Citations ajoutées le 11 décembre 2008

Lucien Arréat

  1. L'homme veut toujours plus de bien-être et moins de bienfaits.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  2. L'industrie à outrance réaliserait ce paradoxe économique, de donner à quelque cent millions d'hommes un superflu misérable, en les privant chaque jour du nécessaire.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  3. Les changements sociaux appellent toujours quelques regrets, et tout gain comporte quelque perte. À chaque nouveauté qui s'introduit dans la pensée ou dans l'action, dans les moeurs, dans l'éducation, dans le costume, dans la manière de voyager, de bâtir ou de combattre, c'est une coutume poétique ou une espérance que s'en va, une vertu qui s'efface, un beau site qu'on endommage, une laideur qui triomphe, une hâte que l'on impose à la vie. La croyance au progrès indéfini était la dernière qui nous restât, et je vois les jeunes gens les plus positifs en sourire doucement.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  4. L'élévation des moyennes favorables semble être l'indice du progrès social. Cependant la grandeur d'une nation dépend moins de la qualité des hommes médiocres que de la valeur des hommes exceptionnels.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  5. La supériorité militaire entraîne avec elle toutes les autres ; mais elle est d'abord l'expression des qualités qui priment toutes les autres, je veux dire l'intelligence et le caractère.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  6. Individu ou peuple, l'affaire est de battre et de n'être point battu. Les coups que l'on donne sont toujours justes, ceux que l'on reçoit toujours injustes.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  7. Une nation trouve son droit à la victoire dans la quantité d'énergie dont elle dispose.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  8. Telle la poussière inerte que chasse le vent sur nos chemins, telles les nations vieillies : elles ne sont plus maîtresses de leurs destinées.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  9. La mort d'un peuple, c'est la mort de son génie.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  10. Une heure vient où les hommes assistent impuissants à la ruine de leur patrie. Plusieurs ont un vague soupçon de cette ruine ; à peine si quelques-uns en démêlent les causent d'une vue claire. Ainsi les grandes catastrophes de l'histoire ont pu passer à peu près inaperçues des contemporains : ils ne voyaient que les incidents du drame, sans en prévoir le dénouement ; les sentiments mêmes qui l'auraient pu rendre douloureux s'étaient affaiblis, et le troupeau humain suivait sa marche, insoucieux de ses destinées.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  11. Comment déclarer avec sûreté que les causes qui ont fait un peuple ce qu'il est continueront d'agir dans le même sens ou resteront également efficaces ? Comment préjuger l'action des circonstances prochaines ou possibles, dès qu'on regarde au-delà de l'heure présente ? On se plaît à pronostiquer la suite de l'histoire ; mais le futur ouvre une si longue perspective, que l'avenir n'est pour nous que le demain.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  12. Il se peut que les mêmes raisons qui font la décadence d'un peuple favorisent parfois l'avancement de l'espèce, et cela rend plus difficile aux contemporains un jugement équitable.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  13. Les difficultés sociales, jusqu'ici, n'ont guère été résolues d'un esprit calme. Il n'est des sérieux que les solutions tragiques. Ce n'est pas l'aspect le moins frappant de l'histoire humaine.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  14. On va répétant : « Nous vivons dans une période de transition, nous sommes à un tournant de l'histoire... » Mais chaque siècle est un tournant de l'histoire, et la transition dure toujours.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  15. Vue par ensembles, l'histoire apparaît soumise au hasard ou à la fatalité. Vue par parties, il s'y révèle les desseins et la volonté intelligente de l'homme. Mais les révolutions en sont dues à la rencontre de nombreuses séries de faits dont la marche dépasse le terme si court d'une vie humaine, et c'est pourquoi le meilleur mode de gouvernement est celui qui assure le mieux à un peuple, avec la compréhension de son action politique.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  16. Machiavel a pu inspirer quelques hommes politiques ; c'est le machiavélisme qui a inspiré Machiavel.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  17. Machiavel ou Washington ? La politique de Washington reste la plus estimée, celle de Machiavel la plus pratiquée.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  18. Protesterai-je contre cette formule, que « la force crée le droit » ? Il ne s'agit que de distinguer entre les emplois qu'on peut faire de la force, la force elle-même représentant les qualités d'énergie et d'intelligence auxquelles le succès appartient naturellement.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  19. On vante les bienfaits de la paix. Mais on vante aussi les avantages de la santé, et cela n'empêche point que l'on devienne malade.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  20. Pacifisme et antimilitarisme, au moins à l'heure présente, sont deux aspects d'une même infirmité.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  21. L'idéal ! - Celui des forts, ou celui des faibles ?
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  22. Une définition que l'historien peut emprunter au biologiste, et qui reste vraie des peuples comme des individus : « Vivre, c'est vaincre. »
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  23. Si le dernier mot n'est plus à la justice divine, il appartient à la force. Vouloir être un peuple athée, et consentir d'être un peuple faible, quelle contradiction !
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  24. La première vertu d'un peuple est de ne jamais désespérer de ses destinées.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  25. Les petits hommes politiques se persuadent qu'ils ont l'éternité ! Ils ont l'illusion d'être au sommet de l'histoire ou d'en diriger la marche vers le but qu'ils lui auront assigné ! Tout au plus sont-ils la cordelette du fouet dont ils croient tenir la manche.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  26. Chacun veut voir dans son idéal particulier le dernier terme du développement historique. La vérité est que toutes nos idées entrent à leur tour, et pour leur part, dans le réseau complexe des conditions qui déterminent le mouvement des sociétés.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  27. Qui oserait affirmer que les institutions démocratiques, ou soi-disant telles, dont on espère des miracles, ne conduiront point, ici ou là, à quelque impérialisme ayant nouvelle figure ?
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  28. Rien ne dure : une vérité qu'on oublie trop.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  29. Le progrès ne se fait qu'avec de l'ordre, et il modifie l'ordre continuellement.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  30. Le rêveur, impatient de progrès, met à l'avance les aiguilles de l'horloge ; mais l'événement, brusquement, les ramène à l'heure.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  31. Le progrès semble consister moins dans le changement de l'homme lui-même que dans la réforme des appareils de la civilisation ; il serait dans l'accroissement de l'héritage social et dans la richesse des habitudes acquises, plutôt que dans l'augmentation du pouvoir des individus et dans leur plus haute vertu, morale ou intellectuelle.
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  32. Notre civilisation ne serait-elle pas faite de promesses plus que de réalités ?
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  33. L'ordre que nous voyons dans la nature enferme une sorte de justice mécanique. À l'homme lui-même il appartient de créer une justice morale ; là se trouvent sa raison et sa grandeur.
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  34. S'il est vrai que la nature ne semble ni juste ni morale, pour l'être intelligent et souffrant que nous sommes, l'homme qui conçoit la justice et qui la fonde existe pourtant, lui aussi, dans la nature ; les lois de son esprit sont comprises dans les lois du monde, et notre logique n'y peut soupçonner un désaccord. N'est-ce pas de quoi nous reposer et nous affermir ?
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  35. Lisez bien l'histoire, a-t-on pu écrire, vous y verrez que « tout n'est pas permis ». Efforçons-nous cependant à faire que cela soit vrai !
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  36. Du pain et de la justice, voilà le premier besoin de tous les peuples.
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  37. Une solide érudition, une souple dialectique et tout l'appareil de la science ne suffisent pas à créer une idée juste. Essayez de faire passer dans la pratique avec toutes ses conséquences, au mépris des conditions de la nature, les idées égalitaires qu'on nous vante, et vous en constaterez bientôt la dangereuse faillite. Le bateau a belle apparence ; mais à peine y a-t-on posé le pied, qu'il fait eau de toutes parts.
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  38. Concilier la liberté avec le déterminisme, l'autonomie avec l'autorité, l'individualisme avec l'étatisme ou le communisme, ce sont des jeux innocents où se plaisent les théoriciens : ils n'accordent ensemble que des mots et ne concilient que des situations imaginaires.
    (Réflexions et maximes, p.97, Alcan, 1911)
     
  39. Tel s'imagine combattre pour l'individu, qui travaille contre lui. Tout se tient dans une société, et lorsque les groupes que l'on dit nous asservir, religions, familles, classes, auraient disparu, il ne resterait de leur émiettement qu'une poussière humaine bientôt absorbée dans l'État omnipotent, dans l'État monstre. Puis viendrait le temps où ce pire asservissement paraîtrait insupportable, et leur misère pousserait les hommes à refaire les institutions protectrices qu'ils auraient détruites. Ainsi flotte le monde entre des termes extrêmes ou contradictoires, et nos révolutions humaines sont peut-être une manière de contre-épreuve des révolutions cosmiques.
    (Réflexions et maximes, p.97, Alcan, 1911)
     
  40. Le faux, le vrai ! La plupart des gens en parlent avec assurance. Je démêle quelquefois l'erreur, j'aperçois rarement la vérité.
    (Réflexions et maximes, p.99, Alcan, 1911)
     
  41. Les races jeunes, a-t-on dit, regardent la nature avec leurs yeux ; les races vieillies, avec leurs systèmes. Cependant les anciens la voyaient déjà à travers leurs inventions mythologiques, et nous n'avons fait, depuis, que changer de verres.
    (Réflexions et maximes, p.99, Alcan, 1911)
     
  42. Les hommes d'autrefois, dans leur ignorance, croyaient bonnement que le plaisir est aussi réel que la douleur, qu'il est doux de boire comme il est pénible d'avoir soif. Puis, des raisonneurs sont venus qui affirmaient juste le contraire. Combien de science il faudra dépenser pour rétablir quelques vérités de sens commun !
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  43. Quand on prend le contre-pied d'une opinion admise, on a bien des chances de rencontrer une vérité : les exemples en abondent en psychologie, en philologie, en histoire, en politique. Il ne manque pas de faux érudits et de savants médiocres qui n'ont point d'autre procédé d'invention.
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  44. Toute vérité, selon un vieil adage, n'est pas bonne à dire. Mais que l'utilité suffise à fonder la vérité, fût-elle l'expression d'une obscure volonté de vivre, il y faut pourtant quelques réserves.
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  45. Nous créons les théories, nous ne créons pas les faits. Créer les faits n'est jamais que les reconnaître.
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  46. Tantôt on proscrit le coeur, tantôt la tête. Qu'on me laisse donc être tout entier comme je suis ! Quel si pressant besoin d'humilier notre raison ou de rabaisser nos sentiments !
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  47. Il est des gens renseignés à merveille. Tel auteur se flatte de rapporter la profession religieuse à la dégénérescence : non content d'en chercher les preuves dans les familles de Charles le Chauve et de Hugues Capet, il remonte jusqu'au prophète Élie, qu'il déclare fou. Ce prophète aurait même transmis sa folie à son disciple Élisée ! Dès qu'il s'agit d'un personnage mort depuis quelque mille ans, rien de plus simple que de débrouiller son cas. Avec un mort de la veille, ce serait déjà plus difficile.
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  48. Les théories maniées par de petits savants sont comme des chevaux montés par de mauvais cavaliers ; elles exposent leur homme à quelque aventure dangereuse ou ridicule.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  49. Assimiler, ainsi qu'on l'a fait, la mort héroïque du soldat au suicide, et, partant, la fidélité au devoir à la folie, c'est une des conséquences les plus extravagantes où ait pu conduire l'usage immodéré de la pathologie.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  50. Hier, tout à la raison. Aujourd'hui, tout à l'inconscient : c'est le « tout à l'huile » de Fontenelle.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  51. On nous parle d'une « psychologie des atomes », d'une « physiologie des spiritualités ». Pourquoi pas une botanique des étoiles ? C'est un précieux moyen que l'analogie ; elle nous porte rapidement d'un domaine dans un autre, mais il arrive parfois qu'elle brûle toutes les stations.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  52. La dialectique ressemble à la danse des oeufs. Que l'on casse un oeuf dans ses passes, le tour est manqué.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  53. On a disputé si le syllogisme est un instrument de découvert. Mettons qu'il décèle, qu'il expose ou qu'il propose certaines relations entre les faits. Mais notre machine logique ne nous rend jamais que la farine du grain qu'on lui donne à moudre.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  54. En psychologie, il n'est pas de réactions qui soient pareilles. Tout exemplaire d'un type donné apparaît un original par quelque endroit.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  55. En tant que psychologue, je me regarde « devenir »; mais je suis déjà.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  56. Je suis, à chaque moment, tout ce que j'ai été, plus ce que je suis en l'instant rapide qui s'écoule et me fait déjà ce que je serai.
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  57. Mon sentiment, mon instinct, n'est pas si muable que ma raison. Le jugement que j'énonce peut changer, mon opinion, ma croyance, mais non pas au même degré ma manière de sentir. Il semble que l'un soit plus profondément situé en moi que l'autre, et plus moi-même que l'autre.
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  58. On réussit moins à classer les caractères que les éléments dont ils sont faits. Et quelle entreprise délicate, n'est-ce point de définir la composition des traits qui marquent une figure ! Comment estimer les justes rapports qui s'établissent, en chacun de nous, entre le bien et le mal, entre le gain et la perte, quand nous voyons tour à tour les détails et l'ensemble du portrait !
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  59. On a le caractère de son tempérament, plutôt que celui de sa philosophie, et, quand on n'a pas choisi soi-même sa religion ou sa philosophie, on impose à la doctrine qu'on a reçue, à la religion où l'on est né, la marque profonde de son propre individu.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  60. Il existe des tempéraments intellectuels, comme des tempéraments physiologiques, et l'on ne peut pas dire que l'un dépende vraiment de l'autre, quelques infiltrations qui se produisent entre l'intelligence et le caractère.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  61. Il y a souvent disconvenance entre les impulsions de notre tempérament et celles de notre esprit. En même temps que notre intelligence remplit sa fonction, il arrive que notre machine physiologique suit sa pente, et, quand elles vont sans trop se contrarier ou se desservir, c'est une heureuse condition de santé morale et un favorable terrain pour l'optimisme.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  62. On n'a pas recherché encore, comme il l'eût fallu, à quel degré notre psychologie individuelle détermine ou influence nos théories, esthétiques ou morales, religieuses ou métaphysiques, quelque suite naturelle qui se puisse découvrir dans le développement et la critique des problèmes principaux.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     
  63. Il n'est pas rare qu'une santé précaire et la menace d'une fin prématurée disposent le philosophe au culte de la puissance, à la glorification de la vie, à une morale du plaisir optimiste et confiante. Il semble qu'on ajoute à son pouvoir par une affirmation de force et qu'on triomphe de sa misère avec ses désirs.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     
  64. Nous vivons tous plus ou moins de faits et de symboles. Mais chaque nature d'intelligence a ses avantages comme ses défauts. Les esprits abstraits, étendent la vérité, les esprits concrets la gardent.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     

Edmond Thiaudière

  1. C'est une chose bien remarquable que les gens qui revendiquent le plus haut le prétendu droit de l'âme humaine à être immortelle, sont généralement ceux qui ont le plus ravalé, parmi les débauches, les bassesses et les vilenies, cette âme qu'ils se targuent de posséder.
    Immortelle, une pareille âme !
    Eh ! grand Dieu, si vous-même vous existez, je me demande ce que tous ces fourbes, ces cupides, ces luxurieux veulent que vous fassiez de leur saleté d'âme !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.33, Paul Ollendorff, 1886)
     
  2. II y a dans tout le mécanisme de la Nature infiniment d'ordre, mais on ne trouve trace de justice que dans la conscience de l'homme, et cela même doit faire, à la fois, notre orgueil et notre désespoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  3. Heureux sommes-nous quand notre coeur et notre esprit, semblables à des oiseaux de haut vol, planent fort au-dessus de ce marais infect ou barbotte la pauvre Humanité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  4. Impérieux par tempérament, servile par intérêt : voilà l'homme !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  5. Le bol alimentaire est à l'animal et particulièrement à l'homme ce qu'est le fumier à la plante. L'avantage que l'animal à de se mouvoir est malheureusement un peu compensé en lui par le desagrément de porter son fumier par dedans, au centre même de ses organes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  6. L'homme est un animal déraisonnable, quoi qu'il en dise, mais, heureusement pour son amour-propre, la femme est un animal plus déraisonnable que lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  7. On a défini l'homme un animal raisonnable. On s'est trompé. II fallait dire: « Un animal raisonneur. »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  8. Ce qui différencie le plus l'homme des autres animaux, ce n'est pas sa raison (il y en a de plus raisonnables que lui), c'est son inconstance.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  9. Au fur et à mesure que l'homme s'approche de l'heure où, ses forces étant épuisées, il sera mis lui-même au rebut par la Nature, ce qui lui était reliques lui devient loques.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  10. On se désole vite ; on se console plus vite encore.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  11. Quiconque parle trop de soi s'expose par un juste retour à ce que personne ne parle de lui, ni même n'en veuille entendre parler.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  12. En tous lieux, sauf au Monomotapa, l'amitié n'est que le chassé-croisé de deux égoïsmes très bien masqués. II arrive presque toujours un moment où l'un des deux égoïsmes ôte son masque ; I'autre en fait autant. Ils se contemplent avec horreur et l'amitié fait place à la haine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  13. Si le renom personnel d'un homme devient l'un des éléments constitutifs du renom de son pays, il y a gloire ; si non, il n'y a que célébrité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  14. Les jugements nous paraissent toujours relatifs quand ils viennent des autres ; absolus quand ils viennent de nous-mêmes. Le fait est qu'ils sont absolument relatifs dans tous les cas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  15. Les optimistes sont, ou des égoïstes auxquels tout réussit par hasard et qui ne s'inquiètent pas du reste, ou des illuminés qui croient à une seconde existence meilleure que l'actuelle qu'ils avouent mauvaise.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  16. Qu'est-ce qu'un pessimiste ? C'est un homme absolument dégoûté — en philosophie, de toutes les doctrines, — en politique, de tous les partis, — en littérature, de toutes les écoles, — en anthropologie, de tous les hommes et de lui-même, — en amour, de toutes les femmes, — en religion, de tous les Dieux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  17. Élimination de la pitié dans l'ordre biologique, de la justice dans l'ordre politique, de la conscience dans l'ordre artistique, industriel ou commercial : voilà ce que produit la concurrence vitale, cette loi scélérate de la Nature.
    Quant aux concurrents qui gardent par hasard vis-à-vis de leurs concurrents de la pitié, de la justice et de la conscience, ils sont battus d'avance.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  18. Les hommes attachent généralement aux choses qui les touchent de près une importance excessive, eu égard au peu d'importance de leur propre vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  19. II est bien étrange de considérer l'âme comme étant d'une essence autre que le corps, quand tout indique qu'elle est précisément I'essence même du corps qui la distille par nos organes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  20. Au fur et à mesure que le corps la distille, notre âme est bue par le mouvement de la vie, et lorsque nous mourons il n'en reste plus une goutte, à moins qu'il ne nous ait été possible d'en conserver dans ces flacons qu'on nomme des oeuvres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  21. Pour satisfaire ses goûts presque toujours si complexes, parfois si contradictoires et qui font de lui un être essentiellement versatile, il faudrait que l'homme pût mener concurremment les genres de vie les plus divers : être à la fois voyageur et casanier, austère et voluptueux, homme d'action et homme de pensée. Malheureusement, il lui faut choisir et il tombe naturellement du côté où il penche le plus, à moins qu'il ne tombe artificiellement, comme cela s'est vu trop souvent, par un choc en retour de sa volonté sur son instinct, du côté où il penche le moins.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.39, Paul Ollendorff, 1886)
     
  22. L'homme, quand sa conscience est trop éveillée, en arrive à trouver odieuses des faiblesses inhérentes à la nature humaine et pour ainsi dire inéluctables. Comme il trouve tout simple et tout naturel, quand sa conscience est restée endormie, de commettre les plus grandes monstruosités.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.39, Paul Ollendorff, 1886)
     
  23. Si mauvaises que soient les raisons que notre amour-propre peut invoquer en sa faveur, il ne manque jamais de les trouver bonnes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  24. II faut vraiment que l'homme ait une vanité bien décevante pour s'être imaginé que, sa naissance étant une réalité, sa mort ne sera qu'une apparence et qu'ayant commencé, il ne finira plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  25. Avoir de l'humanité, c'est pratiquer dans leur plus raffinée délicatesse les devoirs de l'homme envers l'homme.
    Un homme qui a réellement de l'humanité s'étudie à ne rien prétendre qui puisse entraîner non seulement un malheur, mais une incommodité pour les autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  26. Devant les passants ou derrière eux, sans vergogne ou avec pudeur, nous repoussons du pied, à mesure qu'ils tombent sur le chemin, nos morts les plus chers, et nous continuons de marcher dans la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  27. Les femmes sont des enfants perfides.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  28. Pour qu'une femme ne cède pas à une tentation, il faut la réunion de ces deux choses : 1° que la femme soit bien forte ; 2° que la tentation soit bien faible.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  29. La vanité prend le vice pour souteneur ; l'orgueil entretient l'honnêteté.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  30. Quelle niaiserie ou quelle impudence chez ces gens qui, coulés dans un moule vulgaire, veulent qu'une personne originale cesse d'être soi pour leur ressembler, sous prétexte qu'eux-mêmes ils ressemblent à n'importe qui 
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), trad. #655 &Les gens qui ne s'imaginent pas ayoir les qualites qu'ils ont, consolent de ces gens, beauc, p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  31. La vertu qui s'ignore est deux fois la vertu.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  32. On est parfois tout étonné de trouver, chez les gens qu'on estime le plus, des côtés gredins.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  33. Ce qui nous paraît injuste quand nous le souffrons, nous paraît juste quand nous le faisons souffrir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  34. II n'y a que des bagatelles en ce monde, et il n'y a parmi toutes ces bagatelles que celles de l'entendement et de la sensibilité pour plaire à certaines natures élevées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  35. Comprendre qu'il ne tient qu'à lui de se servir des hommes, et préférer les servir, telle est la caractéristique du vrai grand homme dont le coeur, si haut que soit placé son esprit, est toujours plus élevé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  36. On doit, en toute circonstance, compter avec la bêtise humaine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  37. II y a des malheureux qui, du commencement à la fin de leur carrière, ne font autre chose qu'emmagasiner du découragement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  38. II faut la collaboration étroite du raisonnement et de la sensibilité dans un homme pour en faire un homme de coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  39. Le châtiment des ambitieux est qu'il ne leur suffit bientôt plus de jouer un personnage (il y en a tant), mais qu'ils enragent de n'être pas l'unique personnage sur lequel se concentrent tous les regards.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  40. II n'y a que les esprits vraiment forts qui puissent constater la faiblesse infinie de l'esprit humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  41. L'égoïsme rend bête ; c'est pourquoi nombre de gens s'étonnent et même s'indignent qu'on ne réponde pas à leurs coups de pied par des baise-mains.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  42. II y a tels jougs dont la délivrance nous est moins supportable que le poids.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  43. Toute notre vie nous sommes en bisbille avec les quatre éléments. Voulons-nous de l'air ? Nous avons du feu. Avons-nous du feu ? Nous voudrions de l'eau... Cependant, le quatrième élément : la terre, flnit toujours par avoir raison de nos inconstances.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  44. Plus on a I'âme élevée, plus les convoitises humaines les plus hautes semblent basses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  45. II y a peu d'hommes qui se disent : Ce serait une exception vraiment trop monstrueuse en ma faveur si je n'avais toujours que des joies et jamais de peines.
    II est même permis d'assurer qu'il n'y en a pas.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  46. Le pessimisme est le propre de ces esprits maladifs auxquels leur état morbide communique une merveilleuse perspicacité, et, pour tout dire en un mot, la seconde vue véritable des choses humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  47. Celui qui réussit se croit plus habile que les autres ; celui qui échoue, plus malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  48. Avec un peu de perspicacité on se persuade vite que tout le monde a tort plus ou moins, qui d'une façon, qui de l'autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  49. En général, nous n'occupons une grande place que dans notre propre esprit et notre propre coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  50. Quelque étrange que ce soit, le désordre dans les moeurs provient plus souvent de la vanité que de la passion ou de l'amour du vice pour lui-même. Des natures nullement passionnées et auxquelles le vice n'est qu'indifférent croient de bonne foi, en agissant de la manière la plus révoltante, agir supérieurement aux autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  51. De quelque manière qu'on vive, la vie est mal équilibrée et l'on devrait se redresser de son penchant. Est-on dissolu par hasard ? II siérait d'être austère. Est-on austère ? Il ne messiérait pas d'être dissolu, un tantinet.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  52. L'illusion annulée, c'est la stupeur : — exaspérée, c'est la folie.
    Pour le bon équilibre de l'homme, il est urgent qu'elle ne soit ni ceci, ni cela, mais modérée.
    Son annulation équivaut à la Mort ; son exaspération au détraquement ; sa modération à la vie plénière.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  53. Comment n'être pas pris de stupeur en regardant bien, mais bien, notre propre destinée et le train du monde où nous sommes ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  54. Le malfaiteur n'est qu'un sot ; il croit travailler à son profit ; il travaille à sa perte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  55. Sur la pente rapide de la journée, cette montagne idéale dont la base est le matin, l'homme, le pauvre homme va toujours remontant aussi vainement sa lourde pierre ; et chaque soir elle dégringole avec lui dans le sommeil jusqu'au lendemain où il doit recommencer.
    Mais plus heureux que Sisyphe, il n'a point là de supplice éternel, et tôt on tard, soit à l'ascension, soit à la descente, son coeur s'arrête et la pierre s'arrête tombalement sur son coeur.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  56. Les personnes qui ont accoutumé de pratiquer le devoir et qui cependant ne se trouvent point heureuses de la vie, comprennent bien qu'elles le seraient cent fois moins encore en ne le pratiquant pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  57. II n'y a pas de plus grande bévue que de chercher le bonheur dans le vice ; c'est comme si l'on cherchait un parfum agréable dans un tas de fumier.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  58. La seule intensité dans la possession fait pour nous le prix des objets que nous possédons. Voila pourquoi il y a beaucoup plus de jouissance à posséder merveilleusement des choses ordinaires, qu'ordinairement des choses merveilleuses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  59. Quand on a mis le pied dans l'indélicatesse on ne tarde point à y courir à toutes jambes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  60. On pourrait citer nombre de gens dont I'âme soi-disant immortelle était déjà pourrie dans leur corps debout et vivant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  61. Pour l'individu humain dont le coeur a été cruellement blessé par le monde, la seule devise bonne à prendre et aussi à justifier est celle-ci : Oubliant, oublié.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  62. Les sots croient se grandir par leur morgue ; ils se grandissent effectivement comme sots.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  63. L'homme a un beau et un vilain côté. Les philanthropes le regardent du beau côté, les misanthropes du vilain, mais ceux qui veulent réellement le connaître et témoigner de lui le regardent de face.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  64. Pour les âmes nobles et les esprits élevés la difficulté est moins grande de faire des choses rares que des choses communes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  65. De tout ce que s'élargit le champ de nos regrets, se rétrécit celui de nos désirs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  66. II y a fort peu de gens d'esprit, mais beaucoup d'imbéciles subtils et l'on prend trop souvent les seconds pour les premiers.
    La grande différence consiste en ceci : Un imbécile subtil peut trouver le trait fin ; l'homme d'esprit seul rencontre l'idée rare.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  67. Le plus homme d'esprit est encore sot par quelque côté, ou, si c'est trop dire, par quelque point.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  68. Puisque nous ne sommes heureux qu'en nous illusionnant, avons-nous rien de mieux à faire, quand nous perdons des illusions, que de les remplacer par d'autres ? Et c'est ainsi que nous faisons, même involontairement, et jusqu'au bout de notre existence, si bien que notre bouche, quand elle se tord dans I'agonie, est encore tout enfarinée d'espoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  69. Que notre expérience ne profite pas aux autres, cela se comprend ; mais ce qui se comprend beaucoup moins, c'est qu'elle ne nous profite guère à nous-mêmes .
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  70. Rien n'est plus sot, ni plus fréquent que de dédaigner des jouissances à notre portée, pour en chercher d'autres que nous ne pouvons atteindre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  71. II est aussi rare d'avoir le désir qu'on pourrait satisfaire que de pouvoir satisfaire le désir qu'on a.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  72. II y a des gens qui ne savent pas montrer le mérite qu'ils ont et d'autres qui savent montrer celui qu'ils n'ont pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  73. Comment ne pas nous défier de nos propres jugements ? Tous les jours nous sommes obligés de reconnaître qu'ils étaient erronés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  74. Jusque dans ses joies inconsidérées l'être humain fait pitié.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  75. C'est une infirmité chez l'homme de voir la misère de sa condition ; c'en est une autre de ne la point voir. Dans les deux cas il est à plaindre ; dans le premier, de sa clairvoyance ; dans le second, de son aveuglement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  76. Quand l'altruisme de Pierre se collete avec l'égoïsme de Paul, il ne tarde guère à se déclarer vaincu.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  77. Nous avons tous une grave tendance à considérer nos propres défauts comme des qualités et les qualités des autres comme des défauts.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  78. Ceux qui ont fait, dit ou seulement rêvé le bien méritaient mieux que la vie ; les autres ne la méritaient même pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  79. L'ambition ne peut prendre flot dans les âmes trop petites ; elle vogue sur les moyennes, mais elle sombre dans les grandes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  80. C'est une pudeur de cacher son vrai mérite à ceux qui ne le peuvent apprécier.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  81. Certains hommes sont de tempéraments tellement contradictoires qu'il leur faut une grande et bien rare élévation de caractère pour se rendre une mutuelle justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  82. L'argent est d'un effet très variable sur les âmes. Le plus souvent il les maintient de niveau avec l'ordre social, mais dans l'ordre éternel il se trouve toujours qu'il abaisse les petites et élève les grandes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  83. Le plus grand plaisir pour l'homme c'est de jouer à l'enfant, comme pour l'enfant de jouer à l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  84. Nous sommes bêtes toute notre vie, qui d'une façon, qui de l'autre, mais nous ne le sommes jamais plus qu'adolescents de quinze à vingt ans, quand nous voulons faire I'homme, ou adolescentes de douze à dix-huit, quand nous voulons faire la femme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  85. Ce qu'il y a de plus navrant chez l'homme, ce n'est pas sa misère, c'est son indignité. Et pourtant ne devrait-on pas plutôt s'étonner qu'un être si misérable soit parfois si digne et comme au-dessus de lui-même ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  86. C'est une question de savoir si nos fautes ne portent point avec elles, ici-bas, leur punition, tantôt rapide, tantôt lente, mais toujours sûre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  87. De ce qui n'est rien en soi l'illusion fait notre tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  88. Le sentiment de la justice est la plus belle conquête de l'homme,
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  89. À part quelques rares individualiés transcendantes, qui n'ont point eu et n'auront jamais leurs pareilles dans la suite des siècles, tous les êtres humains ne sont que la répétition fastidieuse d'autres êtres qui les ont précédés. Ils défilent sur la scène du monde, n'ayant aucune substance vraiment personnelle, mais jouant avec une gravité ou une folie également misérable, un rôle banal qu'ils ont hérité par hasard et qu'ils légueront aussi par hasard à des successeurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.56, Paul Ollendorff, 1886)
     
  90. Quelles pitoyables marionnettes du Destin nous sommes !
    II n'y a rien, absolument rien d'inédit dans nos sentiments, nos idées, nos paroles, nos actions.
    Oui, nos engouements et nos rancunes, nos transports d'amour et nos cris de haine, nos générosités et nos vilenies, nos défiances et nos témérités, nos tristesses et nos joies, nos vices et nos vertus, tout ce qui vient de nous n'est que l'insipide rabâchage de ce qui nous est venu des autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.56, Paul Ollendorff, 1886)
     
  91. Ce n'est rien que la bêtise, quand elle est douce, mais qu'elle est donc redoutable, lorsqu'elle devient furieuse !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  92. A l'extrême limite de la désespérance on retrouve la sérénité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  93. Ce n'est que demi-mal quand nous n'aimons pas ceux qui nous font souffrir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  94. Faire du bien aux autres c'est s'en faire à soi-même.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  95. II y a quelque naïveté à se passionner pour quoi que ce soit.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  96. II y a deux sortes de domination, l'une en esprit, l'autre en fait.
    A-t-on la première ? On dédaigne la seconde comme inférieure.
    En effet, celui qui domine par la pensée voit de très haut et fort loin par dessus la tête de celui qui domine par l'action.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  97. Parmi les gens qui ne sont rien, peut-être en trouverait-on quelques-uns capables d'être, sinon tout, du moins beaucoup, mais aimant autant n'être rien, parce qu'ils considèrent tout comme rien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  98. Faire ce qu'on veut serait trop beau ; c'est déjà bien joli quand on peut s'abstenir de faire ce qu'on ne veut pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  99. Les conditions dans lesquelles les hommes accomplissent leur évolution respective sont le plus souvent si différentes, les unes étant fort douces et les autres très dures, qu'il serait souverainement injuste de juger du mérite d'aucun d'eux par son succès, et voilà pourtant ce que fait le monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  100. La sympathie plénière est sinon impossible, du moins bien rare entre les hommes.
    Ceux-là mêmes qui sont le plus rapprochés par certains côtés sont irrémédiablement séparés par d'autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.59, Paul Ollendorff, 1886)
     
  101. Nous n'avons guère qu'une pierre de touche pour juger de la valeur morale des gens auxquels nous avons affaire , et cela fait peu d'honneur à la moralité même de notre jugement.
    Servent-ils nos intérêts ? Quand ce serait des coquins, ils sont impeccables. Les desservent-ils, au contraire ? Quand ce serait les plus honnêtes gens du monde, ils sont impardonnables.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.59, Paul Ollendorff, 1886)
     
  102. Les mêmes idées ont presque toujours deux sens très différents : celui dans lequel elles sont exprimées et celui dans lequel elles sont comprises.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  103. L'auréole seule de la bonté donne toute sa valeur au beau visage ou au grand mérite. Le premier est bien moins beau et le second bien moins grand là où elle manque.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  104. Le commencement de la sagesse est d'être sévère à soi-même et indulgent aux autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  105. Le cœur de l'homme est un volant que se renvoient à tour de rôle comme deux raquettes le désir et le regret. À peine a-t-on ce qu'on désirait qu'on regrette ce qu'on n'a plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  106. Certains hommes, selon leur tempérament, ont la fierté extérieure, qui au dedans sont humbles ; d'autres l'humilité extérieure, qui au dedans sont fiers.
    Les premiers, sentant leur propre misère n'en veulent pas moins imposer au monde ; les seconds, sentant la misère du monde, s'enorgueillissent secrètement de ne point au fond s'en laisser imposer par lui autant qu'il le pourrait croire.
    Quant à être fiers au dedans comme au dehors, c'est affaire aux sots, et humbles au dedans comme au dehors affaire aux saints.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  107. Entouré seulement d'animaux, Noé eût été le plus heureux mortel dans l'arche, mais il y avait aussi sa femme, ses trois fils et ses trois brus pour le tourmenter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.61, Paul Ollendorff, 1886)
     
  108. Pour se montrer aux autres tel qu'on se voit, il faut s'estimer. C'est donc un secret témoignage qu'on se méprise que de s'avantager sciemment à leurs yeux.
    Au fond les glorieux ne sont pas dupes de leur pose, et le déchet qu'ils sont obligés de constater d'eux-mêmes dans le particulier est leur plus grand châtiment.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.61, Paul Ollendorff, 1886)
     
  109. La sottise de l'homme éclate dans le peu de souci qu'il a de son bien le plus précieux : la santé. Presque toujours il est malade par sa faute, et c'est lui-même qui ouvre ainsi la porte à la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  110. Souvent trop de souci pour les petites choses nous empêche d'en avoir assez pour les grandes, et nous tombons dans un accident pour éviter un inconvénient.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  111. À une certaine époque de la vie on n'a plus aucun espoir sincère. On ne conçoit rien dont on ne soit déçu d'avance, et l'on brusque la déception, de peur d'en être brusqué.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  112. Conception, déception : voilà le double mouvement de diastole et de systole du cœur humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  113. Les gens dont le cœur est trop battu de l'oiseau ont parfois, au regard des gens heureux, un ahurissement bien singulier où semblent se confondre toutes leurs navrances.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  114. La pointe de notre amour-propre dirigée par nous sur l'esprit d'autrui et le trouvant cuirassé, se retourne et s'enfonce dans notre cœur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  115. Pour peu qu'on raisonne, on ne doit pas s'étonner de l'égoïsme, encore moins y trouver un motif d'injure contre la personne dans laquelle on le constate.
    Ce n'est pas un vice de l'individu, c'est une imperfection de l'espèce.
    Cela tient à la limite très proche de notre horizon. Nos yeux ne voient guère au delà de leur propriétaire, l'appareil n'étant pas fait pour plus. Vraiment les hommes qui ne sont point égoïstes, en admettant qu'il y en ait, sont des monstres. Ils ont le cœur plus gros que la tête, tout simplement.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  116. Les poètes sont presque toujours les faux-monnayeurs de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  117. Il y a des coquins sans le savoir et qui, très naïvement, se prennent pour d'honnêtes gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  118. On est souvent plus estimé de ses ennemis que de ses amis, et, chose extraordinaire, on en est parfois moins haï.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  119. La prévision humaine, même la plus sagace, est la plupart du temps tellement trompeuse qu'on se demande s'il ne vaudrait pas mieux vivre à l'aveuglette.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  120. Trois sortes d'âmes : celles qui volent, celles qui marchent et celles qui rampent.
    Mais, hélas ! comme, par les chaleurs de l'été, l'on voit les oiseaux eux-mêmes se mettre à plat ventre dans le sable humide et s'y traîner pour chercher quelque fraîcheur, ainsi arrive-t-il, surtout dans la saison passionneuse, que les âmes qui ont coutume de planer dans les airs semblent parfois oublier qu'elles ont des ailes et jusqu'à des pattes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  121. Quelle lutte inégale celle de notre pauvre petite volonté contre la fatalité géante ! C'est la lutte d'un David sans fronde contre un Goliath invulnérable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  122. Le mépris est une vengeance à la portée de tout le monde. C'est la seule avisée, car elle nous soulage toujours, sans jamais nous compromettre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  123. Notre point de vue pour juger de ce monde ne peut être que celui de la place que nous y occupons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  124. Nos convictions sont toujours les filles naturelles de notre position et elles ont le plus ordinairement pour père notre intérêt.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  125. Il est peut-être heureux pour l'homme que sa présomption compense sa misère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  126. II y a des fautes d'un homme qui lui sont moins imputables à lui-même qu'à la condition humaine ; aussi est-il juste de les passer par profits et pertes sur le grand-livre du Destin.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  127. Il n'y a rien de plus navrant que l'incertitude du jugement de l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  128. À mesure qu'il gravit les rampes plus ou moins escarpées de la vie, l'homme voit s'élargir avec son horizon sa faculté comparative, et, ce n'est que, parvenu au plateau suprême d'où il devra redescendre vers la mort, qu'il peut porter son jugement définitif sur les hommes et sur les choses de ce monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  129. Le meilleur préservatif contre la vanité, c'est l'orgueil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  130. L'homme de génie, dans son ascension vers le ciel, n'est nullement gêné par les petits esprits qui s'efforcent de le retenir en pesant de tout leur poids sur ses épaules ; mais qu'il vienne à les hausser, et voilà nos petits esprits perdant l'équilibre et s'écrasant sur le sol.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  131. L'homme reste toute sa vie enfant, mais avec l'âge il va toujours changeant d'enfantillages.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  132. La jeunesse voit dans la prévoyance de l'âge mûr une espèce de radotage concernant l'avenir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  133. Les laides âmes ont beau jeu avec les belles ; celles-ci ne leur rendront jamais vilenies pour vilenies.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  134. Rien n'est plus fait pour accroître notre amour-propre que le mépris raisonné que nous avons de choses communément estimées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  135. II n'est pas impossible qu'on en vienne, avec un peu de réflexion, à ne plus rien désirer ni regretter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  136. C'est une des folies de l'homme et la plus grave, parce qu'elle atteint les plus hauts esprits, de croire que sa raison reflète celle de Dieu. Sa raison n'est pas le miroir magique qu'il suppose. Ce n'est qu'un petit appareil fait pour lui et ne servant qu'à lui, quand il lui sert.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  137. Faut-il plaindre, faut-il envier l'aveuglement cannibale de ces raffinés de civilisation qui ont toujours savouré de la chair, hier encore palpitante, sans avoir éprouvé le moindre dégoût pour la condition humaine ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  138. L'instinct est presque toujours la boussole qui dirige notre volonté sur l'océan de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  139. Selon la qualité du cœur de l'homme, les liens qui y aboutissent sont des chaînes infrangibles ou de simples fils arachnéens et qu'un souffle peut briser.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  140. Hormis le cas où notre instinct est manifestement mauvais, il vaut toujours mieux agir avec lui que réagir contre lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  141. Nous avons autant et quelquefois plus à craindre dans la vie le mauvais vouloir des choses que le mauvais vouloir des gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  142. La modestie chez l'homme de mérite n'est que la fine fleur de l'orgueil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  143. II y a quelquefois plus de fierté véritable à céder le pas qu'à le disputer ou même à se le laisser disputer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  144. Le jugement est la pierre d'assise de tout l'être moral. Si cette pierre n'est pas d'aplomb, ce que nous édifions par-dessus croule tôt ou tard sur nous-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  145. Nos enfants, surtout avant d'avoir l'expérience de la vie, ne nous pardonnent aucune faiblesse ni d'esprit, ni de caractère, ni de cœur, ni même de corps. Ils nous veulent parfaits et nous en veulent de ne l'être pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  146. II y a de l'iniquité jusque dans la compassion ; le malheur accidentel des gens heureux nous touche plus que le malheur continu des gens malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  147. Toute faute de morale est d'abord une faute de jugement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  148. La plus grande satisfaction que puisse éprouver l'homme de cœur, c'est de suppléer, comme providence, dans la sphère de son activité, un Dieu absent, empêché ou malévole.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  149. Le contentement de soi-même est un fameux tremplin. Ceux qui ne l'ont pas et qui sont les plus clairvoyants, sauteront toujours moins loin que les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  150. Les gens modestes, au lieu de miser pour eux-mêmes au jeu de la vie, misent pour ceux qui ne le sont pas et à tout coup les font gagner.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.72, Paul Ollendorff, 1886)
     
  151. Dans cette admirable économie de l'Univers, la destinée de l'homme est bien cruelle. Il ne fait que traverser en souffrant toutes ces splendeurs cosmiques, le plus souvent sans avoir ni l'occasion, ni le temps, ni même l'intelligence de les contempler, et il s'abîme ensuite dans le Néant.
    C'est pourquoi ceux, qui, le traitant en malade, lui persuadent qu'il ne mourra pas, même en mourant, mais qu'il vivra, au contraire, d'une vie plus intense, après sa mort, sont des charlatans respectables.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.72, Paul Ollendorff, 1886)
     
  152. Pour certains cœurs, au-dessus desquels gronde souvent comme un orage le dégoût des choses de ce monde, il est urgent de s'abriter sous une espèce de paratonnerre qu'on pourrait appeler un paradésespoir. D'aucuns trouvent le leur dans la tendresse qu'ils portent à un chien. C'est là que s'écoule et se perd un tœdium vitœ qui autrement eût été capable de les foudroyer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  153. Tout ce qui se dégage de notre cœur et de notre cerveau n'est que fumée, mais quelle angoisse au cœur, quelle obstruction au cerveau, quand cette fumée, au lieu de monter en l'air en gaies spirales, est refoulée en nous par un vent d'adversité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  154. Il n'y a pas d'éther sulfurique s'évaporant aussi vite que le regret éternel des survivants.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  155. Des mêmes choses, les hommes se font les idées les plus contraires. C'est ce qui rend les jugements humains si méprisables.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  156. II y a toujours un abîme entre l'essence des choses et l'idée que nous nous en faisons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  157. Toute la vie morale de l'homme dépend du pli bon ou mauvais qu'a d'abord pris son cœur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  158. Rien ne paralyse notre activité comme cette idée cruelle que de toutes nos actions le jeu n'en vaut pas la chandelle.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  159. Il faut peu de chose pour porter au dernier degré l'humilité des humbles et la vanité des vaniteux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  160. Il y a des hommes qui voudraient bien être des drôles, mais qui ne peuvent être que des drôlesses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)