un ordre « voulu » dans la nature reste pour moi incertaine, la science insuffisante, et l'expérience interne décevante. Je suis un douteur ; mais je ne m'en vante pas.
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  13. On a démontré mon rationalisme, alors que j'incline à cultiver les fleurs délicates de la vie intérieure. J'ai pu sembler un dogmatisant, quand je demeure un sceptique. Combien différente nous apparaîtrait la figure de certains philosophes, si nous avions le vrai fond de leur pensée !
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  14. Les plus positifs des hommes se voient souvent partagés entre leur sentiment et leur raison, entre les riches expériences du coeur et les fécondes leçons des choses. Ce sont deux forces sorties du même fond et qui concourent également à la vie ; mais leur composante ne s'obtient qu'en nous sollicitant sans cesse en des directions contraires ou divergentes.
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  15. Ce peut être une naïveté de croire, une faiblesse de douter ; mais c'est la marque assurée d'un esprit inquiet d'être incapable de la foi comme du doute.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  16. Je ne hais rien tant, aujourd'hui, que l'absolutisme, qu'il ait figure de religion ou de philosophie. Si l'affirmation d'autorité est une force, je n'en veux pas être l'instrument ni l'aveugle serviteur : il me plaît mieux de demeurer libre et tout à moi-même, selon ma naturelle disposition et convenance. Je ne suis pas assuré de ma vérité au point de ne vouloir pas entendre à celle d'autrui ; mais la vérité d'autrui ne m'impose pas à ce degré que mon esprit y laisse rien de sa propre critique et franchise.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  17. Le philosophe trop plein de son système ressemble au voyageur qui promènerait devant ses yeux la flamme de sa lanterne ; il en serait aveuglé et ne verrait plus sa route.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  18. Oh ! Sortir de son moi, de cette prison d'où l'on ne voit au-dehors qu'à travers la même vitre ! Entrer pour une heure dans le sentiment de ce poète, dans l'âme de ce mystique, dans la pensée de ce savant, dans le génie de ce musicien ou de ce peintre, dans la cervelle de n'importe qui ! Être un autre, et se souvenir ensuite ! Alors seulement on ferait de bonne esthétique, de vivante psychologie. Tous nos moi ont beau s'interroger et se raconter, on se retrouve soi-même dans autrui, on s'écoute dire, on se commente, on ne se pénètre pas.
    (Réflexions et maximes, p.112, Alcan, 1911)
     
  19. Toute notre philosophie ne serait-elle qu'un artifice élégant, l'art de définir et d'arranger d'une certaine façon dans notre tête les événements du monde, afin de nous donner l'illusion de les comprendre ?
    (Réflexions et maximes, p.112, Alcan, 1911)
     
  20. Les hommes sont comme ces grains de sable qui se meuvent et forment des figures sur la plaque d'expérience du physicien. Ils ont conscience des vibrations qui les agitent, mais ils ne connaissent pas l'archet dont le frottement les met en danse.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  21. Nos rêves de vie ressemblent à ces hautes montagnes qui apparaissent si belles dans l'éloignement et dans la brume argentée de l'horizon : à peine, hélas ! En gravit-on les sommets, qu'il faut se hâter d'en redescendre.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  22. Harmonies, contradictions, on trouve dans la nature ce qu'on y cherche.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  23. Cette vérité où je pensais m'établir, le doute la ronge ; cette espérance dont je croyais voir les signes, l'événement la dément. Le miroir de la vie ne m'en renvoie aujourd'hui que la grimace.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  24. Que suis-je, qu'un maigre tison qui brûle et laisse un peu de fumée et de cendre ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  25. L'humble polype a son rôle dans la structure du monde. Comment l'homme n'y aurait-il pas le sien ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  26. Quel penseur n'a redit à sa manière les mots de Pascal touchant la grandeur et la misère de l'homme ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  27. On veut que nos esprits se délivrent de la vieille curiosité métaphysique. Mais la curiosité scientifique s'engendre de ses propres découvertes, et, tout objective qu'elle veuille demeurer, ne confine-t-elle point en quelque partie à celle-là ?
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  28. On a dit que les mathématiques sont en nous ; on a dit non moins bien que nous sommes dans les mathématiques.
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  29. La critique idéaliste, après avoir mis à nu le réalisme naïf, qui prend ce qu'il voit pour ce qui est, nous a laissés finalement dans la position d'être toujours des réalistes naïfs de mieux, en le sachant du moins et en le voulant.
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  30. Le moi est comme le point de la machine où jaillira l'étincelle ; mais il faut le choc venu du dehors qui ouvre le courant.
    (Réflexions et maximes, p.116, Alcan, 1911)
     
  31. Si je proclame le phénoménisme, c'est-à-dire la réduction de toute réalité à de phénomènes du dehors, un génie malin place devant mes yeux un miroir qui me renvoie ma propre image ; et si je proclame l'idéalisme, la réduction des phénomènes à la pensée pure ou à l'état de conscience, le même génie place devant mes yeux une glace transparente à travers laquelle je vois le monde se peindre. Dans les deux cas, mon essai d'une synthèse échoue devant le dualisme de l'expérience sensible, et j'ai le sentiment de n'y pouvoir échapper que par le secours d'un artifice logique, d'un compromis dont je suis moi-même l'artisan.
    (Réflexions et maximes, p.116, Alcan, 1911)
     
  32. À propos des théories sur l'hyper-espace, c'est un fait hautement intéressant que notre logique puisse s'appliquer à construire un monde qui ne saurait point avoir de figure pour nos sens ; et nous en venons à nous demander quelle sorte de conditions justifierait l'accord de nos fictions mathématiques ou métaphysiques avec des réalités qui nous échappent, supposé qu'elles existent.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  33. L'ordre qui m'apparaît dans les choses, c'est la traduction qui se fait en moi des choses et que ma pensée transporte aux choses.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  34. Jetés dans l'océan mouvant de formes, nous imaginons des figures invariables ou des types éternels, et c'est assez qu'ils existent dans notre pensée pour nous servir à définir les choses que nos yeux voient et que nos mains peuvent toucher.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  35. Telles sont les conditions de mon être, que je ne saurais ni sentir ni penser que par l'opposition d'états, d'images, d'idées, dont les séries ou les gammes diverses composent le clavier de ma vie affective et de ma vie mentale. C'est par l'opposition de ces états que je prends connaissance du monde extérieur et renoue ensemble les moments de ma propre personnalité. Mais je n'ai nul droit d'attribuer aux derniers degrés supposés de ces séries une manière d'existence absolue, de réalité indépendante ou métaphysique : et cette simple remarque suffirait peut-être à éclairer bien des problèmes.
    (Réflexions et maximes, p.118, Alcan, 1911)
     
  36. Vous pouvez réduire, comme on l'a fait, la métaphysique à des dilemmes. L'esprit achoppe toujours à la difficulté de concevoir, soit comment il se produit dans le monde quelque chose de nouveau, soit comment des conditions, même relativement constantes, s'y retrouvent. La thèse ne semble pas moins nécessaire que l'antithèse, et la question reste à savoir si le choix est obligé, ou si même il est possible entre ces positions contradictoires.
    (Réflexions et maximes, p.118, Alcan, 1911)
     
  37. Est-ce moi qui suis la règle de l'univers ? Est-ce l'univers qui m'impose sa nécessité ? Il est singulier que l'homme accepte à la fois, sans y pouvoir échapper, ces deux situations, dont l'une contrarie sa raison, l'autre son instinct.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  38. Je vois bien, dans les rapports qu'on nous dit de l'objet et du sujet, comment la conscience est le miroir, comment la couche de cire du phonographe que serait notre cerveau est impressionnée par l'excitant matériel et par le courant nerveux, mais il me reste toujours à connaître comment il se forme un moi qui se regarde dans son miroir ou s'écoute dans son phonographe.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  39. Les mêmes questions reviennent sans cesse, en philosophie, sous des noms nouveaux. Il n'est que la manière de les poser qui diffère un peu.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  40. Le Destin, auquel les anciens soumettaient les dieux eux-mêmes, c'est la grande figure de l'Inconnu, et c'est à la fois l'idée du déterminisme universel. Nous n'avons guère fait, ici encore, que changer les noms, préciser un peu les termes.
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  41. À force d'humilier la raison devant l'instinct et de dissoudre la volonté dans l'inconscience et l'automatisme, nous n'aurons fait qu'ajouter ou substituer au vieux fatalisme « du dehors » un pire fatalisme « du dedans »
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  42. En même temps que nos théories les plus en faveur rabaissent à plaisir l'intelligence, elles glorifient dans nos appétits on ne sait quelle volonté confuse, et c'est ainsi que l'excès où elles viennent ajoute aux dangers de l'individualisme social qu'elles semblaient contredire.
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  43. Nos philosophies nouvelles ne sont souvent à part les détails de la mise en scène, que des égouttures de pensées aussi vieilles que le monde.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  44. Ce que l'homme recherche dans la science le plus avidement, ce qui le flatte jusque dans l'horreur des lieux dévastés par son industrie, c'est le sentiment de sa puissance.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  45. Même quand l'homme aspire à créer un ordre opposé à celui de la nature, il reste dans la nature et manifeste l'« idée » de la nature.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  46. La finalité : un monstre qu'on pourchasse mais qu'on ne tue pas. Dès qu'on ne la veut voir nulle part, elle est partout. Queue et tète, sans lesquelles le corps n'a plus de forme.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  47. Ce que nous appelons cause et effet ne sont que des états particuliers dans le croisement de séries à l'infini où nous voyons le hasard et l'accident.
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  48. Comment parler de « retour éternel », c'est-à-dire d'un même arrangement des choses, qui se trouveraient aussi être les mêmes, alors que tout flue et change sans cesse ?
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  49. Quoiqu'il en semble à notre courte vue, le monde n'est pas fait pour la répétition, mais pour la variété. Rien ne s'y reproduit constamment dans le même nombre et sous la même figure. S'il y existe des périodicités, elles sont d'une ampleur qui déconcerte, et nous pouvons tout au plus imaginer des recommencements perpétuels offrant des arrangements toujours nouveaux, sous l'empire des mêmes lois générales, d'un même déterminisme qui réglerait sans cesse d'autres hasards.
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  50. J'ai noté moi-même, et l'on a pu croire que j'acceptais à l'aveugle, l'hypothèse selon laquelle l'atome serait à la fois vie, esprit, matière. Cela est, il était donc possible que cela fût : telle en serait l'expression exacte. Mais comment cela est devenu, c'est ce que nous ne savons pas encore.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  51. La théorie d'un monde où l'intelligence deviendrait sans avoir été, et qui produirait toutes ses formes par le jeu fortuit d'énergies indéterminables, nous offre sans doute le moyen d'éliminer ou de réduire un premier et pressant problème ; elle ne le résout pas.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  52. La même fin qui gouverne le monde animal a porté l'homme à créer ses arrangements sociaux, et cette fin, c'est la vie, la satisfaction de tous les besoins de vivre. Mais nous voyons aussi comment, en société, il devient plus maître des conditions de son existence. Quelque chose d'original semble donc, par là, s'introduire dans la trame des événements ; à une plus grande complexité des faits correspond un accroissement de la contingence, qui trouve son maximum dans la volonté intelligente de l'homme : la nécessité, si j'ose dire, se transforme en acte libre et réfléchi en passant par notre conscience.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  53. Impossible serait une physique, s'il n'y avait des liaisons constantes dans la nature. Impossible une science de la vie, s'il n'existait pas une sorte d'ordonnance générale, un sens d'évolution, jusque dans les sociétés humaines, et c'est sur l'hypothèse d'un pareil ordre, spontanément sortie de l'observation commune, que se fonde la connaissance des faites psychologiques et des faits sociaux.
    (Réflexions et maximes, p.124, Alcan, 1911)
     
  54. Combien d'ébauches manquées dans l'histoire humaine, d'essais interrompus, de séries coupées, auprès de celles qui ont réussi ! Combien d'ébauches dans le monde animal, de types arrêtés, d'espèces qui ont reculé ou se sont éteintes ! Il m'a toujours paru impossible de ne pas accorder au hasard, à la rencontre de conditions infiniment diverses et mêlées, une part considérable dans l'avènement et le succès des formes vivantes. S'il n'est point de plan tracé d'avance dans la nature, et si l'évolution progressive n'est qu'un jeu des organismes vivants, encore serait-il loisible au métaphysicien impénitent d'accepter que l'Être se donne à soi-même le spectacle de ce jeu, et, pour singulière que soit une pareille conception, elle s'apparente à celles qui nous montrent la Vie s'élançant à la conquête de l'Intelligence et de l'Instinct.
    (Réflexions et maximes, p.124, Alcan, 1911)
     
  55. Dans le mécanisme, c'est l'enchaînement nécessaire des choses qui tient la place d'un dieu intelligent ; dans le finalisme, c'est une certaine force d'attraction ou de poussée ; dans le nouvel évolutionnisme « créateur », c'est l'activité et le temps, c'est l'élan vital et la durée. Si opposées que semblent être nos idées directrices, et tout inégale que puisse être leur efficacité critique, elles restent néanmoins, à certains égards, les substituts possibles l'une de l'autre : elles expriment ou symbolisent une synthèse des mêmes faits ; il n'est de différence que dans la place ou la valeur relative attribuée à chacun des éléments de cette synthèse par notre analyse.
    (Réflexions et maximes, p.125, Alcan, 1911)
     
  56. Tout n'est pas donné : il semble cependant que tout se fasse avec ce qui est donné.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  57. Nos plus récentes théories de la vie ne seraient-elles qu'un animisme discipliné ?
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  58. Originale impulsion ou destinée, harmonieux élan ou conformité à un dessein, évolution spontanée ou plan d'ensemble, - c'est peut-être une pure question de perspective.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  59. Il existe une esthétique de la pensée, comme une esthétique des formes et des couleurs ; le choix même que nous faisons du point de vue d'où nous ordonnons les choses n'est qu'une affaire de goût.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  60. Matérialisme ou idéalisme, mécanisme ou finalisme, nulle doctrine n'a réussi à tenir devant une critique approfondie : chacune laisse échapper du filet une trop grosse part des faits qu'elle y ramasse. Mais la méthode sert plus ou moins bien.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  61. Un homme de science ne demande pas tant à ses théories d'être vraies que d'être commodes. Il se peut même que leur commodité plus grande mesure assez bien leur approchement de la vérité.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  62. Une erreur qui rend de bons offices offre les avantages d'une vérité. Mais elle ne saurait servir toujours ; il la faut savoir changer à temps.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  63. Je ne sais s'il existe de théorie vraie dans les sciences de l'homme Je vois seulement que telle méthode est plus sûre pour connaître les faits particuliers, tel point de vue mieux choisi pour les ordonner ensemble, et c'est cela que je tiens pour vérité suffisante et provisoire, faute d'une autre plus certaine et plus constante.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  64. Lois de la nature, lois de l'histoire : la plus trompeuse des métaphores que le langage ait portée dans la science et dans la philosophie. Les lois de la nature ne seraient-elles que des vues prises sur la réalité par notre intelligence, les lois de l'histoire des produits de notre psychologie ?
    (Réflexions et maximes, p.128, Alcan, 1911)
     
  65. Quel historien philosophe s'est jamais gardé de cette illusion presque invincible, qui est d'arrêter la marche des choses à l'heure présente, de considérer comme terminée la série d'événements que sa loi résume ? Nous restons inhabiles à la continuer et ne concevons guère d'état plus avant, à moins que la série ne recommence, marquée, si l'on veut, d'un coefficient nouveau.
    (Réflexions et maximes, p.128, Alcan, 1911)
     
  66. Les physiciens tendent à choisir pour principe explicatif le mouvement, les chimistes, l'énergie, les psychologues, la volonté. Mais on a pu dire que la volonté n'est qu'un état spécial de l'énergie, et l'énergie une relation entre les mouvements ; on a pu dire aussi que le mouvement n'est qu'un effet de l'énergie, et l'énergie un aspect de la volonté. Si bien que le choix dépendrait, en somme, de la valeur pratique du symbole, ou du principe, dans le groupe des faits considérés.
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  67. Comment parler d'une philosophie qui serait « définitive », quand rien ne semble définitif dans les créations de l'homme ni de la nature ?
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  68. Dès que le philosophe, dépassant l'empirisme, fait ses réserves sur la valeur purement positive ou pratique de la loi morale, de l'art et de la science, il met le pied dans la religion ou dans la métaphysique. À ce compte même, il est peu d'hommes qui ne soient religieux ou métaphysiciens par quelque endroit, et sans le savoir.
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  69. Que reste-t-il, bien souvent, du plus brillant système de philosophie ? L'idée courante, sinon l'erreur spécieuse, d'où on l'a tiré. Mais l'esprit s'est affiné à la travailler, il s'est enrichi des mille aperçus de sa critique, et ce n'est pas là un résultat négligeable.
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  70. Une « philosophie » n'est qu'un patient effort vers la certitude : le penseur s'y attache comme fait le matelot perdu dans la tempête au bois qui flotte sur la vaste mer. Survient une vague de fond qui brise ou emporte le bois et le naufragé.
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  71. On me dit : « Vous parlez en intellectualiste. Mais l'intelligence n'est qu'un instrument d'une valeur limitée, bornée qu'elle est à saisir les rapports des choses, non les choses elles-mêmes. À la connaissance profonde on va par la volonté, par l'appétit, par l'instinct... » N'y aurait-il donc pas continuité de l'une à l'autre, et ne faudrait-il pas dire plutôt qu'il entre de l'instinct dans la raison, de la raison dans l'instinct ?
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  72. Si bien armés que nous soyons de raisonnements et d'hypothèses, un moment vient où toute explication nous abandonne, et c'est peut-être le moment intéressant.
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  73. ON demandait à Z... : « Croyez-vous que Dieu... » - « Si je le savais, se hâta-t-il de répondre, c'est moi qu'on adorerait. »
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  74. Un philosophe a défini Dieu « la loi morale de la nature » ; j'ajouterais, « l'expression logique de l'univers ».
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  75. La difficulté n'est pas de comprendre Dieu, puisque nous le formons à notre image ; elle est plutôt de comprendre l'homme. Les contradictions qui se révèlent dans l'idée de Dieu sont celles-là même qui sont inhérentes à notre logique, et nos longs débats touchant sa réalité ou sa nature ne font que traduire l'état de notre enquête sur les conditions premières de la connaissance.
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  76. Les êtres, l'être : que de disputes dans l'entre-deux d'un pluriel et d'un singulier !
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  77. L'infini : une situation de notre pensée, une valeur purement logique.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  78. Notre esprit est comme une pièce taillée dans l'étoffe du monde ; l'homme, comme un instrument accordé au diapason des choses.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  79. À quelque doctrine qu'on se range, et si fort qu'on se défie de toute métaphysique, la conscience ne saurait nous apparaître un pur accident, l'individu, une non-valeur, l'intelligence qui réfléchit le monde une lueur fugitive, et par là nos regards s'engagent dans les profondeurs d'un horizon qu'on ne peut fermer sans amoindrir de ce coup sa propre qualité d'homme pensant.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  80. Peut-être les mystiques, métaphysiciens ou religieux, ont-ils raison : ils ne s'attardent pas à prouver, ils « aspirent », ou ils aiment. Le malheur est que chacun d'eux n'a raison que pour soi-même.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  81. Tout est connaissable, je le veux bien ; mais il reste toujours de l'inconnu.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  82. Quel est le terme de toute philosophie ? Le point d'interrogation posé devant l'homme qui a touché le fond de sa science.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  83. Dans la pensée de tout homme qui prend la vie au sérieux, il y a une foi qu'il ne sait pas.
    (Réflexions et maximes, p.134, Alcan, 1911)